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publié par Mathilde Vohy le 28/09/20
Fils Cara - Bien écrire, c’est romancer correctement le réel au point de croire que c’est réel

Son nom vous est désormais forcément familier tant on vous en a parlé au cours de ces douze derniers mois. Fils Cara, c’est, sans hésitation, un coup de coeur majeur de cette année 2020. Après un premier EP très prometteur, l’artiste a sorti Fictions, son deuxième opus dont nous faisions les éloges à sa sortie il y a trois semaines. Certes, ses textes et ses mélodies trap comme pop nous font un effet particulier à chaque écoute, néanmoins, il serait trop réducteur de résumer notre passion Fils Cara à sa seule musique. La brillance du projet réside en effet également dans le personnage de Marc. Tête sur les épaules, chaîne autour du cou, le jeune homme de 24 ans sait parfaitement où il veut aller, mais surtout d’où il vient. Chaque fois que l’on discute avec lui, apparaissent, de front, l’ambition d’un artiste fraîchement débarqué à Paris et l’humilité d’un stéphanois qui n’oublie pas le sang vert qui coule dans ses veines. L’interview que vous vous apprêtez à lire ci-dessous ne peut que le confirmer, la sensibilité et le tact de Fils Cara coloreront la scène française ces prochaines années.

Salut Marc, ton deuxième EP sort demain, peux-tu commencer par nous le présenter ?

Bien sûr ! L’EP s’appelle Fictions, au pluriel, et c’est premièrement un hommage à Fictions, un recueil de nouvelles de Borges, mon auteur préféré. Il a toujours écrit de la littérature fictionnelle, et a beaucoup travaillé sur le rapport entre notre réel à nous et le monde imaginaire, soit créé par la littérature, soit qu’on se fabrique et qui nous fait ressentir des choses de manière tangible. Ensuite, pour moi, la fiction c’est 90% du réel parce que c’est ce qui fait le lien entre ce qui nous arrive et ce qu’on conçoit qui nous arrive. C’est à dire la manière qu’on a d’interpréter les choses et qui crée du lien entre les gens. La fiction que je voulais travailler dans mes chansons, c’était cette partie intégrante du réel. Mes chansons sont généralement tirées du réel, puis ont été ficitonnées. C’est comme au début des films tu sais, où on précise “inspiré de faits réels”. Eh bien c’est la même chose pour mon EP, il a été composé comme un film, du premier au huitième morceau.

Ton premier EP Volume était sorti en janvier dernier qu’est-ce qui a changé depuis ? Ta manière de travailler a-t-elle évolué ?

Beaucoup de choses ont changé. Volume était presque fabriqué qu’à l’aide d’une seule et même personne : Osha qui est un ami d’enfance avec qui j’ai commencé la musique. Francis (son frère) et Simon Gaspard du groupe La Belle Vie étaient déjà là aussi pour faire quelques arrangements. Dans l’essentiel c’était vraiment un disque de copains pour se dire au revoir avec Osha parce qu’on savait qu’on allait prendre des directions différentes dans notre musique. Ca faisait le pont entre ce que j’avais fait depuis le début quand j’ai commencé la musique et l’arrivée vers mon travail de composition, que je commence à défendre dans Fictions. Sur ce disque, j’ai directement composé et écrit certains morceaux. Les arrangements ont été faits avec Francis qui a pris une place centrale dans le travail du disque alors que jusqu’à maintenant nous travaillions plus la scène. Ensuite, on s’est mêlé à une équipe formidable de producteurs : Francis, Simon Gaspard, Felower et Louis-Gabriel Gonzalez qui a un projet qui s’appelle Mohave. Ce qui a changé c’est aussi la texture de ma voix, j’ai appris à chanter et me suis libéréà ce niveau puisque Volume était beaucoup plus rap. Et enfin la qualité de la musique a également évolué puisque les compositions sont plus évolutives à l’image de la pop.

Comment la rencontre avec tes nouveaux compères de travail a eu lieu ? Via Microqlima ou ton entourage personnel ?

Francis on se connaît depuis 23 ans puisque c’est mon petit frère ! (rires) Ensuite la majorité des gens avec qui je travaille vient de Saint-Etienne puisque je suis originaire de là-bas comme tu le sais. C’est aussi le cas de Francis, Simon et Felower. Et Louis c’est la dernière rencontre amicale que j’ai faite et quelle rencontre ! On s’est connus à Paris par nos managers interposés. On a d’abord créé le morceau « Petit Pan » qui est dans Fictions et après ce morceau on s’est dit qu’on avait beaucoup de choses à faire ensemble et on s’est liés d’amitié. Il a beaucoup oeuvré à Fictions. Il a pris le pas sur la réalisation puisqu’il a une vision très globale des disques, c’est un très bon producteur.

