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publié par Cathimini le 04/01/18
Paul Roland - Voyage au pays du vaudou

Paul Roland est l’un des secrets les mieux gardés d’Angleterre, invisible en France depuis 1992 alors que son hyperactivité en a fait un musicien, écrivain, journaliste, historien, biographe, cartomancien (et père de famille) des plus prolifiques de sa génération !

Il faut lire l’italien ou l’allemand pour pouvoir prendre des nouvelles régulièrement de cet infatigable créateur d’histoires à dormir debout, amateur de rock et de musique baroque, nourri de de littérature et de cinéma fantastique… ou alors être abonné au fanzine Abus Dangereux qui se fait son relais depuis l’époque New Rose et le délicieux Cabinet of curiosities jusqu’à l’impeccable Bitter and Twisted qui a squatté la platine des amateurs de rock psychédélique avertis tout 2015.

Paul Roland a sorti son 20ème album, inspiré par le vaudou auquel l’a initié Dr John himself. Un projet qui lui a pris trois ans de sa vie et marque un tournant dans sa carrière grâce à la rencontre d’une équipe de producteurs et de musiciens italiens qui l’ont poussé à bout, lui révélant de nouvelles manières de travailler, de nouvelles sonorités à explorer et de nouvelles perspectives aussi excitantes qu’exigeantes pour le compositeur accompli qu’il est devenu.

Ainsi en écoutant White Zombie, on comprend que Paul Roland a trouvé un nouveau terrain de jeu où il va faire coexister le garage 60’s et l’inspiration classique qui lui sont chers avec un univers nouveau qui lui a été révélé en se prêtant au jeu de l’incantation vaudou. De cette expérience assez traumatisante mais bien réelle, il a gardé un florilège de percussions africaines et des psalmodies rituelles dans une sorte de créole inspiré du français. Quelques chansons comme « The Summoner of souls » avec sa flute ensorceleuse, la lumineuse ballade psychédélique « Wake Madalena, Wake » et le non moins baroque « 20 years ago » sont autant de balises puisées dans le registre baroque du chantre anglais. Mais ce ne sont que des pics rocheux trouant la canopée de l’album, car tout le reste est empreint de la lourde moiteur de la jungle résonant de sonorités maléfiques et de voix caverneuses, aux pouvoirs incertains. Tout est génialement cinématique jusqu’au terrible « Mambo Jo » avec ses solos hardos de guitare électrique en arrière-plan qui fait à peu près le même effet que la chanson du générique du Dracula de Coppola après deux heures d’enchantement éveillé. Vous l’aurez compris, White Zombie est un album à part dans la carrière de Paul Roland, qui aurait pu être une musique de film mais qui n’en est pas une, bien que le 7ème art soit une source d’inspiration non négligeable, comme le prouve l’entretien qui suit.

Noël est un moment privilégié pour regarder des films qui font peur sous la couette. Que nous recommanderais-tu pour passer de 2017 à 2018 en bonne compagnie ?

1) La 9ème Porte de Polanski (The Ninth Gate) où Johnny Depp part à la recherche d’un grimoire aux pouvoirs magiques.

2) Les Vierges de Satan de Terrence Fisher (The Devil Rides Out), un des rares films de la Hammer à prendre la magie au sérieux.

3) Rendez-vous avec la peur de Jacques Tourneur (The Curse of the Demon aka Night of the Demon). Mr Meek m’a inspiré la chanson « Walter the Occultist ».

4) Pacte avec le Diable de Cyril Frankel (The Witches), un autre film de la Hammer qui m’a inspiré une autre chanson.

5) Les Sévices de Dracula de John Hough (Twins of Evil). Encore un film gothique de la Hammer à regarder, ne serait-ce que pour la messe noire et la résurrection de la comtesse.

6) Au coeur de la nuit (film à sketches réalisé par Alberto Cavalcanti, Charles Crichton, Basil Dearden et Robert Hamer), connu surtout pour l’épisode du ventriloque qui est devenu une source intarissable d’inspiration depuis 1945.

7) La Maison de Frankenstein de Erle C. Kenton (House of Frankenstein). Le premier film d’horreur que j’ai vu de ma vie et qui m’a fait tomber amoureux du genre, même si c’est un Universal ’B’ movie.

