L’effet de surprise n’est plus le même (cette date à Rock en Seine est notre troisième concert de cette tournée) mais l’éblouissement demeure. On sait pourtant exactement ce qui va se produire. L’arrivée du groupe en fanfare sur « Chain of Keys » avec grosse caisse, tambour et saxophones sur un rythme lent de procession funèbre. Le final sur « River Anacostia » et ses chœurs gospels qui nous tirent chaque fois des larmes. La finesse des arrangements qui transposent avec inventivité le parti pris d’un album orienté sur les cuivres, les percussions et le chant choral, la façon dont PJ Harvey se place régulièrement en retrait parmi les musiciens, narratrice plutôt que personnage, avec sa gestuelle de tragédienne. La setlist qui mêle harmonieusement le répertoire de The Hope Six Demolition Project à celui de Let England Shake et de White Chalk. La puissance de feu de « The Ministry of Social Affairs » avec ses trois saxophones stridents. L’émotion si simple d’une « White Chalk » toujours aussi sublime. La grâce intemporelle de « To Bring You My Love » et l’énergie jubilatoire d’un « 50ft Queenie » qu’on s’étonne de trouver aussi à sa place ce soir. Et puis « The Glorious Land », et « The Words That Maketh Murder », on sait tout ça par cœur.
Et pourtant, on retrouve intactes les mêmes émotions que lors du concert de We Love Green l’an dernier. Un an qu’on répète à tout notre entourage à quel point cette tournée est la plus belle chose qu’on ait vue sur scène récemment, à quel point c’est magnifique d’assister à cette réussite-là, à quel point ça réchauffe le cœur, tout simplement, de savoir que c’est possible. Et puis on se laisse happer une fois de plus. On s’émerveille de la justesse du son, même depuis le premier rang d’un si gros festival – on entend chaque nuance de saxophone, chaque détail des chœurs. Quand revient ce si beau final, on croit faire nos adieux au groupe pour cette tournée – et les voilà qui remontent sur scène tous les dix à notre grande surprise, pour un rappel que l’on n’attendait absolument pas. Et pour deux chansons chères à notre cœur, qui plus est : la reprise toute personnelle du « Highway 61 Revisited » de Bob Dylan tirée de Rid of Me, et la toujours sublime « The River » qui fait émerger tant de souvenirs.
On guette les réactions de notre entourage au terme du concert, et on est touchés de les voir aussi sidérés, aussi émus qu’on l’était nous-mêmes il y a un an – et qu’on l’est encore aujourd’hui. Pour avoir suivi toutes les tournées de PJ Harvey depuis Is This Desire – il y aura vingt ans l’an prochain – on peut affirmer sans doute possible que c’est l’une des plus belles, l’une des plus inventives et mémorables. Un souvenir précieux qu’on portera longtemps.
Texte : Mélanie Fazi , Photos : Mickaël Adamadorassy