Est-ce que toutes les chansons de cet EP ont été créées de la même manière ? Aviez-vous des méthodes de travail bien définies ?

Pas vraiment, ca peut changer du tout au tout sur chaque chanson. « New York Times », par exemple, le refrain m’est venu quand je marchais dans la rue, je suis rentré chez moi, j’ai trouvé un petit thème à la guitare, j’ai fait écouter aux gars, Francis a fait une suite harmonique et une grille puis on a changé plein de fois de version parce qu’on ne savait pas comment la produire. Finalement on est arrivés à cette version disque qui est pour moi la plus aboutie au sens où c’est celle que je garderai avec moi le plus longtemps possible. On a essayé de faire ça avec beaucoup de morceaux : accumuler beaucoup de matière puis passer au stade enregistrement, arrangement et mix. Je ne fais plus comme sur Volume où je faisais tout en même temps. Volume c’était un recueil de morceaux qui me définissaient. Fictions c’est un disque qui a davantage pris son temps et qui respire plus. Il est plus conceptuel, je l’ai écrit comme un film.

Tout a changé entre ces deux albums en fait ? Ta manière de composer et d’écrire et les gens avec qui tu travailles ?

Oui depuis que je suis à Paris tout a changé ! Et je me sens plus aligné avec ce que je fais, j’ai eu plein de dates pour défendre les morceaux et trouver ce que j’avais vraiment envie de faire. Tout cela a forcément influencé ma manière d’agir en studio. Même la manière dont je m’habille a évolué parce que ça définit aussi le personnage. Je pense avoir trouvé mon personnage sur ce disque. On verra ensuite comment cela évolue pour la suite.

J’aurais voulu revenir avec toi sur le nom de cet EP. Je trouve que ce disque est davantage ancré dans le réel, dans le sens où tu parles plus de choses du quotidien, et pourtant, il s’appelle Fictions. Souhaitais-tu que les gens s’interrogent sur ce paradoxe ?

Tout à fait j’adore les paradoxes ! Je pense que ça s’entend dans mon écriture, j’adore utiliser des tournures de phrases étranges. Dans « Film sans budget » je dis “Savoir écrire c’est dire n’importe quoi sur un ton plus ou moins radical”. Je trouve que c’est une maxime assez paradoxale parce que le rapport entre l’écriture et la parole n’est pas tout de suite évident. Donc “savoir écrire c’est dire n’importe quoi” c’est déjà étrange. Ensuite, je me rends compte que savoir bien écrire c’est le nerf de ce que je fais et c’est ce pour quoi on m’appelle sur d’autres projets (L’Impératrice ou Enchantée Julia notamment) alors je me suis beaucoup questionné sur ce qu’était bien écrire. Quand je dis “sur un ton plus ou moins radical”, c’est ça l’idée : en fait, bien écrire, c’est romancer correctement le réel au point de croire que c’est réel. Quand tu me dis que tu trouves que cet EP est plus ancré dans le réel c’est pour moi une réussite puisque plusieurs passages sont complètement ficitonnés. C’est le cas du deuxième couplet de « Hurricane » par exemple. J’aurais croisé cette fille par hasard sur le Faubourg du Temple ? Ce n’est jamais arrivé, mais peut-être que si, ça aurait pu arriver. Le monde de l’illusion est celui dans lequel on vit tout le temps. On se fait tout le temps des films : savoir si quelqu’un nous aime bien, savoir si tel truc va marcher… C’est ce monde a qui est à l’intérieur de nos chansons.

Dans ma chronique de Fictions, je m’interroge sur l’influence de Microqlima sur tes compositions. Penses-tu que le fait de cotoyer des artistes pop dans ton label t’a fait t’éloigner du rap ?

C’est une question que je me pose. T’es la première à me la poser et je pense qu’elle est très pertinente parce que mon entourage professionnel et amical vient en effet essentiellement de la pop. Néanmoins je pense que je me suis également orienté naturellement vers la pop dans le sens où j’ai envie de faire de la musique instrumentale et d’avoir un groupe avec de la guitare, du piano, de la batterie. Au delà de l’influence directe de Microqlima, c’est aussi un saut qualitatif et naturel de mon travail.

