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publié par Mélanie Fazi le 29/12/12
Les Revenants - Saison 1
Saison 1

On a coutume de dire qu’il y a deux domaines dans lesquels les Français sont affreusement peu doués : les séries d’une part, et le cinéma fantastique d’autre part. C’est sans doute exagéré, mais les exceptions sont trop peu nombreuses pour chasser cette impression tenace. Dans le paysage audiovisuel actuel, l’existence d’une série comme Les Revenants fait donc figure de petit miracle. On se trouve là face à une œuvre qui puise dans ce fantastique subtil et psychologique, fortement ancré dans le quotidien, qu’on allait chercher dans le cinéma espagnol ou les séries britanniques en désespérant de le retrouver un jour sur nos écrans.

Retrouver le cours des choses

L’argument est très simple, et c’est en grande partie ce qui fait sa force. Dans une petite ville construite près d’un barrage et marquée par un deuil collectif quatre ans plus tôt – l’accident d’un car scolaire qui a tué des dizaines d’adolescents – les morts commencent à revenir. Camille, 15 ans, est la première. Elle rentre chez elle sans trop savoir comment, sans rien se rappeler de l’accident. Ses parents sont bouleversés et sa sœur jumelle Léna, désormais plus âgée qu’elle, refuse d’admettre son retour. C’est ensuite au tour de Simon, qui part à la recherche d’Adèle qu’il s’apprêtait à épouser avant sa mort et découvre qu’elle a refait sa vie. Pendant que ces « revenants » de plus en plus nombreux cherchent leur place dans un monde qui a continué sans eux, d’étranges phénomènes se multiplient. Des cicatrices apparaissent sur le corps des vivants, des cadavres d’animaux sont retrouvés au fond du lac.

Dans le secret des maisons

L’une des grandes qualités des Revenants, et pas la moindre, est d’oser assumer une identité propre sans chercher à copier de modèles anglo-saxons ou autres. C’est le défaut de beaucoup de films fantastiques français récents, de Saint-Ange à Livide, qui ressemblent à de belles carrosseries sans moteur : images esthétisantes et bourrées de clins d’œil, mais scénarios indigents. On perçoit bien dans Les Revenants quelques influences, mais on reste dans la citation discrète sans jamais tomber dans le copier-coller. La plus évidente, souvent citée, c’est Twin Peaks. On est très loin de la bizarrerie de Lynch ou de son côté expérimental, mais le décor de la ville, la façon dont les personnages se dévoilent, y font parfois écho. Les Revenants, au contraire, reste dans le domaine de la suggestion et de la sobriété. Tout commence en huis clos, dans le secret des maisons où chaque famille affronte le retour de ses morts, avant que les histoires ne commencent à se rejoindre. L’une des belles idées est d’ouvrir la série par le retour de Camille, en se plaçant tout autant de son point de vue que de celui des vivants : l’irruption du fantastique ne suscite pas la peur, mais une profonde tristesse. Comment reprendre le cours de votre vie quand tout le monde a porté votre deuil, quand votre sœur jumelle a grandi sans vous ? Ce premier épisode est d’autant plus fort que tout y sonne juste : les situations, les dialogues, les personnages. On note d’ailleurs au scénario la présence de l’écrivain Emmanuel Carrère, qui y est sans doute pour beaucoup.

Miroir brisé

La réussite d’une œuvre fantastique intimiste repose en partie sur sa capacité à présenter des personnages forts, porteurs de failles par lesquelles le surnaturel peut s’engouffrer. C’est là l’autre grande qualité de la série de Fabrice Gobert : une galerie de personnages riche et convaincante, dont chacun est très différent des autres et immédiatement reconnaissable. Même les plus terribles de leurs histoires sont poignantes, et tous les acteurs leur donnent corps de manière remarquable. Même les enfants sont épatants, comme l’intriguant petit Victor qui s’invite chez Julie, infirmière solitaire marquée par un incident violent qui a détruit sa vie – Julie elle-même est l’un des personnages les plus touchants, grâce à l’interprétation toute en nuances de Céline Sallette qui lui imprime un subtil décalage avant même que son histoire ne nous soit révélée. L’une des plus belles idées reste la gémellité de Camille et Léna, qui inscrit dans les corps et les visages la problématique de la série : face à Léna devenue une jeune fille de 19 ans, le visage trop jeune de Camille fait l’effet d’un miroir brisé. Plus rien ne sera pareil, et cette différence physique fait écho à la violence avec laquelle Léna commence par se révolter contre le retour de sa sœur.

Des paysages et des hommes

Autour des personnages, un décor qui s’affirme peu à peu. Une ville ordinaire, familière, qui ressemble à tant d’autres, mais qui se révèle chargée d’histoire. Le deuil des élèves morts dans l’accident, mais aussi d’autres événements plus anciens liés à la présence du barrage. Lequel acquiert une présence palpable à mesure que l’intrigue s’installe. Les lieux ont leur propre mythologie, amenée de manière subtile et convaincante. Allusions fugaces à une ville engloutie au fond du lac, image de ces corps d’animaux qu’on y a retrouvés récemment – splendide scène onirique reprise dans un générique de toute beauté. La présence de schémas fantastiques classiques, comme le motif de l’eau ou l’influence des paysages sur les hommes, semble indiquer une solide culture du genre, suffisamment bien digérée pour en proposer des variations habiles. Mêmes les situations ou personnages archétypaux possèdent une vraie chair, une vraie présence.

Ajoutez à tout ça une magnifique bande-son signée Mogwai, lancinante et entêtante, qui continue à vous tourner dans la tête après la vision des huit épisodes. Elle souligne de manière habile ce mélange de mélancolie et d’onirisme discret qui imprègne la série. Reste à savoir maintenant si le concept minimaliste des Revenants tiendra la route sur une deuxième saison. Quelques éléments restent sans explication, sans générer de frustration pour autant, et peuvent ouvrir sur de belles variations comme sur une déception. En l’état, c’est en tout cas une magnifique surprise. Une très jolie série fantastique – et une très jolie série tout court.

 

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publié par le 29/12/12
Derniers commentaires
- le 30/12/12 à 20:18
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entièrement d’accord avec ce que dit Mélanie... pour les sept premiers épisodes... ;-)))

malheureusement, le dernier épisode me fait craindre que les scénaristes ne sachent pas trop où aller. On avait réussi à échapper jusque là (et avec brio, il faut bien le dire) à l’atmosphère "zombieland", malheureusement on à l’impression que, faute de ne plus trouver quoi dire d’original, le scénario parte vers les chemins beaucoup plus conventionnels du genre walking deads...

enfin, attendons la suite, en espérant que l’on ne se retrouve pas dans des embourbements à la "LOST"... ;-)))

bon réveillon à tous.

Mélanie Fazi - le 30/12/12 à 23:31

Je craignais le dernier épisode pour cette raison, mais j’ai été agréablement surprise, ne serait-ce que parce qu’on évite à mon sens de tomber dans quelque chose de plus démonstratif et d’un peu gratuit, qui se rapprocherait d’une bête histoire de zombies. Or, pour moi, c’est tout le contraire, on reste dans quelque chose de sobre et d’assez fin. Je sais que cet épisode a déçu pas mal de gens mais je l’ai trouvé tout aussi maîtrisé que le reste. Et la toute dernière scène est magnifique.

Informations

Sortie : 2012
Label : Canal+