Il y a des concerts, comme ça, vous savez ? On en ressort euphorique ou léger, on s’attarde dans la salle pour prolonger l’instant et ne surtout pas reprendre le cours ordinaire du temps. On ne trouve pas forcément les mots pour en parler dans un live report structuré, mais les impressions s’attardent.
Et il y a des semaines qui ont la grâce de vous offrir ces instants-là par bouquets. La semaine passée, il y en eut trois. Trois instants suspendus, l’œuvre de trois artistes qui, pour emprunter des chemins différents, n’en partagent pas moins un même perfectionnisme, une même sincérité, un même refus du sur-place et de la facilité.
Instantané n°1 : Lou, la sirène
Il y eut ce mardi au Café de la Danse. Lou pour ouvrir le bal, épaulée par l’imposant Mahut à la batterie et autres instruments. Lou sur laquelle nous n’avons pas encore écrit, mais ça viendra sans doute, reste à trouver comment. Lou dont la grande silhouette blonde cache si bien hors scène les ombres qu’elle dévoile lorsqu’elle se met à chanter. On l’a vue ici ou là qualifiée de druidesse, de sirène, ce qui lui sied fort bien. Lou trimballe tout un univers dans chacun de ses mots, de ses gestes. Des gestes de magicienne qui ondulent et fascinent, qui font naître un soupçon d’étrangeté dans les recoins des chansons. Il y en avait une en particulier, elle parlait d’un arbre, elle était éloquente et mystérieuse à la fois, on s’aperçut après le concert que d’autres s’en étaient souvenus, mais par d’autres mots, sous d’autres angles. D’une manière ou d’une autre, elle avait pris racine.
On ne peut pas encore vous parler de l’album que Lou sortira un jour et sur lequel figureront ces chansons, mais il n’est jamais trop tard pour se plonger dans le superbe Et après, on verra, qui fait figure de secret bien gardé, beaucoup trop bien gardé quand il devrait être largement partagé.
Instantané n°2 : Katel ou l’exigence
Sur la même scène, un peu plus tard, Katel et ses quatre formidables musiciennes et choristes (Diane Sorel, Claire Joseph, Nathalie Réaux et Skye, de gauche à droite, de percussions en claviers en batterie). Huit mois se sont écoulés depuis la résidence où nous avions découvert les chansons d’Élégie. Il y eut d’autres concerts, d’innombrables écoutes de l’album entre deux ; chaque fois qu’on a cru commencer à connaître la formule, on a reçu une leçon d’exigence et de classe absolue. On sait, pour en avoir été un peu témoin, la quantité de travail insensée que demande cette quête de la grâce. Mais chaque fois qu’elles atteignent toutes les cinq, dans tel aspect technique, telle émotion, telle harmonie vocale, une maîtrise assez grande, elles poussent encore plus loin la fois suivante au lieu de s’y reposer.
Ce qui était déjà sublime il y a huit mois n’a fait que s’enrichir depuis. La perfection technique, nous disait Katel en interview, n’est pas un point d’arrivée mais un point de départ, et c’est précisément ce que nous avons vu à l’œuvre. Au milieu des chansons d’Élégie, toujours aussi belles et aussi émouvantes, se glissaient peu à peu des morceaux plus anciens qui y cherchaient leur place et leur forme nouvelle : « Les vautours » et « Charnelle », et « Le chant du cygne », comme autant d’intermèdes qui créaient un relief nouveau, ouvraient sur l’extérieur une formule qui pourrait tourner en rond et qu’on voit au contraire évoluer sans cesse.
On osait à peine demander aux autres, en sortant de là, s’ils partageaient la ferveur de notre enthousiasme ; les applaudissements, les sourires épatés, nous avaient déjà en partie répondu. Mais ce qu’on ressentait de toutes parts, c’était un même profond respect pour Katel et sa démarche, pour sa recherche constante et son absence de prétention. Aux premières écoutes de notre exemplaire promo d’Élégie, on se demandait par moments si l’on ne s’était pas emballés tout seuls ; quelques semaines (et beaucoup d’échanges avec d’autres auditeurs) plus tard, on ose de plus en plus admettre qu’on ne s’était pas trompés, qu’il s’agit bien d’un grand album, un album important qui devrait faire date s’il y a une justice en ce bas monde.
Instantané n°3 : Robi ou la malice
Dans la salle du Café de la Danse, beaucoup de visages amis (souriants, éblouis) et de silhouettes vues sur d’autres scènes. Parmi eux, Robi qu’on devait retrouver à l’ACP La Manufacture Chanson deux jours plus tard, à l’invitation de Florent Nesles dont les généreuses soirées Walden sont un vivier de découvertes et de jolis moments. On a déjà beaucoup écrit sur Robi, par exemple ici ou là. Depuis quatre ans qu’on la suit sur album ou sur scène, on se demande parfois s’il est bien raisonnable de retourner la voir encore et encore et encore. Et puis il y a toujours ce petit quelque chose, une fulgurance, un moment d’émotion, qui nous rappelle d’un coup pourquoi. Chez Robi encore plus que chez d’autres, le chemin lui-même est passionnant ; elle sait être captivante et touchante jusque dans ses tâtonnements. Il paraît que le concert de ce jeudi fut parfois un peu chaotique ; on s’en est à peine rendu compte. Mais surprenant, oui, sans aucun doute. Changer radicalement de formule alors qu’une tournée touche à sa fin, ce n’est pas le moins audacieux des choix.
Soit Robi au clavier, une grande première, et Valentin Durup à la guitare. Soit des versions remaniées au point qu’on ne sait pas toujours, aux premières notes, si l’on connaît telle ou telle chanson. Soit une version prolongée de « Par ta bouche » qui se termine en mantra hypnotique répété à l’envi et qu’on voudrait ne jamais voir finir. Soit « Le chaos », sans doute notre chanson préférée de La cavale, rarement sinon jamais jouée en live et qu’on s’émeut de voir enfin chantée par Robi sous nos yeux, toute élégance intacte.
Robi elle-même, ce jeudi, on l’a trouvée transformée sans bien savoir pourquoi. Était-ce le clavier qui modifiait son jeu de scène (encore qu’on l’ait vue danser derrière son instrument, portée comme si souvent par sa propre scansion), ou cette coupe de cheveux courte qui lui donnait un air plus malicieux, ou bien cette aisance accrue face aux imprévus ? On l’a rarement sentie si détendue et si prompte à rebondir sur les couacs occasionnels, qui ajoutaient au charme de l’instant au lieu de le rompre. On a quitté la salle, quitté la bulle (tardivement là encore) en se disant qu’on était revenu une fois de plus et que, décidément, on y reviendrait encore pour se faire happer, pour se faire surprendre.
Merci à toutes et tous pour ces beaux instants-là. Il y a des semaines, comme ça.
Photos de Katel par Micky, toute la série est ici.
Photos de Lou et de Robi par Matthieu Dufour de l’excellent blog Pop, Cultures & Cie, dont vous pouvez lire ici même le très joli texte sur le concert de Robi.
Merci à eux aussi.