Salut Lewis ! Tu sors un EP, donc un format court, après deux albums plus longs. Tu avais envie de tester quelque chose de nouveau ?
Non, j’avais fait deux albums et j’avais vraiment l’impression qu’il y avait des chansons qui passaient à la trappe et qui n’étaient jamais écoutées. S’il n’y avait que moi je ne ferai que des albums, pour toute la vie ! Mais ça fait presque seize ans que je fais de la musique et la manière de l’écouter s’est totalement transformée. J’étais triste parce qu’il y avait des chansons comme « Convinced » sur Man in a bubble que personne n’avait entendues. Au début je voulais faire un vinyle parce que j’avais pas mal de chansons mais je me suis dit non, je vais pas enchaîner un troisième album que personne ne va écouter ! (rires)
Avec quatre chansons, il est difficile d’en zapper. On est dans une génération zapping et playlist, il faut s’adapter. Je ne veux pas forcément que les gens achètent mais au moins qu’ils écoutent, parce que j’aime que ma musique soit partagée. J’ai un élan de générosité incroyable, presque équivalent à Jean-Jacques Goldman ! (rires)
Donc j’imagine que tu as d’autres chansons en réserve dans ton ordinateur qui pourraient par la suite donner un autre format court ?
Je ne pense jamais aux futurs albums ! Mais bien sûr j’ai plein de chansons en réserve oui, dont des chansons en français. Dans mes concerts j’ai un petit intervalle où je joue quatre ou cinq titres qui n’ont jamais été entendus. Donc oui j’ai des chansons mais je ne me projette plus. Je suis dans un vrai moment de ma vie où c’est quitte ou double. Je ne sais même pas si l’intermittence va durer…
C’est marrant parce que le film Rayon vert, qui porte le même titre que ton EP, a justement été remarqué parce que les acteurs étaient invités à écrire le scénario au fil du tournage. Est-ce que c’est quelque chose que tu as fait pour ces quatre chansons ?
Les quatre chansons sont venues assez naturellement. Je compose de façon très spontanée, ici, le seul fil conducteur était autobiographique. J’ai souvent lu que des chansons comme on « Hold on » ou « Cocaïne » parlaient de mes addictions. En réalité cela parle aussi des personnes que je rencontre. « Hold on » est une chanson sur ma mère, ma famille était remplie d’addictions. J’ai écrit cela dans un moment où ma deuxième enfant allait naître. Je venais d’acheter ma maison à Granville et je me disais « waouh j’ai réussi à construire quelque chose ! ». Toute ma vingtaine j’étais dans une instabilité totale. Pas forcément dans la défonce mais plutôt dans l’adolescence prolongée. Je ne savais pas où j’allais ni ce que je faisais dans ma vie. Je n’avais pas de projet je faisais juste de la musique parce que j’adorais ça. J’ai toujours gardé cette instabilité dans ma façon de composer. En fait, je jongle entre instabilité dans ma création musicale et stabilité dans ma vie sentimentale. J’écris tous les jours, j’écris, je mets de côté, j’écris, je mets de côté… Mon ami Frédéric Boucher reçoit mes compositions tous les jours. Je lui envoie, il fait les arrangements et me les renvoie on fait ça quotidiennement depuis six ans.
Quand tu dis que tu écris tous les jours c’est vraiment une chanson entière de trois minutes et quelques ou simplement des petits passages ?
Non non une vraie chanson de trois minutes et quelques. J’ai un template genre couplet-refrain-couplet-refrain pont-refrain. C’est ça dans toutes mes chansons et en plus je ne compose qu’avec quatre accords parce que je suis un peu un guitariste de merde ! (rires) Comme quoi, juste avec quatre ingrédients tu peux faire un milliard de recettes.
Ça se rapporte ce que tu disais tout à l’heure, tu as un cadre précis à l’intérieur duquel tu vagabondes.
