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publié par gab le 05/09/25
Nick Drake - Nick Drake, deuxième ! -
Nick Drake, deuxième !

L’événement de l’été fut, en ce qui me concerne, la sortie de The making of Five Leaves Left, le coffret de 4 disques couvrant la longue période d’enregistrement du premier album mythique de Nike Drake. Ayant repéré sa sortie depuis fin juin, j’attendais de pied ému mais ferme sur le pont du cargo le 25 juillet sa mise à disposition sur les plateformes de streaming. Or je dois avouer que j’ai été déçu aux premières écoutes ce jour-là. Il faut dire que l’exercice s’est avéré un peu plus ardu de prime abord que prévu. Autant j’étais tout de suite tombé sous le charme de Family Tree à sa sortie en 2007 (chroniqué sur le cargo ici-même), le disque d’enregistrements de jeunesse de Nick Drake et de sa famille racontait une belle histoire et était émotionnellement très bien construit, autant cette fois les nombreuses versions des mêmes morceaux m’ont plongé dans une certaine confusion (mention spéciale aux trois "Day is done" qui se suivent sur le premier disque) voire une certaine lassitude. Et puis au même moment les réseaux sociaux m’apprenaient qu’une biographie très complète et validée par la sœur de Nick, Gabrielle, était sorti en 2023. Je m’empressais de commander ce Nick Drake The Life de Richard Morton Jack et de l’emmener en vacances à la plage sans me douter une seconde qu’il serait la clé d’entrée qu’il me manquait pour accéder à ce making of. Si on rajoute par-là dessus la découverte des morceaux manquants de l’album Made to love magic que je n’avais étrangement jamais écouté et l’approche des 20 ans de mon zoom précédent sur Nick Drake (consultable ici-même), j’étais indéniablement prêt à me lancer dans un nouveau zoom folkeux. Dont acte : clap, Nick Drake, deuxième !

déclencheur

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Comme souvent avec Nick Drake, j’ai tendance à repasser à la première personne du singulier. Sujet sensible (Nick Drake, pas la première personne du singulier). Dans le dit Zoom, il y a 20 ans, je m’amusais à m’imaginer grand-père racontant ma jeunesse et ma découverte de Nick Drake à mes petits-enfants. Le cap de la cinquantaine maintenant passé, ce genre de facétie m’amuse nettement moins. Car si la petite-descendance n’est pas encore assurée, la chevelure blanche est, quant à elle, bel et bien en place. Ça sent l’heure des premiers bilans. Et je suis le premier atterré de constater que bien que mentionné dans ma conclusion, je n’ai toujours pas écouté Made to love magic et les derniers morceaux enregistrés par Nick Drake peu de temps avant sa mort. Comme pour le making of, ce sera ici aussi la biographie qui jouera l’élément déclencheur. Et d’ailleurs, on dira ce qu’on veut, mais d’avoir une plateforme de streaming bien fournie lors de la lecture d’une biographie comme celle-ci s’avère être un atout indéniable. Ce à quoi vous pourrez me répondre à juste titre que la version physique du coffret The making of Five Leaves Left contient un livret de 60 pages avec toutes les explications nécessaires à l’écoute du disque dans les meilleures conditions. Chacun trouvera écoute à son oreille et lecture à son œil.

immersive

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Vous l’aurez compris, je ne peux que vous conseiller la lecture de Nick Drake The Life de Richard Morton Jack (en anglais dans le texte, il ne semble pas encore y avoir de traduction). La biographie est très détaillée, très bien écrite et permet de comprendre l’état d’esprit de Nick Drake tout au long des périodes importantes de sa vie. C’est particulièrement vrai des deux années précédant la sortie de son premier album, Five Leaves Left, de 1967 à 1969. Une période incertaine (il abandonnait progressivement ses études à Cambridge) mais heureuse et pleine d’espoir pour Nick. C’est là que l’album du making of devient passionnant en tant que bande son immersive du livre. On y retrouve les différentes versions, les essais d’habillages, les premiers jets guitare-chant (et on préfère de loin Nick Drake sans frou-frous), premiers enregistrements déjà impeccables avec son jeu de guitare si abouti et son chant si doux et maitrisé. Et d’un coup l’enchainement des trois versions de "Day is done" prennent vie (et sens). On y retrouve les tentatives d’orchestration par de vrais professionnels avant de finalement retenir celle du copain de Cambridge de 19 ans (Robert Kirby) dont personne n’avait jamais entendu parler. On y voit aussi le travail sur la durée, le morceau "Strange face" devient "Cello song", "Mayfair" disparait de l’album car trop à part. On y entend Nick parler entre (et parfois pendant) les morceaux, on y découvre qu’au-delà de sa maitrise musicale et malgré son introversion, il était totalement dans son élément quand il enregistrait et savait précisément ce qu’il voulait.