8) Dr Jekyll et Sister Hyde de Roy Ward Baker (Dr Jekyll and Sister Hyde). Encore un film de la Hammer plein d’ironie et de tonnes de clichés victoriens.

9) Meurtre par décret de Bob Clark (Murder By Decree), une excellente enquête de Holmes sur Jack l’éventreur, inspirée du livre de Stephen Knight Jack The Ripper, the final solution.

10) La Compagnie des loups de Neil Jordan (Company of Wolves). Plus un conte de fée qu’un veritable film d’horreur mais je vous défie de regarder la transformation de l’homme en loup pendant le réveillon.

White Zombie n’est pas dans la liste ? Comment expliques-tu qu’il t’ait inspiré au point de vouloir lui écrire une bande originale ?

Il est vrai que c’est un peu lent, le jeu est guindé et ce n’est pas un film muet. Mais je trouve que certaines scènes sont incroyables d’un point de vue visuel. Il y a une atmosphère onirique, certainement due au fait qu’ils ont dû utiliser les décors du Dracula que Tod Browning venait juste de finir pour pouvoir tenir le budget. Le vrai problème est la bande son, tellement mauvaise qu’on entend à peine ce que disent les acteurs et puis il n’y a pas de musique digne de ce nom. Il me semblait que c’est ce qui manquait pour donner toute sa dimension à la présence de Bela Lugosi dans ces magnifiques décors gothiques. J’ai donc voulu m’y essayer !

Avec Max Marchini.

En comparaison à d’autres films sur le vaudou, il offre peu de scènes sur les rites, excepté la poupée que sculpte le personnage qu’incarne Bela Lugosi. Avais-tu envie de combler ce vide avec les « chants » que tu as créés ?

Les chants et la musique qui les accompagne avaient pour but de créer une atmosphère sinistre, une présence menaçante qui est bizarrement absente du film lui-même. J’ai attiré ces « chants » à moi – au départ sans paroles – grâce à un shaman. Il m’a expliqué qu’il s’agissait de « power songs » créées de manière inconsciente pour nous permettre de communiquer avec les anciens dieux et les esprits de la nature, comme le faisaient nos ancêtres avant d’inventer les instruments de musique chromatiques. Donc ces chants ne sont pas juste des thèmes pour film d’horreur, mais de véritables incantations magiques et je trouvais qu’ils convenaient parfaitement à un film qui évoque les rites tribaux primitifs. Cependant je n’ai gardé que très occasionnellement ma voix d’origine, les flûtes et les marimbas qui les accompagnaient. Max Marchini, le patron du label The Dark Companion Record et Alberto Caligari, le producteur, trouvaient que les démos que je leur avais fournies étaient trop « électroniques ». Ils ont tout réenregistré avec de vraies percussions pour que ça sonne vraiment tribal et ils avaient totalement raison.

Si j’ai bien compris la personne qui invoque les esprits (« Summoner of souls ») est Bela Lugosi que l’on entend de ci de là dans le disque. Lui ou ses personnages reviennent assez souvent dans tes chansons, qu’est ce qui te fascine chez lui ?

C’était un acteur de théâtre célèbre et respecté en Hongrie. Je ne sais pas exactement quelles circonstances l’ont amené à jouer dans des films de seconde zone qui n’ont pas rendu justice à ses compétences et nous ont donné une fausse image de lui. Regarde-le interpréter Igor dans Le fils de Frankenstein ! Tu te rends compte combien il pouvait être un acteur accompli, pour peu qu’il ait un bon scénario et soit bien dirigé. Mais il maîtrisait mal l’anglais et devait apprendre son texte phonétiquement, ce qui a donné ce débit saccadé allié à un fort accent étranger… qui a fait son succès dans les films d’horreur anglais et américains de l’époque.