Exactement ! D’ailleurs pour cet EP j’ai fait appel à Herman Düne. J’étais très fan de lui et de sa manière de créer. Il a quelque chose dans le sang qui n’est pas lisse. J’aime beaucoup ce côté chaotique. On ne se connaissait pas, je lui ai juste envoyé un message sur Facebook en disant « salut tu veux bien réaliser mon truc » et il m’a répondu « yes of course ». Et voilà comment ça c’est fait ! C’était hyper tranquille.
Je pensais que vous connaissiez d’avant car il a beaucoup joué sur la scène caennaise.
Oui, mais tu sais moi j’étais sur la scène punk-rock avec les Lanskies donc on traînait pas ensemble ! Ils étaient déjà couchés quand nous on rentrait alors on se croisait pas trop ! (rires)
Par contre j’ai une petite anecdote. Quand j’avais 18 ou 19 ans il faisait un concert au Normandy à Saint-Lô. C’était un des meilleurs concerts que j’avais vus de ma vie j’étais dans les Lanskies à ce moment-là et je m’étais dit « un jour je ferai de la folk ». Ce soir là je suis sorti de la salle de concert, il neigeait et j’ai réalisé que j’avais nulle part où dormir. J’étais dans la galère mais je me disais « un jour je ferai un truc avec Herman Düne » !
The Lanskies en Session Cargo ! - 2010
En as-tu tiré des choses différentes comparé à tes précédentes collaboration avec Keren Ann ou Gaëtan Roussel ?
Disons que Herman Düne a vraiment réalisé le disque donc il a donné sa patte au projet. Avec Keren ou Gaëtan c’était simplement des collaborations au niveau du chant. Avec Herman ce qui était super c’est qu’il a vraiment marqué le disque de sa patte américaine. Sur « King of the jingle » il y a notamment la voix de Maesa Pullman qui est une chanteuse de folk américaine incroyable. Tu savais que Herman faisait toute sa musique dans son garage ? Je trouve ça vraiment génial.
C’est ce qui lui donne son côté ténébreux et mystérieux.
Exactement ! On a un côté ying & yang tous les deux. Lui il est hyper ténébreux et moi hyper rayonnant ! (rires)
Justement je trouve que cette chanson, « King of the jingle », diffère vraiment des trois autres du disque. Elle est en fait beaucoup plus pop et moins folk non ?
Oui c’est vrai mais j’adore la pop tu sais ! Ça c’est mon côté instable tu vois. Dans mes albums précédents j’ai été critiqué parce que ça allait dans tout les sens. Les gens disaient qu’il n’y avait pas de fil conducteur. Avec quatre chansons je peux plus facilement avoir un ovni qui arrive dedans.
Hormis King of the jingle que j’adore j’ai également été surprise par le clip de Rock in the sea. Je me demandais, comment a été réalisé le clip ? As-tu vraiment été dans la mer ?
Oui ils m’ont vraiment plongé dans l’eau ! Il a été réalisé par Jonathan Perrut avec qui j’avais aussi envie de travailler depuis longtemps. Il est complètement taré et bosse que sur des projets genre « happening ». On a aussi tourné avec lui le clip de « King of the jingle » dans tous les bars vides de Normandie. Il y a d’ailleurs un concept qui s’est créé et qui s’appelle le bar spleen challenge. Les barmen se filment tous seuls en train de s’ennuyer dans leur établissement. Du coup nous nous sommes payés une tournée des bars le 31 décembre on est allé dans Caen, Granville, Saint-Vaast-la-Hougue… On s’est pris un chauffeur et c’était parti pour la tournée !
Le titre « Rock in the sea » n’est pas très surprenant quand on sait que tu as toujours vécu près des côtes anglaises ou française. Comment la mer influence-t-elle ta création musicale ?
C’est vrai que ça m’a toujours influencé. Quand j’ai habité à Paris pendant sept ans la mer me manquait beaucoup j’avais souvent besoin d’aller la voir. Je passais tous les jours sur Leboncoin à regarder le prix des maisons même si j’avais -700 euros sur mon compte ! C’était une fixette mais ce n’était pas le hasard. J’ai toujours vécu près de la mer et j’ai du sang de marin en moi. Après « Rock in the sea » c’est une métaphore, c’est une chanson sur la persévérance. C’est pour tous ces moments où dans notre vie on s’est dit « est-ce que je deviens jardinier j’abandonne tout ou est-ce que j’essaye de continuer une dernière fois ? ». J’avais écrit cette chanson avant le Covid. Le marché musical avait déjà pris un gros coup je me posais de vraies questions et évidemment elles sont toujours là.
