All Tomorrow’s Partie 2009.
Depuis plusieurs jours nous sommes sur la route, en Angleterre, avec Josh T. Pearson qui tourne avec le batteur des Lift To Experience, Andy. Ils sont invités par les Dirty Three au mythique et regretté festival All Tomorrow’s Partie.
Quelques jours plus tard, pour la dernière soirée de cette mini tournée, Josh ouvre tout seul pour les Dirty Three qui joue au Southbank Center. Ce même lieu où, 10 ans avant, Nick Cave avait invité, entre autres, Nina Simone et les Dirty Three. La soirée qui est à l’origine du premier livre de Warren Ellis : “Le chewing-gum de Nina Simone”. Nous pourrions continuer longtemps les hasards, les croisements, les coïncidences qui n’en sont peut être pas autour de ces différents artistes. Il me reste beaucoup de souvenirs de ces quelques jours sur la route avec le Pearson et ses amis ! Si nous restons sur le sujet qui nous intéresse je me souviens de l’incroyable concert des Dirty Three aux Butlin’s pour l’ATP, Dirty Three que je voyais pour la première fois. Du coté aussi magnétique que sensuel de Warren Ellis sur scène jouant du violon comme je n’avais jamais vu ! Quelques jours après on se retrouve dans les loges du concert londonien après une soirée mémorable, unique. Beaucoup de monde se bouscule dans les petites loges, dont Nick Cave avec qui ma seule interaction sera de lui dire “sorry” pour qu’il se pousse et me laisse atteindre le frigidaire et les bières !
Quelques mois plus tard, Josh, qui vit à Paris au dessus de la cultissime crêperie “West Country Girl” (comme je vous le disais, tout est relié, on ne peut plus croire aux coïncidences !!), commence à travailler sur son premier album solo. Il enregistre de temps en temps soit dans sa chambre, soit dans un studio voisin. Une journée comme les autres je reçois un coup de fil, soit de Josh, soit de Peter son manager, je ne sais plus. Tu as ta caméra ? Tu as une heure ? Tu peux venir maintenant tout de suite ? Je suis en studio avec Warren Ellis… Je cours, j’accours pour filmer la seule trace qui existe du duo entre les deux barbus. Pas de temps à perdre, on ne se dit pas bonjour. Ils jouent à peine je suis rentré dans le tout petit studio. Je filme. Pas eu le temps d’être impressionné, pas eu le temps de me dire bordel je suis en train de filmer Warren Ellis…
Et pourtant le bonhomme impressionne. Par sa silhouette, par son regard parfois dur (regardez donc la vidéo ci dessus). Par sa carrière bien évidemment. Par son talent, c’est rien de le dire ! Depuis j’ai croisé plusieurs fois Warren dans le public de certains concerts, dans les backstage de Pj Harvey ou de Nick Cave & les Bad Seeds ou tout simplement chez lui. L’impression reste la même. Warren impressionne toujours. C’est quelqu’un de doux et posé, de curieux, curieux du monde et des gens, mais c’est aussi quelqu’un d’impressionnant. De charismatique. Même quand il est là avec vous, quand vous parlez avec lui vous avez toujours l’impression que Warren est en observation, d’un regard d’aigle acéré, qu’il prend une certaine distance avec ce qu’il se passe. Comme à cette soirée slam chez lui, pas mal d’invités, des amis, des connaissances. Le temps des lectures Warren prend de la hauteur sur une mezzanine au dessus de la pièce. Deux grands fauteuils surplombent la salle. Deux fauteuils occupés par deux personnes qui pour différentes raisons ne se fondent pas facilement dans la masse. Des personnes à qui il faut du temps. Qui ont besoin d’observer avant de donner. Et c’est très bien ainsi. Mais à la fin des lectures, Warren fera attention à tous et à chacun, que tout le monde ait quelque chose à boire, que tous se sentent bien. Une grande bienveillance jamais ostentatoire !
