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publié par Mélanie Fazi le 20/01/15
Robi
- La cavale
La cavale

L’étape du deuxième album est toujours délicate, à plus forte raison lorsqu’il succède à un premier album à l’identité forte et assumée. Le risque de déception est grand : et si l’on ne retrouvait pas ce qui nous avait tant parlé dans le précédent ? Ou si on l’y retrouvait trop, avec la désagréable impression de tourner en rond ? Si l’on s’était emballé un peu vite en plaçant trop d’espoirs dans ce qui n’était qu’un éphémère coup de chance ? Avec La cavale, Robi propose une élégante solution à cette épineuse équation : puisque l’effet de surprise initial ne sera plus tout à fait là, autant en créer un nouveau.

Fil d’Ariane

Pour autant, l’album ne marque pas tout à fait un tournant à 180 degrés : il s’écoute par moments comme un prolongement de la toute fin de L’hiver et la joie, de la mélancolie intimiste et feutrée qui enveloppait « Cherche avec moi » et « Ou pour toujours ». Mais ni le single « L’éternité », ni les extraits entendus en live ne nous avaient préparés à l’expérience de cette Cavale où l’on commence par chercher ses marques. Si L’hiver et la joie était un dialogue fécond et passionnant entre voix et rythmique, ce nouvel album met davantage la voix au premier plan. Elle est à la fois la matière même de l’album, le cœur et le fil d’Ariane de ces onze chansons, et semble puiser une audace nouvelle dans la nudité même des arrangements.

Contradictions intimes

Elle y gagne une ampleur inédite, soulignée voire sublimée par le travail subtil effectué sur les textures sonores avec l’aide précieuse de Katel, qui a co-réalisé l’album. Le son est minutieux, précis, riche de petits détails et d’ingénieuses ruptures de ton : basses sourdes, batterie discrète et nappes de clavier hypnotiques, sonorités tour à tour caressantes et agressives, oppressantes parfois, jusqu’à la voix qui se dédouble entre chœur et chant. L’effet est particulièrement frappant sur la chanson-titre qui conclut l’album en apothéose et semble dire, en les gravant dans la chair même du morceau, les contradictions intimes qui nous habitent et nous étouffent. À la partie scandée, répétitive et menaçante qui ouvre la chanson succède le souffle grisant d’une voix qui s’accompagne elle-même en un chœur angélique alors qu’elle chante la rage, « la colère des fous, celle des esprits penchés », qui devrait l’ancrer au sol mais n’y parvient jamais.

L’essentiel en filigrane

Tout l’album est porté par une pulsion différente de celle qui habitait L’hiver et la joie. Plus intériorisée, là où les chansons de l’album précédent se construisaient autour de la scansion, de la répétition. Les rythmiques suivent des motifs plus circulaires ou sinueux, elles se font plus souples, élastiques, comme sur « À cet endroit » où elles suivent le mouvement de la voix plutôt que de la précéder. Elles lui laissent l’espace et la liberté de se livrer à des exercices de funambule, notamment sur « Le chaos » où Robi déroule sans filet de longs rubans de mots fluides sur une rythmique proche du battement de cœur. Ce cœur même, cette vie, qu’on sent palpiter sous la surface de chacun des morceaux.

Et toujours, on retrouve cette façon unique de faire sonner les mots, de les faire se rencontrer, s’enchaîner, s’agencer pour créer un langage poétique tout en pointillés où l’essentiel se dit souvent en filigrane. Un langage riche en trouvailles sublimes, capable d’émouvoir alors même que le sens exact des mots se dérobe, presque à portée de main mais jamais tout à fait (sur « Le vent » ou « À toi », splendides moments de grâce). Comme si les mots, par leur évidence même et par les échos qu’ils se découvrent entre eux, créaient à leur tour un sens qui leur est propre. Ils ont cette force particulière que prête la franchise la plus grande, la plus vraie, celle qui naît des tripes et qui ne triche jamais.

Affirmer sa voie

Tout du long, l’album sait rester court et dense, concentré sur l’essentiel, dégraissé du superflu. Moins rêche et abrasif que L’hiver et la joie, moins frontal, plus nuancé dans sa palette sonore qui préfère le dégradé aux contrastes bruts. Ce changement radical dans les constructions et la dramaturgie était un pari risqué, mais le résultat force le respect comme l’admiration, en plus d’ouvrir sur de nouvelles promesses que le précédent ne permettait pas encore d’entrevoir. Plus qu’une confirmation, La cavale est une affirmation : de soi, de sa voie, de sa voix si singulière, si intense et si belle. Et cependant si riche d’un potentiel encore à accomplir. Contrairement à ce que Robi chantait sur L’hiver et la joie, sa route ne sera pas la même : elle sera la sienne, et la sienne seulement.


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publié par le 20/01/15
Derniers commentaires
Philippe Ache - le 26/01/15 à 18:48
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Ce texte découvert avant l’écoute de l’album, acquiert une dimension supplémentaire une fois l’album écouté.
Oui, cet album est en effet une affirmation.
Robi me semble être ce que la scène française produit de plus fort actuellement.
Son alliance avec Katel une totale réussite.
Merci Mélanie de nous avoir fait découvrir Robi un jour.
Totalement bluffé !