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publié par Mélanie Fazi le 16/09/19
Marianne - Saison 1
Saison 1

Les réussites françaises en matière de fantastique sont assez rares sur petit et grand écran pour que l’on aborde chaque nouvelle tentative avec un mélange de curiosité et de grande méfiance. Même une série comme Les Revenants, malgré un début magnifique, nous avait lassés sur la longueur. Si nous nous sommes laissés convaincre de donner une chance à Marianne, c’est notamment sur la foi de l’excellent souvenir que nous avait laissé Lazy Company, série précédente de l’un des créateurs, Samuel Bodin – une série comique qui se révélait plus fine et plus émouvante qu’il n’y paraissait au départ. Quelques acteurs de Lazy Company font d’ailleurs des apparitions dans Marianne, brèves ou moins brèves (notamment Alban Lenoir dans le rôle d’un inspecteur efficace et plein de bonne volonté, mais parfois légèrement benêt). Bien en nous en prit, car Marianne se révèle, malgré quelques imperfections et le relatif classicisme des thèmes, comme une excellente surprise.

Écriture et hantise

Nous suivons ici les pas d’Emma Larsimon (Victoire Du Bois), écrivaine d’horreur à succès, présentée d’emblée comme un personnage trouble et pas forcément aimable, qui s’apprête à abandonner avec pertes et fracas la série qui l’a rendue célèbre. Mais le retour brutal dans sa vie d’une camarade d’adolescence vient tout chambouler : Caroline tient des propos incohérents au sujet du contenu de ses livres, puis se suicide sous ses yeux. Les événements conduisent Emma à retourner dans sa ville natale d’Elden qu’elle a quittée quinze ans plus tôt et qui semble hantée, comme autrefois, par une présence obscure. Retour plus ou moins bien accueilli par sa famille et ses anciens amis de la « bande de l’épave » à qui elle n’a visiblement pas laissé que de bons souvenirs.

Si les scènes horrifiques qui ouvrent cette première saison nous ont semblé parfois à la limite de l’excès, quelque chose nous happe d’entrée de jeu, qui tient en grande partie aux personnages. Celui d’Emma, sur qui repose la majeure partie de l’intrigue, est à la fois juste assez archétypal et juste assez inhabituel dans ce genre de récit pour intriguer. Une femme manifestement cabossée par la vie, hantée par les rancœurs et le poids du passé, une personne toxique qui épuise son entourage, détruit tout ce qu’elle touche, dit des horreurs quand elle boit trop et le regrette ensuite, mais ne parvient pas à se contrôler. Une héroïne pas franchement sympathique au départ mais qui sonne juste, et dont l’histoire forcément douloureuse nous sera révélée progressivement, éclairant son comportement sous un autre jour.

La chair des personnages

De manière générale, les dialogues sont vivants, les personnages ont de la chair, leurs interactions sonnent vrai. L’un des écueils les plus courants dans le genre fantastique est d’insister sur les effets horrifiques en négligeant le développement des personnages – or, la peur et le trouble ne sont jamais si efficaces que lorsqu’ils s’ancrent profondément dans le vivant et le quotidien. Les Revenants commettait l’erreur inverse : belle épaisseur psychologique mais manque de rigueur dans l’intrigue fantastique qui finissait par trop se délayer. Marianne trouve un équilibre convaincant entre les deux, particulièrement dans son dernier tiers où le mal s’engouffre par les failles, les désirs, les angoisses des personnages, au point qu’on ne distingue plus toujours très bien la part du surnaturel et celle de la nature humaine. L’ambiguïté classique entre illusion et réalité y est assez finement dosée.

On pressent d’ailleurs que c’est l’œuvre de créateurs (Samuel Bodin et Quoc Dang Tran) qui connaissent le genre et en comprennent la mécanique. Des clins d’œil discrets (qui ne sont peut-être, pour certains, que des coïncidences) ponctuent le récit sans jamais le perturber : citations en exergue de chaque épisode (Lovecraft, Hawthorne, Poe ou Machen), image d’un petit garçon en blouson jaune qui évoque furieusement la fameuse scène d’ouverture du Ça de Stephen King, école déserte et hantée par le passé qui nous renvoie au premier jeu de la série Silent Hill. On repensera à ces deux œuvres à plusieurs reprises : Silent Hill pour l’ambiance de cauchemar éveillé particulièrement réussie dans le dernier tiers de la saison, avec quelques scènes franchement angoissantes ; Ça pour la ville maudite où les événements du passé se répètent, l’alternance de deux époques, les retrouvailles adultes d’un groupe d’amis qui ont croisé le mal dans leur adolescence, la façon dont leur adversaire puise dans leur histoire pour mieux les déstabiliser. Les scènes horrifiques parfois un peu forcées au départ deviennent de plus en plus convaincantes à mesure que la saison progresse, que les personnages se développent et qu’une forme d’ambiguïté s’installe. On pense aussi, pour la figure de l’écrivaine dont les écrits provoquent des drames, à l’excellent roman Sur le seuil de Patrick Sénécal, dont il partage l’ambiance lourde et angoissante.

L’écueil d’un mal simpliste

De manière plus subjective, on pourra regretter que la série choisisse, parmi tout l’éventail qu’offre le fantastique, une thématique un peu vieillotte dont le récent retour à la mode (de Conjuring à l’exaspérant Hérédité) ne cesse de nous rendre perplexes : sorcière nécessairement malfaisante, attirail religieux, exorcisme et possession, comme si le genre s’était arrêté à l’époque de L’Exorciste. Marianne réussit malgré tout à offrir l’une des rares utilisations intéressantes de ces thèmes que nous ayons vues récemment, mais pêche parfois par le manichéisme de sa figure de sorcière. Et pour pinailler légèrement, on peut s’étonner, de la part d’amateurs du genre, qu’on nous présente les romans d’horreur d’Emma comme étant si mal écrits, à grands coups de clichés qui sonnent creux. Ce n’est pas la première œuvre à tomber dans cet écueil (le jeu vidéo Alan Wake, vendu comme un prétendu hommage à Stephen King, ratait son objectif tant les extraits du roman-dans-le-jeu était médiocres). Mais quand on sait la richesse du genre en littérature et qu’on pense à des écrivains comme King, Poppy Z. Brite ou Clive Barker (ou même, plus près de nous, une jeune autrice comme Morgane Caussarieu), qui ne sont pas exactement des manchots en matière de style, on peut s’agacer de ce cliché. Tout comme on peut sourire d’entendre Emma dire qu’elle écrit ses histoire « pour la thune », quand on connaît les chiffres de l’édition, particulièrement en littérature de genre, et la difficulté d’en vivre. Mais ce ne sont que des points de détails dont nous assumons l’entière subjectivité et qui ne suffisent pas à gâcher l’impression d’ensemble.

Ajoutons à tout ça une mise en scène inspirée qui sait doser la montée de l’angoisse et distiller peu à peu les révélations (comme ce motif quasi subliminal du trou dans le sol qui hante Emma et trouvera une explication tardive), et un usage assez malin de chansons dont les textes viennent résonner avec le déroulement de l’intrigue. Marianne ne plaira sans doute pas à tout le monde – il faut adhérer à son imagerie horrifique qui frôle parfois le grotesque, ainsi qu’aux personnages pas toujours aimables qui sont pour une grande part dans la réussite de l’ensemble. Malgré nos réticences toutes personnelles sur le choix du thème central, nous nous sommes laissés captiver et attendons la suite avec curiosité, en espérant qu’elle sache se montrer à la hauteur.

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publié par le 16/09/19
Informations

Sortie : 2019
Label : Netflix