Docteur Simone
C’est donc le soir du concert de Nina Simone que tout commence pour ce qui deviendra le livre dont je viens de refermer la dernière page. C’est une expérience hors du commun que d’ouvrir "Le Chewing-gum de Nina Simone" et de s’y abandonner. Je ne savais pas à quoi m’attendre, ayant soigneusement évité les différents articles ou avis qui sont sortis sur le premier livre de Warren. Avec ce titre on pouvait se demander si c’était un roman, une autobiographie ou vraiment un essai sur LE chewing-gum de l’une des plus grandes artistes du 20e siècle. A la dernière page du livre je me demande si ce n’est pas tout cela et bien plus encore ! Ce soir là, à la fin d’un concert que nous aurions adoré voir, vivre, Warren fonce sur la scène, à peine le Docteur Simone, comme on doit l’appeler à sa demande, quitte la scène. Il récupère la serviette et le chewing-gum de Nina Simone qu’elle a déposé juste avant de commencer ce qui sera, selon ses dires, l’un des plus beaux concerts qu’il a vu !
Une fiction ?
Le livre est tellement fou que l’on se demande régulièrement si Warren Ellis ne va pas, dans un tour de passe passe nous faire comprendre qu’il a inventé tout cela. Que tout cela est trop fou, trop beau, trop fort pour être vrai. Que c’est pour lui une manière pudique de parler de la passion, de celle qui dévore, de celle qui devient indispensable à la vie, à la survie. De celle qui vous dit “tu ne peux pas faire autrement”. L’histoire du chewing-gum de Nina Simone, c’est aussi l’histoire de Warren avec la musique. Une histoire où l’on croise bien des personnages. Evidemment ses amis musiciens et artistes, Nick Cave en tête. Mais aussi de fascinants artisans. Warren Ellis arrive à Londres chez Hannah Upritchard qui doit reproduire le fameux chewing-gum. Ellis est trempé par la pluie quand il présente à la jeune créatrice ce qui est pour lui le Saint Graal. C’est une scène de film, un film un peu fou. Mais ce n’est pas une comédie. Pas du tout. Car ce qui est fascinant c’est la sincérité de la dévotion de Warren Ellis pour cet objet incongru, presque insignifiant. Un petit objet que l’on ne voit pas, que l’on jette sitôt consommé, que l’on retrouve collé sur les trottoirs de toutes les villes du monde et qui devient ici un objet de culte. Et ce qui est beau c’est que l’on sent que chaque personne qui croise le chemin de Warren et surtout de ce chewing-gum ne se moque jamais du Chewing-gum, de son propriétaire et du rapport qu’il entretient avec ce tout petit objet. Un objet devenu sacré, que l’on va même exposer derrière des verres sécurisés, comme on expose une statue précieuse, des bijoux ou tout autre objet inestimable. Chaque personne que l’on croise dans le libre comprend les enjeux, les symboles qui se cachent à l’intérieur de cet objet destiné en temps “normal” à finir au fond d’une poubelle. Cela pose évidemment la question qui traverse l’œuvre de Marcel Duchamp, qu’est ce que le sacré, qu’est ce qu’une œuvre d’art ? Et ce livre peut apporter une petite pierre à l’édifice de cette ô combien complexe question !
Une autobiographie ?
Warren Ellis le dit très vite, il n’aime pas les autobiographies d’artistes, surtout celles des musiciens. A quelques exceptions, on ne peut pas lui donner tort. Mais ce n’est pas pour autant que l’australien ne parle pas de lui, d’ailleurs le livre ne fait que cela, souvent par des chemins détournées, avec beaucoup de pudeur et surtout de lucidité sur un parcours hors norme. Warren Ellis sème des petits cailloux, des indices, au fil des pages et de courtes anecdotes qui nous donneront quelques éléments sur sa vie d’artiste, de bohème, de l’Australie à Londres et enfin en banlieue parisienne où il est installé depuis de nombreuses années. Ses rencontres, sa façon de voir la vie, les gens, la musique qui bien plus qu’une passion est sa colonne vertébrale… A t’on vraiment besoin d’en savoir plus, n’est ce pas fascinant de se dire qu’un homme se livre peut être plus sur ce qu’il est, sur le feu qui l’anime, sur ses doutes, ses questions, sur son rapport aux autres, au sacré, à la musique, à la vie en nous parlant de cette histoire un peu folle autour d’un Chewing-gum récupéré sur un piano, un soir après un concert que si il nous avait détaillé son enfance, son parcours, sa vie entre les studios et la scène. C’est avec pudeur que Warren Ellis se livre. Un homme conscient de ce qu’il a parcouru, de ce qu’il est aujourd’hui.
