accueil > articles > albums > Lidwine de Royer

publié par Mélanie Fazi le 26/07/19
Lidwine de Royer Dupré
- Nocturne
Nocturne

Nocturne : un titre qui sonne comme une note d’intention ou une forme de promesse. Il y a deux ans, nous avions quitté Lidwine de Royer Dupré (à l’époque, Lidwine tout court) à l’aube d’un changement de vie et d’un abandon de la musique vécu davantage comme une libération qu’un renoncement. On n’attendait pas ce Nocturne-là, sous cette forme-là : non pas une continuation directe ni un projet parallèle mais une envie différente, née de la lecture d’un essai sur les légendes et superstitions normandes. Un projet écrit et enregistré seule, amené à n’exister que sous forme numérique et à n’être jamais transposé sur scène, restituant ainsi à Lidwine un espace de liberté créative totale.

Ode à la nuit

On hésiterait presque à vous décrire Nocturne tel qu’il est objectivement, tant une part essentielle du plaisir d’écoute tient à ce qu’on y projette. Quelque chose dans l’expérience nous renvoie à l’enfance, à la fascination que nous avions alors pour les contes et légendes, que nous mêlions ensuite à notre quotidien pour en faire la matière de nouvelles histoires. Nocturne réveille en nous ce même rapport au monde, cette invitation à laisser l’étrange s’insinuer dans l’ordinaire.

La consigne donnée par Lidwine de l’écouter au casque à la nuit tombée n’est pas qu’une simple lubie : il y a vraiment dans ces six titres une dimension particulière qui ne se révèle qu’après la tombée du jour, quand il n’y a plus d’horaires, de courses ou de corvées pour nous détourner de l’intensité de la musique, où l’on peut alors s’immerger pleinement. Quelque chose se déploie alors qui touche à la magie si particulière de la nuit et parvient à la capturer : la nuit qui ouvre les possibles et nous révèle à nous-mêmes, la nuit libératrice de ce qui est autre, de ce qui est caché, refuge des parias et de ceux qui vivent « en dehors », à l’instar des sorcières de « Sabbat » ou de la horde fantomatique de « Chasse Proserpine ». Le texte de « Fées », collage entêtant de fragments évocateurs, débute par cette phrase qui dit merveilleusement ce qu’éveillent en nous ces heures-là : « La nuit, il pousse des branches à nos désirs/Des jambes à nos rêves et des pieds à nos peut-êtres/La nuit, jaillissent des lianes de nos peurs/Poussent des ronces de nos hontes et des épines de nos regrets. »

Il se joue quelque chose ici de l’ordre de la mue. Un changement de matière dans l’inspiration, un changement de nom de scène, un retour à des sonorités uniquement électroniques en délaissant cette fois la harpe, l’abandon de l’anglais pour écrire dans la langue des légendes invoquées. Se défaire d’une ancienne peau comme on se redécouvre à l’approche de la nuit, quand la lumière emporte avec elle routines et conventions pour nous laisser face à nous-mêmes. Les chansons muent à leur tour, tirant vers une dimension plus narrative qu’autrefois, mystérieuse, évocatrice et viscérale tout à la fois. Les bruitages (dont un feulement de chat du plus bel effet) suggèrent un hors-champ, les sonorités se font plus lourdes, plus intrigantes qu’auparavant – mais jamais réellement inquiétantes, car jamais inquiètes vis-à-vis de la nuit. La voix adoptée est celle des créatures elles-mêmes, des femmes surtout, mais aussi, dans « Mort du dragon », celle de la bête qu’un humain tue sournoisement pour avoir voulu voir en elle un symbole du mal.

Songes d’une nuit d’été

De ces six titres, « Fées » nous fascine tout particulièrement par son pouvoir de suggestion. Tintements et murmures s’enchevêtrent en ouverture, puis le chant se déploie et le champ des possibles avec lui, reflétant l’inquiétude émerveillée qu’on peut associer à la féerie, avant qu’une sauvagerie feutrée ne s’empare du morceau pour l’entraîner – texte haché, voix habitée – vers un territoire plus trouble, comme on se laisserait détourner d’un chemin familier pour s’enfoncer dans des bois obscurs. Si l’on a souvent associé la musique de Lidwine à une forme d’onirisme, c’est la première fois qu’elle tend ouvertement vers le fantastique, et « Fées » en est sans doute l’exemple le plus frappant. « Mort du dragon » prend la forme d’une complainte lugubre et tragique, là où « Esprit tempête » a la force d’un chant incantatoire qui en appelle à l’orage pour balayer les promesses déçues d’un été mensonger. Au terme du parcours, « Aube » et ses trois minutes instrumentales capturent l’éblouissement de cette heure suspendue où le jour renaît sans effacer encore les sortilèges de la nuit écoulée.

Quelle belle et envoûtante promenade ce fut là. Qui aime profondément la nuit ne saura rester insensible à l’attraction de ces six rêveries méditatives. Qui aime l’étrange et les créatures fantastiques saura goûter ces tableaux où dragons, fées et sorcières résonnent avec nos espoirs et nos désirs. Une Lidwine nouvelle se dévoile ici, pour notre immense plaisir.

NB : Nocturne est en écoute et en vente sur la page Bandcamp de Lidwine de Royer Dupré, où vous trouverez également trois merveilles chroniquées ici même en leur temps : No Monkey EP, Before Our Lips Are Cold, A L I V E.

Partager :

publié par le 26/07/19