Il est des premiers albums qu’on ne peut pas aborder comme le fera l’auditeur novice poussant pour la première fois la porte d’un univers. Voilà déjà quatre ans que le nom de Lidwine a commencé à apparaître dans nos pages, à mesure que les matelots succombaient un par un aux charmes de sa musique (dans le sens le plus sorcier du terme). Deux ans pour ma part que j’ai fait la connaissance de cette voix et de cette harpe un soir d’été, dans un jardin, lors d’un concert minimaliste et envoûtant. Cette voix si singulière et souvent retrouvée depuis, de concerts touchants en EPs enchanteurs. Tout en sachant qu’il nous serait impossible d’écouter cet album d’une oreille vierge, nous nous attendions à être surpris. Car si nous connaissions certaines de ces chansons dans des versions acoustiques et dépouillées, Before our lips are cold était annoncé comme le retour de Lidwine à des sonorités plus électroniques, territoire déjà exploré sur son premier EP Lw.
Phare dans la brume
Ainsi entre-t-on sur la pointe des pieds dans cet album qui demande à se laisser doucement apprivoiser. Non que ces dix chansons soient d’un abord difficile ; mais c’est l’une des caractéristiques de la musique de Lidwine, paradoxalement si immédiate sur scène, de nécessiter qu’on prenne le temps de s’en imprégner. La surprise n’en est que plus belle lorsque, effeuillant une par une les couches sonores qui composent ces chansons, on découvre en dessous les émotions vives et belles qui font vibrer une corde en nous, sans qu’on sache toujours bien les nommer. Mais une chanson, une perle, nous appelle dès la première écoute tel un phare dans la brume : ce « Blow the horns » qui nous enchantait déjà sur scène, lorsque Lidwine descendait dans le public avec sa harpe, accompagnée du chœur céleste de ses amies. Souvenir précieux qu’on retrouve intact ici, dans le lyrisme poignant d’une chanson qui s’offre à nous sans fard, comme en écho à son beau texte appelant à l’abandon total.
Palette de dégradés
Au fil des écoutes, Before our lips are cold s’installe chez vous sans bruit ni fureur, déploie tranquillement sa palette d’émotions. Les chansons de Lidwine sont des tableaux aux couches multiples où l’on distingue peu à peu les détails. Elles préfèrent les dégradés subtils aux couleurs criardes, évoquent des volutes de fumée qui s’élèvent doucement pour nous envelopper. Ce qui fait la beauté de cet album se dérobe à la perception comme à l’expression. Il se cache entre les lignes, cousu dans la doublure des morceaux. Quelque chose de fugace qu’on manque saisir au vol et qui nous parle pourtant. Une quête de moments de grâce et de transcendance, peut-être, en écho à ces textes qui parlent de communion avec le monde, avec les autres, d’une recherche de sérénité et de chaos mêlés (« Back and forth »), de renaissance possible dans des eaux troubles dont on ressort immaculé (« The Pool »). Les mélodies sont délicates mais jamais éthérées – la voix possède assez de chair et de présence pour les garder solidement ancrées dans la terre.
Onirisme feutré
On se surprend par moments à évoquer l’ombre de Kate Bush. Pas celle des exubérances barrées de The Dreaming, plutôt celle du plus mélodieux Hounds of Love. Un même mystère feutré dans les ambiances, un même onirisme dans les chœurs et les textures sonores – particulièrement dans des morceaux comme « Before our lips are cold » et « The boy behind the man » dont les chœurs et la rythmique lorgnent vers le tribal. Le phrasé de Lidwine joue sans doute beaucoup dans cette impression : elle partage avec Kate Bush, comme d’ailleurs avec Björk à qui on la compare souvent, une même manière de poser sa voix en léger décalage, sur les couplets tout en méandres davantage que sur les refrains plus directs, une façon aussi d’adapter la mélodie à son chant plutôt que l’inverse.
Douce incandescence
Quelques semaines après avoir timidement poussé la porte de cet album, ces chansons sont déjà nôtres. « Blow the horns » qui nous émeut aussi profondément qu’avait pu le faire « In The Half-Light » sur les deux EPs ; « Patterns on the panes » à la mélodie sinueuse et « Before our lips are cold » au souffle contagieux, et tous les autres, dans leur douce incandescence. La flamme qui brûle sous leur surface se mérite de prime abord, mais elle est tenace et chaleureuse. Et cet album attendu se révèle un beau jalon de plus sur un chemin qui a su, jusqu’ici, tenir toutes ses promesses, et qui laisse espérer bien plus encore.
J’attendais cette chronique presque aussi impatiemment que l’album auquel elle est consacrée.
Nul doute, ta plume fait encore mouche.
Un article superbe pour un album qui fait déjà partie de ma discothèque idéale.