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publié par Mélanie Fazi le 19/05/16
Pauline Drand
- I See Beauty - 4 Poems From Karen Dalton
I See Beauty - 4 Poems From Karen Dalton

Il y a quelques mois, un soir où Pauline Drand interprétait une poignée de chansons dans un atelier chaleureux mais pas forcément taillé pour les concerts, on s’était étonné de voir soudain le temps s’arrêter. On ne s’y était pas attendu ce soir-là, dans ce décor où l’on s’entassait tant bien que mal assis par terre, et l’on s’était demandé comment, armée seulement de sa voix et d’une guitare, elle avait accompli ce prodige-là. Ce souvenir nous est revenu en découvrant ce nouvel EP adapté de quatre poèmes inédits de Karen Dalton. Le même saisissement nous reprit et l’on se demanda, une fois de plus : comment Pauline Drand fait-elle ça ? Comment parvient-elle, avec si peu d’effets, à dilater le temps, à faire naître des espaces entre les mots, à effacer le décor autour de nous ?

Racines et tradition

Ici comme sur son très beau double EP paru en deux versions (l’édition bleue, l’édition rouge), la musique de Pauline Drand s’inscrit dans une tradition ancienne, celle du folk ancestral à guitare où les voix mises à nues s’habillent de trois accords. Lorsqu’elle reprend, en l’adaptant, le travail d’autres artistes, c’est Nick Drake ou Karen Dalton, ce qui donne déjà le ton. Mais là où d’autres se contentent d’imiter le son d’époques révolues, elle y cherche sa propre place, elle y prend racine et y déploie peu à peu sa voix. Il y a de fait, dans ses chansons, quelque chose d’intemporel. Mais c’est aussi une musique d’ici et maintenant, celle d’une jeune femme de notre époque qui est habitée par les voix du passé mais qui refuse de s’y enfermer.

La voix derrière la voix

On retrouve brièvement l’impression troublante, déjà vécue sur le premier EP, d’entendre parfois une « voix derrière la voix » qui remonterait à loin. Cette voix-là est sans doute aussi celle de Karen Dalton, dont elle épouse ici les mots pour nous les faire redécouvrir. L’un des écueils souvent rencontrés par les artistes non-anglophones qui s’expriment en anglais (remarque d’ailleurs valable pour toutes les autres langues), c’est celui d’une barrière entre le texte et le chant qui tient l’émotion à distance. Ce n’est pas une question d’accent, seulement de familiarité avec la matière de la langue. C’est ce que l’on craignait un peu en s’aventurant ici. Mais sur le refrain superbe de « Topanga Canyon » ou sur un « I See Beauty » enchanteur, la voix de Pauline Drand fait résonner toute la beauté du poème. Un vrai dialogue se noue entre ces mots et cette voix, au-delà de la barrière du temps et de celle de la langue. Lorsqu’elle nous parle, sur « I See Beauty », d’une sagesse ignorée, d’une vérité cachée qu’elle souhaiterait nous transmettre, c’est exactement ce qu’il nous semble entendre. Les accords de guitare qui soutiennent les mots sont caressants, riches d’échos et renforcent l’émotion par leur nudité même.

Cette grâce après laquelle d’autres artistes passent leur temps à courir, Pauline Drand la possède naturellement. Quelque chose s’affine ici, une assurance, une maturité, qui augure de fort belles choses pour l’album à venir, dont les premiers titres entendus en live sont superbes. En attendant, la parenthèse est belle et précieuse. Un EP envoûtant à découvrir, et surtout à soutenir, ici même.

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publié par le 19/05/16