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publié par Mélanie Fazi le 06/06/16
PJ Harvey - We Love Green, Vincennes - 05/06/2016
We Love Green, Vincennes

Au fil des années, au fil des tournées, on avait déjà vécu tout un tas d’émotions intenses et variées lors des concerts de PJ Harvey. Mais jamais encore on n’avait été ému aux larmes comme on le fut hier soir au festival We Love Green lors du final sur « River Anacostia ».

Revenons une heure en arrière. La journée avait été longue, quoique moins éprouvante que prévu compte tenu de la météo quelque peu boueuse. La nuit tombait à peine et l’on voyait installer sur la scène une impressionnante machine de guerre : pas moins de deux batteries arborant les armes du dernier album, plusieurs guitares, saxophones et claviers, cinq micros alignés sur le devant de la scène. Les lumières s’éteignent, le public s’impatiente sans comprendre pourquoi le groupe n’arrive toujours pas.

Cortège funèbre

Et puis les voilà qui entrent, un par un, à la file, comme une fanfare au rythme lent de cortège funèbre. Ils sont dix, certains munis de grosses caisses, d’autres de saxophones, et entonnent en chemin les premières notes de « Chain of Keys ». Sublime entrée en matière qui annonce d’emblée ce qui va suivre ; les règles habituelles des concerts de festival ne seront pas de mise ce soir. Davantage encore que sur la tournée Let England Shake qui amorçait déjà un tournant, on est ici dans une démarche plus théâtrale et narrative qu’auparavant. C’est qu’il ne s’agit plus, depuis deux albums, d’explorer des tourments relevant de l’intime mais de porter un regard sur le monde et les atrocités qui s’y commettent. Lors d’une première partie alternant des chansons de ces deux albums-là, on s’émerveille une fois de plus de l’audace qui pousse à écrire ces refrains entêtants que l’on reprend en chœur tout en se rappelant soudain la dureté des mots et les horreurs dont ils témoignent – ces enfants disparus (« The Wheel »), ce quartier rasé pour construire un supermarché (« The Community of Hope »), ces bras et ces jambes qu’on retrouve accrochés dans les arbres (« The Words That Maketh Murder »).

Si l’on attendait avec une grande curiosité de découvrir en live la transposition des chansons de The Hope Six Demolition Project, on n’avait pas anticipé une telle richesse ni une telle nuance dans le son. La configuration du groupe permet un grand nombre de permutations entre les musiciens. Selon les morceaux, on entendra parfois jusqu’à trois guitares ou trois saxophones à la fois. Les cuivres et percussions, qui occupent une place centrale sur l’album, prennent ici une dimension supplémentaire et donnent une vraie chaleur aux arrangements (sur « Medicinals » notamment). L’impression qui en ressort, plus encore que sur album, est celle d’un corpus conçu avant tout comme une œuvre chorale. Loin de se mettre en avant, PJ Harvey elle-même semble se fondre dans ce chœur quand elle ne dialogue pas avec lui pour le prendre à témoin. À plusieurs reprises, notamment lors de l’arrivée du cortège, elle s’efface au sein du groupe pour jouer du saxophone. Sa démarche même semble transformée : au rapport plus direct qu’on lui a souvent connu avec le public en succède un autre, plus théâtral mais aussi plus narratif. Elle a régulièrement, pour appuyer les détails de ses textes, des gestes de tragédienne grecque, bras tendus vers le ciel ou visage caché derrière ses mains.

D’autres souvenirs

Au milieu de ce répertoire dont la densité sonore impressionne, quelques chansons plus anciennes se fraient un chemin discret. Un très beau « When Under Ether » où le piano cède la place à deux guitares ; un « 50 Ft Queenie » presque incongru mais finalement jubilatoire où elle vient héler le public à l’avant de la scène, et qui nous fait prendre conscience de l’incroyable maturité qu’a gagné sa musique depuis. Seule petite réserve (quoique le public surexcité n’ait pas semblé du même avis), un « Down By The Water » qui paraît, avec le temps, de moins en moins à sa place lors de ses concerts. Peut-être l’a-t-on simplement trop entendu.

Vers la fin, un autre classique fait vibrer quelques souvenirs : ce « To Bring You My Love » dont on ne se lassera en revanche jamais. L’image de John Parish penché sur sa Jazzmaster pour jouer le riff d’ouverture arrête le temps quelques instants. On l’a si souvent vu jouer ce riff-là, pour accompagner cette voix-là – et un concert nous revient en particulier, un soir de décembre 98 à la Cigale, qui s’était fini sur cette chanson accueillie par un silence religieux. Un concert dont on reparle encore longtemps après comme du plus intense qu’on ait jamais vécu. Si la conscience du temps passé avec cette chanson nous émeut un instant, son final nous emporte ailleurs, dans la douceur d’arrangements de cuivres aussi enchanteurs qu’inédits.

Chœurs gospel

Quand lui succède un « River Anacostia » qui semble le prolonger tout naturellement, on comprend qu’on est en train de vivre un autre de ces moments qu’on se rappellera longtemps. Les chœurs gospel de son final sont déjà superbes sur album ; sur scène, dans ce qu’on pressent comme un au revoir, ils prennent aux tripes et bouleversent jusqu’aux larmes. Et les voilà, tous les dix, qui repartent comme ils étaient arrivés, en nous laissant sonnés, profondément émus. Le chœur de « River Anacostia » résonnera à nos oreilles jusqu’au trajet du retour. On croise en chemin des regards ébahis, on échange quelques mots pour en être bien sûr : on n’a décidément pas rêvé ce pur moment de grâce.

Voir s’affiner sous nos yeux une démarche qui s’esquissait déjà sur la tournée précédente, mais qui est ici poussée beaucoup plus loin, ne fut pas le moindre des miracles auxquels on assista hier soir. La configuration du groupe et notre mémoire défaillante ne nous permettant pas d’associer chacun des musiciens aux différents rôles qu’il tenait sur scène, nous nous contenterons de les citer pour n’oublier personne : John Parish, Mick Harvey, Jean-Marc Butty, James Johnston, Terry Edwards, Alain Johannes, Kenrick Rowe, Alessandro Stefana, Enrico Gabrielli. Un grand merci, un grand bravo à chacun d’entre eux pour avoir teinté de leurs couleurs ce concert impressionnant.

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publié par le 06/06/16