La promotion du disque tourne autour de White zombie, mais il me semble que certaines chansons t’ont été inspirées par d’autres sources que le film …

Mon intention au départ était de compléter les instrumentaux uniquement avec des morceaux chantés par des personnes de couleur, adaptés des « power songs » dont nous avons parlé plus haut. Mais Max Marchini m’a persuadé d’écrire des chansons et de les interpréter moi-même pour que cet album tienne debout tout seul et ne soit pas juste une bande son désincarnée. J’avais bien les images du film en tête quand je m’y suis mis, mais je trouvais restrictif de n’écrire que sur les personnages ou les scènes les plus emblématiques du film. Donc « Wake Madeleine Wake » fait référence à l’héroïne sous l’emprise de Bela Lugosi, qui est le fameux « Summoner of souls ». « 20 years ago » m’a été inspiré par le pasteur tandis que « Sugar Mill scene » a un titre suffisamment explicite pour que tu saches à quelle scène je me réfère. Je crois que si j’avais voulu me cantonner au film, je serais vite arrivé à court d’idées et je serais encore en train de chercher des textes pour mes chansons. Du coup j’ai déterré quelques vieilles démos que j’ai adaptées, j’ai fouillé dans de vieux morceaux blues pour renouveler mon inspiration et revu quelques autres films comme The Skeleton Key (La Porte des secrets de Iain Softley sorti en 2005 ndla), de manière à obtenir une certaine unité destinée à évoquer l’atmosphère particulière de Haïti et ses mystères.

Peux-tu préciser la différence que tu as faite entre les chansons et les « chants » dont les paroles ne sont pas retranscrites dans le livret ?

Les chants sont des motifs répétitifs basés sur une seule phrase mélodique qui ne permettent pas de développement. J’ai fait un CD pour les membres de mon fan club (Paul Roland Appreciation Society) sur lequel j’ai ajouté d’autres instruments et ai alterné des phrases chantées avec de petits instrumentaux qui peuvent s’entendre comme des morceaux. Elles tournent en boucle, ce qui donne un effet hypnotique très efficace, mais je ne peux pas appeler ça des chansons. Les chansons utilisent des suites d’accords de manière à créer une histoire ou décrire une scène car la musique change continuellement. La plus grande partie du processus de départ est intuitif mais de bonnes paroles demandent un peu plus de travail pour être de qualité. J’ai lu que Dylan Thomas pouvait passer un an sur un seul vers jusqu’à ce qu’il trouve les mots et l’ordonnancement parfait (pendant qu’il travaillait sur d’autres poèmes en parallèle bien sûr) Je n’en suis jamais arrivé à de telles extrémités, mais je sais être persévérant aussi car trouver le mot juste vaut toute la peine qu’on peut se donner pour lui. J’ai toujours mené mes recherches avec sérieux et cela a toujours eu un effet bénéfique sur la force de mes chansons et l’imaginaire qu’elles suscitent. J’ai enregistré la musique de l’équivalent de deux albums qui attendent juste que je trouve le bon sujet pour écrire leurs paroles.

Qui est Paola Tagliaferro qui joue la prêtresse. Comment avez-vous travaillé ensemble pour qu’elle soit aussi crédible dans son rôle ?

C’est une révélation, n’est-ce pas ? Je ne la connaissais pas avant de démarrer le projet. C’est Max qui s’est occupé du choix des musiciens et des chanteurs. Pratiquement tout le monde connaissait ma musique avant de commencer à travailler avec moi, et moi je ne connaissais personne. C’était assez étrange comme sentiment… Dès que j’ai entendu cette voix grave et envoûtante, j’ai su qu’elle allait jouer un rôle important dans ce disque ! Elle était très emballée par la possibilité de chanter en créole et en français et a travaillé dur pour s’approprier les intonations justes. Elle a atteint un degré d’implication qui a transcendé son travail et l’a surprise au point de ne pas reconnaître sa voix, car on lui a demandé de dépasser les limites qu’elle croyait avoir au départ. Ce qui est moins drôle, c’est la tension dans laquelle nous avons baigné pendant ces deux ans qui a affecté un peu chacun d’entre nous, en multipliant les petits accidents de la vie courante. Paola a fini par interpréter ce qui lui arrivait comme des « signes » d’un sort qui lui aurait été jeté parce qu’elle s’était trop investie dans le disque et a disparu depuis plusieurs mois de la circulation. Le modèle de la pochette qui représente le Baron Samedi avait failli être tué dans un accident improbable avant notre rencontre. Je ne sais si on peut parler de destin ou d’étranges coïncidences tout au long de la préparation de cet album. Je suis le seul à en être sorti sans une égratignure, certainement parce que Baron Samedi m’a toujours protégé.