Un essai ?
Sur le chewing-gum du docteur Simone ? A partir de ce geste, un geste de fan inconditionnel et sur le moment un peu fétichiste… en fait non pas sur le moment, vous verrez au fil des pages comme Warren Ellis est fétichiste des objets. Il a d’ailleurs un rapport étrange car très entier avec certains objets un violon, comme on peut facilement l’imaginer, des chaussures mais aussi toutes sortes d’objets trouvés et retrouvés tout au long de sa vie. Il nous les raconte, en fait des listes, nous explique leur histoire. Mais dans le même temps quand ces objets, s’usent, s’abîment, disparaissent Warren passe à autre chose. Ce fétichisme confine parfois à la superstition, à ce qui pourrait porter chance, à des habitudes aussi pour appréhender la scène, des trucs, des tocs, des tics comme le nombre de boutons ouverts d’une chemise ou d’une paire de chaussure. Appelez cela comme vous voulez. Un geste de fan donc, comme celui qui demande un autographe, comme celui qui attend des heures à la sortie d’un hôtel ou d’un concert. Comme celui qui collectionne religieusement ce qui ce rapporte à l’artiste qu’il aime ! Warren Ellis qui a joué sur toutes les scènes du monde, croisé certainement la plupart des artistes de ces 40 dernières années peut rester un fan. Tout comme Nick Cave. Il suffit de voir la photo prise backstage de Nick Cave avec le Docteur Simone. Sa manière de se tenir, ses lunettes, son sourire, son regard. Vous ne le verrez pas souvent comme cela. Rester un fan n’a rien de déshonorant. C’est aussi rester un passionné, un être animé par la passion, c’est rester un enfant, c’est ne pas oublier que tout cela n’est que de la musique, mais que parfois la musique est tout. Elle est indispensable, elle est notre oxygène, notre compagnon le plus fidèle, elle est nos émotions, nos larmes et nos rires. Impossible de monter sur scène en oubliant cela, en oubliant tout ce que contient cet incroyable talisman qu’est le Chewing-gum de Nina Simone. Impossible de partager sa passion si on oublie l’essentiel. Si on oublie d’où l’on vient et ce qui nous anime.
Il faut lire “le Chewing-gum de Nina Simone”. Il faut s’y plonger, s’y abandonner, comme on le fait en écoutant la musique du Docteur Simone, celle de Warren Ellis ou de Nick Cave. Il faut se laisser submerger par les émotions brutes, la passion dans tous les sens du terme, de celle qui confine parfois à la folie, à l’absurde mais aussi et surtout à la beauté, à l’abandon pour accéder à une forme de sincérité. Vous y verrez que l’on peut être vraiment soi face aux autres, se donner (c’est ce que Warren Ellis fait quand il parle de ce drôle de Chewing-gum qu’il garde depuis tant d’années, quand il en parle à ses amis, à des artisans qu’il rencontre, quand il le montre pour la première fois et même quand il le confie). Qu’il ne faut jamais avoir peur du ridicule quand on est sincère, quand on est entier. Il faut faire ce que votre cœur vous dit de faire. C’est une… j’allais dire une des leçons, mais ce n’est pas le mot. Ce livre ne donne jamais de leçon. Ce n’est pas une vérité assénée par un vieux sage un peu prétentieux, c’est tout le contraire. C’est ce que l’on ressent à la lecture de ce récit aussi fou que généreux d’un homme qui est resté un éternel passionné. Merci Mister Ellis !
Un très grand merci aux Editions de la Table Ronde et à Anne-Lucie Bonniel.