Il y a une omniprésence du piano dans Fictions, c’est même pour moi la colonne vertébrale du disque, deux questions me viennent alors : penses-tu que si ton frère n’était pas aux claviers, le piano aurait une place aussi importante ? Et penses-tu que cette place prépondérante du piano vient du live lors duquel vous jouez en piano-voix ?

C’est une question fondamentale. Le piano est un instrument que j’aime par dessus tout et que je pratique mais sans Francis le rendu n’aurait pas été le même. Le disque aurait ressemblé à ça mais avec moins de couleurs. C’est ça que Francis apporte : des arpèges et des couleurs. Et le live a bien sûr joué dans l’importance du piano. On a joué les premiers morceaux de Fictions (« Hurricane », « New York Times », « Sous ma peau ») en piano-voix en live pendant qu’on était en train de faire le disque. Donc forcément quand on est arrivés en studio on est partis de ce piano-voix pour monter les morceaux.

« Hurricane » et « New York Times » ont d’ailleurs étaient promues en format live-session piano-voix alors que les versions originales sont très pop et très entraînantes. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Ces deux versions étaient une manière de rappeler les deux socles fondamentaux sur lesquels on repose : notre relation avec Francis et la production musicale actuelle qui s’éloigne des codes trop sérieux de la chanson française rive gauche. On est des gars de Saint-Etienne, on a toujours écouté de la musique pop et entraînante. C’est important pour moi dans un disque de faire des versions orchestrées et des versions avec plus de texture. Mais l’essence de la chanson reste le piano c’est pour cela qu’on les sort comme cela et qu’on les promeut sous cet angle.

©Andrea Montano

Cet EP est relativement long pour un format EP, comme l’était déjà Volume. Est-ce pour montrer l’étendue de ton style et de tes inspirations ?

C’était l’idée sur Volume. J’avais un assez grand panel de choses à défendre. Il y avait des choses assez groove comme « Nanna » ou « Contre Jour » et des choses assez deep comme « Les Honoraires » et « CFC », et du rock-trap avec « Sans Filtre ». Sur Fictions, l’idée c’est qu’il fallait que j’écrive un moyen métrage de 25 minutes. Je l’ai découpé en huit mais j’aurais pu le découper en six avec des morceaux plus longs. Il y avait sept morceaux à l’origine et j’ai rajouté la huitième piste des « Crédits » parce que cela me semblait fondamental de soutenir par la parole les gens qui ont travaillé dans l’ombre. Ils méritent plus qu’une typo 9 derrière une pochette.

Justement je n’ai jamais vu ça sur un autre projet, comment as-tu travaillé ce morceau atypique ?

Quand j’ai écrit ce texte, je l’ai vraiment travaillé comme une chanson. Il y a des blocs qui ont bougé en fonction de leur sonorité. Ca comptait beaucoup pour moi d’avoir de la musique derrière. La prod je la trouve magnifique, c’est Louis-Gabriel qui l’a faite seul. La sonorité de ces mots dépend aussi de l’émotion que je mets dans chacun d’eux. Ce morceau est autant interprété que les autres.

C’est marrant parce que la première fois que je l’ai écoutée, cette piste m’a fait rire alors que les texte n’est pas spécialement marrant.

Bien sur, c’est fait pour ça ! Ca casse le côté sérieux du disque. La chanson d’avant c’est quand meme Derniers dans le monde, on est sur un truc apocalyptique puis finalement on envoie de l’amour à tout le monde !

As-tu une chanson préférée parmi les huit pistes de cet EP ?

Francis : Moi c’est « Film Sans Budget » !

Marc : Moi j’ai tendance à adorer « Sous ma peau » parce que c’est la chanson la plus premier degré et la plus efficace. On a mêlé des styles qui sont assez étranges. Les gars l’ont travaillée en mettant un beat UK garage, sur une chanson d’amour, je trouve ça assez bien pensé.

Personnellement, je pense que celle qui m’a saisie dès la première écoute, c’est « New York Times ». Dans cette chanson j’ai l’impression que l’auditeur est encore une fois un peu trompé. On ne sait pas vraiment si tu t’adresses à toi plus jeune ou si tu veux juste renvoyer un message d’espoir plus général à toute une jeunesse désabusée. Que souhaitais-tu réellement dire via cette chanson ?