Justement pourquoi l’avoir choisi pour illustrer la pochette ?

C’est Max et ses experts graphiques qui se sont occupés de tout ça. Ils ont trouvé un grand gaillard noir qui voulait bien jouer le Baron Samedi si je le protégeais par ma magie. Pendant la séance de maquillage, Max s’est rendu compte qu’il avait des croix tatouées sur les bras. C’était des gages de remerciement pour Baron Samedi qui, d’après lui, avait permis au chirurgien de le recoudre, suite à un terrible accident de moto où il avait failli perde un bras. Il voulait montrer sa gratitude aux esprits car il était très superstitieux.

Tu as très peu écrit sur le vaudou. Penses-tu qu’il y a certains sujets sur lesquels il vaut mieux ne pas trop en dire ?

J’ai écrit sur l’étrange cas de Felicia Felix-Mentor qui a été vue en 1936 par plusieurs témoins haïtiens, des mois après son enterrement dans mon livre, The Dark Side of the Occult. Mais en effet j’adhère aux principes sacrés de tout mage en activité qui demande que l’on soit « entreprenant, courageux et discret ». J’ai révélé beaucoup de secrets de la Kabbale dans mes livres et dans mon jeu de cartes, mais uniquement parce qu’on m’en avait donné la permission. Le monde a tellement besoin de s’appuyer sur des connaissances positives ! Mais il y a tellement de désinformation et de manipulation des émotions qui créent la confusion et la peur. Les médias ont une grande part de responsabilité dans tout cela à cause de leur manière de faire du sensationnel avec le surnaturel, alors que j’essaie de combattre la peur de l’inconnu avec mes livres et mes ateliers de développement psychique. J’ai toujours bien fait la distinction entre mon travail de chercheur sur le spirituel et les éléments fantaisistes qui nourrissent ma musique. J’espère que les gens savent quand faire la part des choses entre le sérieux et l’humour.

Est-il vrai que le livre Selected lyrics & more que tu as sorti en même temps a été imprimé à Haïti ?

Je ne peux pas le certifier mais je sais que le capitaine qui l’a ramené à notre distributeur italien et une partie de son équipage ont été mis en quarantaine à cause d’une maladie de peau inconnue. Il vaut mieux peut-être faire une petite prière avant de manipuler le livre.

Comment as-tu choisi les textes de tes chansons ? Quel effet cela faisait de les commenter, parfois plus de vingt ans après les avoir écrits ?

J’ai un instinct sûr quant au choix des textes intéressant à lire seuls, sans l’aide de la musique. La plupart de mes chansons de jeunesse n’ont pas passé le test de l’impression, à part « Captain Blood » peut-être. C’était un plaisir de se remémorer toutes les anecdotes associées et d’écrire ces explications sur leur sujet. Par exemple « Nosferatu » touche aux thèmes du regret, de la vieillesse, la débauche, la lâcheté, la maladie et l’addiction qu’une simple chanson sur le vampirisme aurait certainement ignorés. Il paraît que j’ai une mémoire prodigieuse pour les détails et j’ai des trucs mnémotechniques pour mes paroles, donc je n’ai pas oublié mes idées originales, ni mes sources d’inspiration... alors que je ne me rappelle pas le nom d’une personne que j’ai rencontrée il y a dix minutes. Je n’imaginais pas combien ce travail serait long et prenant. J’ai dû y passer des semaines – à peu près autant qu’une nouvelle – car il y avait aussi toutes ces expressions en vieil anglais qui avaient besoin d’être expliquées. Je me demande comment ma musique a pu avoir autant de succès en Grèce et en Italie où ce n’est même pas la deuxième langue. Il est vrai qu’aujourd’hui peu d’Anglais peuvent se targuer de savoir écrire ou parler dans « le langage de la reine » comme on dit chez nous.

Il paraîtrait que White Zombie t’a appris à créer tes propres arrangements alors que cela fait longtemps que beaucoup de tes morceaux sont orchestrés de manière baroque ou classique. Peux-tu préciser ce point ?