En fait tu avais carrément anticipé le Covid !
Sans le vouloir on va dire parce que sinon j’aurais tout fait pour l’éviter !
Ton EP s’appelle Rayon vert, j’ai lu dans ta biographie que c’était une référence à un bar de Saint-Pair-sur-Mer. Qu’est-ce que ce bar a de si particulier ?
J’avais fini l’EP mais je n’avais pas de titre. J’étais là devant la mer et j’ai vu un rayon vert. C’était un moment sublime. C’était deux jours après que je me sois installé je n’avais pas fini avec Herman mais j’avais fini moi de composer les morceaux. C’était sublime et ça voulait dire beaucoup de choses. En plus ce que j’aimais bien c’est que je me suis dit les Français vont lire « rayon vert » et ils vont penser qu’il y aura plein de chansons en français dedans. Mais non je m’en fous des quotas je suis un rebelle ! (rires)
En plus on dit que le rayon vert c’est un moment de contemplation dans lequel on laisse place à l’introspection as-tu l’impression que c’est le cas de cet EP ?
Oui c’était un signe voir un rayon vert dans le bar le Rayon vert il y avait un côté très cathartique.
Pour changer de sujet tu as beaucoup joué sur la scène caennaise. Qu’est-ce qu’elle t’inspire ? Est-ce que tu trouves qu’elle a quelque chose de particulier ?
C’est toute une époque. La scène caennaise, la scène saint-loise… il y a quinze ans il y avait 10 000 groupes. Je suis un peu triste car la plupart de ces groupes et artistes ont disparu je me sens un peu comme le dernier des Mohicans. Maintenant je pense qu’il y a d’autres artistes qui émergent que je ne connais pas mais c’est quand même devenu très électro sur Caen. À Saint-Lô il y a quelques nouveaux groupes punk-rock qui émergent un peu dans la lignée des Lanskies, Shape par exemple. Maintenant si j’avais un conseil à leur donner ce serait d’aller partout en France et de ne pas rester qu’en Normandie. Il y avait vraiment quelque chose qui se passait entre Caen et Saint-Lô c’était la même rivalité que Manchester et Liverpool ! (rires) J’ai toujours un lien fort avec Saint-Lô, je fais encore mes résidences au Normandy, je suis Saint-Lois dans le cœur.
Justement quand tu repenses à cette expérience de groupe est-ce que cela te donne envie de recommencer ou tu préfères l’expérience solo ?
Tu sais j’appelle tout le temps les Lanskies pour qu’on se reforme j’en meurs d’envie mais les mecs sont devenus des vieux labradors ! Enfin, Flo des Lanskies joue tout de même dans les Tropical Mannschaft, il sort des chansons merveilleuses. Mais je suis très bien en solo à faire mes petites chansons folks, mélancoliques, torturées et thérapeutiques. Je ne remonterai jamais un groupe. Si je rejoue ce ne serait qu’avec les Lanskies.
Pour finir, le rayon vert c’est aussi le dernier rayon du soleil avant la nuit. Est-ce une manière de nous préparer à la fin de ton activité musicale ?
Je ne sais pas… Tu sais je suis le genre de personne qui rêve de faire plein de choses mais finalement je reste coute que coute dans la musique !
C’est vrai que tu m’as dit que tu étais quelqu’un qui ne prévoyait pas l’avenir !
Oui puis j’ai une famille maintenant et des enfants ! L’EP, c’est la mort de certaines choses. Le secteur musical veut qu’il y est quand même certains indices numériques qui soient respectés. Je suis en dessous. Peut-être que ça remontra un jour, je ne sais pas je ne me mets plus la pression. En même temps c’est vrai que ce serait un bel EP pour tirer sa révérence. C’est le public qui décidera ! Sans vouloir vous mettre la pression bien sûr ! (rires)