repli

Arrivé là, on se prend bien sûr à rêver d’une déclinaison du concept à ses deux autres disques. Le livre laisse entendre qu’il n’y aura malheureusement pas la possibilité de faire un making of Bryter Layter, toutes les bandes de travail ayant été effacées à la fin des enregistrements comme c’était la coutume à l’époque. C’est bien dommage, ça nous aurait peut-être réconcilié avec cet album qu’on n’arrive décidemment pas à adopter. Quant à l’album Pink moon, son enregistrement même, en deux nuits, et l’isolement mental de Nick Drake (déjà en cours depuis l’été 1970 et l’enregistrement de Bryter Layter) passant à un niveau bien supérieur, fait qu’il n’y a pas d’autres versions à découvrir (on y apprend tout de même à notre grande surprise que "Things behind the sun" date en réalité de la période Five leaves left mais que Nick Drake la considérait comme non achevée à l’époque). C’est bien sur la partie la plus poignante du livre, on accompagne Nick et ses parents dans l’enfer du trouble mental qui mènera à son suicide fin 1974. Trois années de décrochage progressif de la société et de la musique, de repli sur soi et de dépression.

inattendu

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C’est donc avec une certaine appréhension qu’on se résout enfin à écouter les derniers morceaux enregistrés par Nick Drake en 1973-74 et qui se trouvent sur Made to love magic. Au fil des années, 4 morceaux sont devenus 5, "Tow the line" étant venu s’ajouter aux "Rider on the wheel", "Hanging on a star", "Black eyed dog" et "Voices". Chansons au chant mal assuré (contrastant fortement avec celui des albums officiels) mais qui, malgré les troubles, se révèlent à la fois poignantes et familières. "Black eyed dog" en particulier nous emmène assez profondément dans le trouble mental, que ce soit par la musique quasi-chamanique ou par le chant répétitif et haut perché. Mais finalement ce ne sont pas ces morceaux qui retiendront le plus notre attention sur ce disque, on ne s’y attendait pas vraiment mais on est cueilli par des morceaux datant des sessions de Five leaves left en 1968 : "Joey" et "Clothes of sand". Deux magnifiques chansons en arpèges, lentes, mélancoliques, douces, tout ce qu’on aime chez Nick Drake. "Clothes of sand" s’est notamment rapidement frayé une place de choix parmi nos morceaux préférés de Nick Drake. Et après tant d’années, c’était assez inattendu. L’autre très belle surprise est une version alternative de "Three hours" (qui n’a étonnamment pas trouvé sa place dans le making of) avec des percussions bien mises en avant, une guitare presque rageuse par moments et une flute d’une liberté inspirante (chez nous la flute, c’est tout ou rien, autant on ne supporte pas celle de "Thoughts of Mary Jane" autant sur ce morceau elle est magnifique).

devenir

Voilà, on est repassé sans s’en rendre compte à la 3ème personne du singulier en cours d’article et c’est assez naturel, Nick Drake est devenu universel. On parlait de bilan un peu plus haut, 20 ans ont passé, beaucoup de choses ont changé mais l’essentiel est toujours là. Le cargo vogue toujours, on est toujours à bord, ça parait assez incroyable vu d’ici. Et, plus proche de notre sujet, l’album Pink moon est toujours notre album n°1 de l’ile déserte. On ne voit plus trop comment il pourrait être détrôné maintenant mais on est ouvert à toute tentative, bien évidemment. On vous donnerait bien rendez-vous dans 20 ans pour un « Nick Drake, troisième ! », le zoom des zooms, mais ce serait sans doute pousser le bouchon un peu loin. On a a priori maintenant écouté tous ses morceaux existants et à moins de réussir à faire générer les cinq morceaux manquants de 1974 par l’IA (seules les paroles ont survécu) ou de cloner Nick Drake à partir de son ADN pour une 2ème vie de musique, cela devrait en rester là. On n’a certes pas vu tout ce qui se cachait derrière le soleil mais, en partie grâce à Nick et sa musique, on est devenu ce qu’on devait devenir et c’est déjà pas si mal.

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publié par le 05/09/25