J’avais écrit les partitions des musiciens sur Gargoyles en 1996, c’était la première fois que je faisais des démos. Avant, je m’enregistrais à la guitare sur une cassette et je la donnais au groupe. Chacun se débrouillait avec sa partie et mon pianiste/arrangeur écrivait les partitions pour cordes et bois quand j’en voulais pour un morceau. À partir de Pavane en 2004, je me suis senti suffisamment à l’aise pour jouer moi-même des claviers, mais je ne me considérais pas encore comme un « vrai » musicien. Je ne savais ni lire, ni écrire la musique – je ne savais que composer.

C’est en travaillant sur la bande son du film d’horreur Hexen (film muet tourné 1922 par Benjamin Christensen ) que j’ai dû évoluer. J’habitais à l’époque en Allemagne et j’ai dû jouer et rejouer inlassablement les mêmes parties de piano jusqu’à ce que je devienne enfin familier avec le clavier et plus agile de mes doigts. J’ai écrit et enregistré Grimm l’année suivante et j’ai enfin pu jouer de tous les instruments moi-même en pur autodidacte. J’ai donc pu créer mes propres arrangements sans m’appuyer sur les connaissances d’autres musiciens. Ce n’est qu’en 2015, quand j’ai rejoint le label The Dark Companion et que je me suis retrouvé en compagnie de musiciens de jazz aussi talentueux que Keith Tippett, John Greaves (Henry Cow) et Paolo Tofani, que j’ai dû m’y mettre sérieusement. On m’a donné l’opportunité de composer une pièce musicale pour un orchestre de chambre qui avait travaillé avec Zappa, dont certains membres venaient du Philarmonique de Berlin et d’autres de l’orchestre de La Scala. J’ai compris qu’on me donnait la chance de ma vie de devenir un vrai compositeur et qu’il fallait que je la saisisse. J’ai donc pris des cours de solfège et appris tout ce qu’il fallait pour pouvoir écrire proprement une pièce de 30 minutes et retranscrire ce qui était nécessaire pour l’interprétation des musiciens, ce qui m’a beaucoup aidé à développer mes idées.

Avec Alberto Caligari.

Je trouve le mix de White Zombie très bien fait, avec de l’espace pour les voix, les instruments et les percussions. Tu donnes l’impression que l’on est au milieu des chanteurs, c’est très convaincant.

Il faut remercier Alberto Caligari qui a réenregistré tous les chants. J’ai passé deux ans d’allées et venues entre l’Angleterre et l’Italie pour couper ce que je n’aimais pas, réenregistrer tel couplet qui devait faire trois vers et non pas quatre, éditer à la bonne longueur ligne à ligne ce que je voulais entendre. C’était un travail collaboratif, mais ça avançait tellement lentement qu’il m’a fallu aller me rafraîchir l’esprit avec un autre projet que j’ai enregistré avec mon groupe de rock en Angleterre. Il s’agit d’un double album qui mélange psych/garage/folk/rock et sur lequel j’avais un contrôle total. White Zombie avait besoin d’être enregistré de manière différente mais il a fallu que je m’en éloigne un certain temps au risque de devenir fou.

Est-ce toi qui a eu l’idée des flûtes qui insufflent un esprit particulier un peu partout ?

Je jouais quelques parties de flûtes sur les démos mais c’est Lorenzo Trecordi, un multi-instrumentiste hors pair, qui a tout réenregistré sur les conseils de Max. Il joue aussi de la guitare, électrique et acoustique, de la mandoline et fait des chœurs avec Anna Barbazza qui est une multi-instrumentiste extraordinaire et écrit également ses propres chansons. Elle a chanté toutes les parties de voix que ni Paola ni moi ne pouvions interpréter. Je les ai enrôlés tous les deux dans mon groupe acoustique depuis car c’est un vrai bonheur de jouer avec eux.

Tu as toujours été tiraillé entre rock, folk et musique baroque, ce qui s’entend clairement sur White Zombie qui explore une grande variété de sonorités et de styles, flirtant même avec le hard rock.