Ce qui est intéressant quand j’écris des chansons c’est qu’il n’y a ni volonté ni message. Dans « New York Times » il n’y a pas d’autre sens que celui du refrain “demain y’aura mon nom dans le New York Times”. C’est à dire le message d’espoir le plus pur qui soit. Ca aurait aussi pu être “j’me voyais déjà en haut de l’affiche” comme Aznavour tu vois. La réussite est un thème récurrent de la chanson. J’me suis essayé à cet exercice et je suis content de ma proposition.

Je trouve qu’il y a d’ailleurs une deuxième ambivalence dans cette chanson. D’un côté tes projets dégagent beaucoup d’humilité, et de l’autre, quelqu’un qui prêterait juste l’oreille au refrain pourrait voir beaucoup d’orgueil de ta part.

Mais complètement ! Surtout chanté comme ça avec des notes grandes ouvertes, les gens pourraient se dire “mais il est fou le mec !”. D’un côté si tu es trop dans l’humilité tu es Jésus de Nazareth. Cette personnalité de Jésus est intéressante parce qu’il a créé toute une littérature de l’humilité et de la modestie. Et quand on vient d’un milieu modeste, c’est un des personnages qui s’en sort le mieux. Il a réussi à être immortel et on prononce encore son nom quotidiennement 2020 ans après. Mais d’un autre côté il ne faut pas non plus être trop humble, c’est important de chercher des espaces d’attraction. Alors quand tu mets ce refrain dans la bouche d’un mec un peu plouc qui vient de quitter Saint-Etienne pour Paname et qui a quelques trucs à dire mais qui ne chante pas très bien, ca donne forcément un truc assez comique.

Pour finir je voulais parler avec toi de la scène. A la sortie de Volume vous aviez fait beaucoup de premières parties. L’idée sur Fictions est-elle de faire plus de scènes dont tu serais headline (artiste principal) ?

On a une Maroquinerie le 12 novembre qui est un peu le point de départ du live de Fictions. Ca devrait découler sur des co-plateaux (plutôt que des premières parties) et des festivals. Peut-être qu’il y aura moins de concerts mais des plus longs et des mieux ! Ce disque est peut être celui qui déclenchera des lives en headline !

Il y a déjà des chansons de Fictions que tu joues depuis longtemps sur scène. Tu dois être pressé de pouvoir enfin dévoiler tout le projet ?

Ouais, carrément, je suis tellement pressé. On devait sortir la disque le 29 mai mais finalement c’était pas une si mauvaise idée d’avoir encore patienté. C’est un disque de rentrée et d’automne. Il est beaucoup moins solaire que Volume.

Enfin, je te vois souvent partager des projets d’artistes que tu chéris. En as-tu un à recommander aux lecteurs du Cargo ! ?

Tout à fait ! Celui de Ian Caulfield et de Hugo Pillard sous le nom de Trente. Ces projets sont ceux des potes que j’ai rencontrés au tout début à Paris. On a laissé les choses se faire et maintenant on commence à travailler ensemble. J’écris un peu avec Ian sur ses textes, et je travaille avec Hugo en images puisqu’il va faire des clips de Fictions. En fait, je pourrais même aller un peu plus loin et dire qu’on va organiser des soirées Fictions pour faire vivre un peu le projet courant octobre-novembre et j’ai envie de faire ça avec les copains justement. Je veux qu’on avance tous ensemble. Ca, ça me vient de mon éducation stéphanoise. Dans ma ville, on est toujours tous ensemble, on monte les uns avec les autres sans faire les choses dans notre coin. Je vais aussi essayé de travailler avec P.R2B qui est une artiste que j’apprécie beaucoup. Il y a une nouvelle scène formidable qui est en train de naître, j’ai l’impression d’en être et j’en suis plus que fier.

Nous sommes pressés de te voir aux côtés de ces artistes que nous apprécions également. Je pensais que tu me parlerais du nouvel album de Terrenoire tu vois !

J’aurais pu mais leur réputation n’est plus à faire ! (rires) Il y a aussi le nouveau projet de Zed Yun Pavarotti qui sort en octobre et celui de La Belle Vie en novembre. On se suit tous et même si on ne se voit pas tout le temps on avance ensemble et on se soutient.

P.-S.

Merci mille fois à Marc pour ces discussions à chaque fois un peu plus passionnantes et à Mélissa et Microqlima pour l’organisation de cette jolie soirée.

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publié par le 28/09/20