Pas évident d’écrire un livre sur Pink Floyd en 2021 : Nick Mason, le batteur du groupe a déjà fait le récit de l’intérieur avec Inside Out, les ouvrages de Nicholas Schaffer (Saucerful Of Secrets, plus disponible en neuf) et Mark Blake (Pigs might fly) regorgent d’informations recueillies auprès du groupe et de leurs proches, et ils font référence parmi les fans. Ce ne sont là que les plus connus, et surtout devrait arriver bientôt l’auto-biographie de Roger Waters : si le bonhomme est fidèle à sa réputation, ça va saigner ! Il est de fait légitime de se demander si cette nouvelle brique de Dominique Dupuis trouve sa place dans l’édifice à la mémoire du groupe, et éventuellement dans votre bibliothèque, surtout si vous avez déjà un ou plusieurs des ouvrages cités ci-dessus. Il est donc temps d’ouvrir le "Pink Floyd" de Dominique Dupuis et de remonter 50 ans en arrière pour rencontrer quatre étudiants installés à Londres qui ont monté un groupe de blues déglingué en train de muer en quelque chose d’autre au contact du psychédélisme naissant.
Carré
La première chose qui frappe en prenant en main ce livre où figure en couverture le business man en feu de Wish You Were Here, c’est son format : il est carré et on comprend vite pourquoi : les ouvrages de la collection "Cover" des éditions du Layeur s’appuient sur sa discographie pour présenter un groupe. On y trouve donc des reproductions pleine page des couvertures des albums qui bénéficient d’une impression de qualité sur un papier glacé épais, une qualité qui se sent aussi au poids du livre ! Vous me direz c’est "normal" pour un ouvrage qui se classe dans la catégorie "beaux livres" et qui n’est pas donné (cela dit 225 pages pour 35€ ce n’est pas si cher comparé à un seul des vinyles Pink Floyd reproduits à l’intérieur).
Révélation
Pour qui n’en a que faire des vinyles justement, qui n’a connu ces visuels conçues en majorité par Storm Thorgerson que sur un écran d’ordinateur ou au format CD, les découvrir en grand est presque une révélation : on découvre des détails qu’on a tout simplement jamais vus et le livre n’est pas avare d’anecdotes sur la réalisation de ces images devenus mythiques : tout cela se passe avant Photoshop, donc quand pour la couverture de A Momentary Lapse of Reason, Storm veut une plage avec des centaines de lits, il réquisitionne vraiment les lits en question, L’homme qui brûle a réellement été mis en feu, le cochon gonflable au dessus de la Battersea Powerstation s’est libéré de ses cordes et fait halluciné les pilotes d’avion.
Un avec tout
Evidemment beaucoup de ses anecdotes ne seront pas nouvelles pour les fans mais étant donné la richesse iconographique (il n’y a pas que les couvertures mais aussi de nombreuses photographies là encore reproduites en grand format) on est agréablement surpris par tout ce que Dominique Dupuis arrive à caser comme informations en à peine deux pages pour certains albums. Lesquels sont tous présents, tous les albums studio du groupe, y compris les bandes originales de film*, les lives, les compilations dont les coffrets "Early Years" qui documentent le processus créatif du groupe à ces débuts à travers moults lives et enregistrements inédits.
On retrouve aussi une sélection de bootlegs de Pink Floyd, ce qui est une bonne idée car il y en a une quantité qui existe dans ce marché non officiel et on peut être vite perdu dans la masse.
Créer l’envie
Et pour finir il y a les albums solo de chacun des membres de Pink Floyd, un sujet qui est loin de faire consensus parmi les fans. Dominique Dupuis ne choisit pas de chapelle et présente les œuvres de chacun, en se montrant critique sur le contenu mais sans non plus dézinguer l’un ou l’autre, en fait il essaie plutôt de trouver les qualités dans chaque disque et il fait un plutôt bon travail étant donné qu’il m’a donné envie de réécouter les albums solo de Waters ou encore Nick mason’s Saucerful of secrets, le projet tout récent du batteur autour du "vieux répertoire" que le Pink Floyd sans Waters des années 90 de même que Waters et Gilmour en solo zappent presque complètement dans leurs tournées.
personnel
On arrive à la fin du voyage, encore qu’on puisse se demander s’il s’agit du court concert au Live 8 en 2005 avec le groupe complet ou l’album The Endless River. On connaissait déjà une grande partie de l’histoire mais on aura appris ou réappris quelques petites choses, on aura eu envie de réécouter certains disques qu’on a tendance à snobber, on s’est régalé des couvertures du disque et des superbes images.
La seule chose qu’on aurait aimé de Dominique Dupuis qui dit dans son avant-propos que plutôt que l’histoire d’un groupe c’est son histoire avec le groupe qu’on raconte, c’est qu’il pousse encore plus cette idée. Quitte à parler de lui plus longuement, ce qui dans le milieu des rock critics ne serait pas spécialement choquant. Qu’il nous mette encore plus dans la tête d’un jeune mélomane qui se prend le Floyd dans la figure au début des années 70. Cet aspect est bien présent au début du livre, moins à la fin mais c’est peut être que cette partie de l’histoire est moins personnelle ? On se dit aussi que cet angle plus personnel aurait peut être moins intéressé les gens qui cherchent simplement à savoir l’histoire et pas une histoire, alors que le rock est de toute façon plutôt une mythologie.
Le cadeau idéal pour le fan de Pink Floyd ?
Si vous êtes un "jeune fan" du groupe (enfin "jeune" genre moins de 40 ans), que vous les écoutez en CD ou sur Spotify/Deezer/etc et que vous n’avez aucune intention d’acheter un vinyle, ce livre vaut carrément le coup, pour voir le travail de Storm Thorgerson dans un format qui permet de vraiment en profiter, pour la somme d’informations qu’on y trouve. Si au contraire vous commencez une collection de 33 tours, avec son format carré, il trouvera tout naturellement sa place à leur côté, comme un guide. Et enfin si vous avez déjà tout, que vous savez tout, vous n’en avez pas besoin mais allez quand même le prendre parce que sinon, techniquement, vous n’avez plus tout...