J’aime composer des musiques saugrenues, de la musique classique délicate ou des mélodies pop évidentes. Mais il y a une part en moi qui est stimulée par le hard rock mélodique ! Je ne peux pas écrire des chansons folk sans exorciser mon amour pour Marc Bolan, Led Zeppelin et Johnny Burnette au moins une fois par jour. J’ai hérité cela de Marc Bolan qui avait des morceaux acoustiques et électriques sur le même disque et je n’ai jamais pensé qu’il aurait dû choisir l’un ou l’autre. Je dirais même que quand il a opté pour le tout rock, il a perdu quelque chose en route. Je fais très attention à l’ordre des chansons dans mes disques pour que chacun soit entendu dans son contexte le plus avantageux. C’est pourquoi il est si frustrant de savoir que la plupart des gens aujourd’hui téléchargent des morceaux isolés ou les écoutent sur des playlists aléatoires qui ne leur permettent pas de se plonger dans l’univers d’un artiste. C’est comme enchaîner des scènes de films différents ou faire un tour dans une galerie et ne s’arrêter que sur un tableau avant de repartir. C’est un des symptômes d’une nouvelle maladie que j’appelle la « déficience de l’attention musicale ». C’est très inquiétant et plutôt triste pour nous autres compositeurs.

J’ai lu quelque part que tu avais écrit les chansons de Bates Motel pour apprendre aux jeunes générations le blues et le rock. N’est-ce pas l’espoir secret de tout père que transmettre ses goûts et ses couleurs à ses propres enfants ?

Tu as sûre que j’ai dit cela ? Je ne suis pas assez présomptueux pour penser que je pourrai apprendre quelque chose à quelqu’un – encore moins mes propres enfants qui ne prennent personne au sérieux dès lors qu’il dépasse trente ans. Mais il est vrai que j’ai à un moment senti qu’une vraie menace planait sur les disques, les livres et les films avec lesquels j’avais grandi, ma génération et celles d’avant. Il y a tellement de jeunes gens qui pensent que le cinéma a commencé avec Star Wars et que toute forme de musique avant le punk est archaïque et idiote ! Que j’aie tort ou raison, cela m’a libéré du carcan dans lequel je m’étais enfermé en n’écrivant quasiment que sur des histoires surnaturelles ou issues de l’Histoire. En enregistrant pour Bates Motel les chansons que j’avais écrites à la fin des années 80 pour Nico, Moe Tucker et Sterling Morrison – avant qu’elles soient mises sur une étagère et oubliées – je me suis autorisé à faire allusion à toutes ces références de la pop culture de mon enfance comme les séries télé, les comics, les films de série B… Et j’ai par la même occasion redécouvert la musique qui allait avec, du garage rock au psyché, que je me suis empressé d’utiliser aussi.

Le double album que j’ai enregistré en parallèle de White Zombie s’appellera 1313 Mocking Bird Lane (clin d’œil à la série The Munsters) et inclut des chansons sur Joe Strummer, Chet Baker et Charlie Manson, pour ne citer que les trois plus connus. Je crois que je n’ai pas été aussi excité par mes nouvelles chansons depuis que j’ai commencé en 1979, même si je suis satisfait de tous mes albums. Peut-être cela vient-il du fait que j’ai un studio de première classe , un producteur top et des musiciens d’un calibre auquel je ne faisais que rêver auparavant (allusion aux Elfo studios et à l’équipe qui gravite autour du label Dark Companion ndla). D’ailleurs j’ai l’intention de réenregistrer en partie 1313 Mocking Bird Lane car je le trouve un peu trop « policé » par rapport à ce que je sais pouvoir faire maintenant. White Zombie me sert de nouveau mètre étalon !

Je suis en train d’écrire également des chansons pour d’autres artistes que j’ai pu rencontrer là-bas, comme Peter Hammill ou Dave Cousins (The Strawbs). Je suis en train de terminer un album avec de longues chansons de type plus narratif inspirées des histoires de fantômes de M. R. James. J’ai même réussi à composer une pièce pour le grand pianiste jazz Keith Tippett qui mélange classique/jazz/avant-garde. J’espère qu’il la choisira pour son prochain album à paraître.

Je suis une personne qui se révèle sur le tard mais je crois sincèrement que le meilleur est à venir. En même temps j’ai l’impression qu’on vit dans un monde qui rétrécit ses centres d’intérêt et uniformise toutes les formes d’art dans une perspective mercantile. Mais comme le disait autrefois Fairport Convention : « Le temps montrera qui est le plus sage. »

White Zombie - LP/CD (Dark Companion)

Selected Lyrics & More – Livre (Dark Companion)

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publié par le 04/01/18