Disque-hommage à Richard Wright, The Endless River revisite et parachève l’histoire de Pink Floyd
avec simplicité et sincérité. Fini le temps des concepts-albums, pas de
tentatives ici de remplacer les absents, ce que vous entendrez c’est le
dialogue entre 3 musiciens doués, appuyés sur une discographie
exceptionnelle mais qui ne regardent pas seulement derrière eux pour
autant ; des compositions toujours capables de vous captiver et de vous emmener loin.
"Thought I had something more to say"
En apprenant que Pink Floyd sortait un nouvel album, notre première réaction ça a été... la peur. Celle du fan,
celle de voir un des ses groupes de référence se fourvoyer et conclure
une discographie pas irréprochable mais néanmoins monumentale sur un
échec artistique. La peur d’un nouveau Momentary Lapse of Reason (le bien nommé) ou alors d’un album de David Gilmour featuring des pink floyds morts et vivants (cf. son dernier album solo, le décevant On an Island).
En fait ils n’avaient rien sorti de nouveau depuis si longtemps, ces gentlemen anglais sexagénaires qu’on se demandait s’ils avaient encore quelque chose à dire.
Learning to fly
A ma grande surprise la réponse est oui... mais réglons d’abord la bagatelle, si vous n’avez pas aimé Pink Floyd avant, vous n’aimerez pas non plus The Endless River. Car il est facile de n’y voir qu’une série d’instrumentaux sans ligne directrice, de n’y entendre que les divagations d’un groupe qui recycle sa propre discographie.
Mais si vous aimez Pink Floyd ou si simplement vous tentez l’écoute sans a prioris, ce qui est marquant c’est la beauté qui est partout dans ce disque, finalement très épuré, aérien.
Le contre-pied du groupe d’avant, toujours plus dans le concept, la
dramaturgie imposée par Waters, son mélange de militantisme politique
acerbe et de thérapie à cœur ouvert pour les traumas personnels de Rog’, une machine toujours plus énorme, jusqu’à l’implosion avec The Wall.
It’s what we do
The Endless river
revient aux fondamentaux : dans la même pièce, trois musiciens doués
qui jouent ensemble depuis longtemps et qui semblent avoir compris
qu’ils n’ont pas besoin des mots de Waters ou de réflexions
conceptuelles pour être Pink Floyd. Certains trouveront qu’il manque de la substance là-dedans, les grandes ambitions et la vision d’un Waters. La recherche de nouveaux territoires sonores aussi. Gilmour, Wright et Mason le savent et le revendiquent. ("It’s what we do").
Leur disque c’est du travail d’artisans chevronnés, au sommet de leur
technique.
Any Colour You Like
David Gilmour, à 68 ans n’a rien perdu de son talent à la guitare, que ce soit sur son emblématique Stratocaster, au lapsteel ou encore à la guitare acoustique. Mais attention disque instrumental ne veut pas dire disque de guitar hero façon Satriani : la musique n’est pas un playback servant à poser des solos. La six-cordes n’est pas systématiquement au centre des compositions, elle intervient, embellit, appuie ce que font les autres instruments, en puisant dans tout le vocabulaire de Gilmour : les rythmiques cordes étouffées (palm mute) de Run Like Hell reprises sur Allons-y, les phrasés bluesy, les longs slides blindés de fuzz à la One of These Days, la guitare acoustique au ebow en reverse (intro de Take It Back) etc... Gilmour nous rappelle aussi qu’il sait écrire des arpèges sublimes (comme la mélodie récurrente de Shine On ou Hey You) avec Eyes to Pearls et Lourder Than Words.
Nick Mason
est toujours aussi efficace derrière sa batterie, ça n’a jamais été un
batteur exceptionnel par la technicité et plus le groupe s’éloignait du
psychédélique et moins il avait l’occasion de montrer son inventivité mais il a toujours su se mettre au service des morceaux. Sur The Endless River, il a quand même l’occasion de s’amuser comme au bon vieux temps et nous offre de belles parties rythmiques (Sum et Skins)
The Great Gig On A Boat
Rick Wright, aux claviers, qu’on a rarement entendu aussi bien dans le mix, alterne avec bonheur entre ses orgues fétiches, le Farfisa et l’orgue Hammond ; On peut aussi l’entendre au Fender Rhodes ou sur un piano acoustique. Et il y a aussi les string machines, le Moog et même le VCS3, un des premiers synthétiseurs, introduit à l’époque de Dark Side Of The Moon. de quoi reproduire à peu près les sons de toute l’histoire de Pink Floyd. Viré par Waters après la tournée de The Wall, Wright avait retrouvé peu à peu ses marques dans le groupe relancé par Gilmour en 1985 et signait un titre sur The Division Bell (1994). C’est des sessions de cet album que sont issus les "bouts de musique" qui vont devenir The Endless River, enregistrés à bord de l’Astoria,le studio-péniche de Gilmour et à Britannia Row (studio construit et équipé par le groupe à grands frais qu’ils ont fini par revendre).
Le gros spliff
Ces sessions ont donné lieu à un premier "montage" surnommé The Big Spliff en 1994 que le groupe n’a pas souhaité utiliser. En 2012, après la mort de Wright, les deux membres survivants réécoutent
tout le matériel enregistré avec celui-ci et décident d’essayer d’en
faire quelque chose. Plusieurs sessions se succèdent pour enrichir les
parties existantes, qui ne deviendront les 14 pièces qui constituent le
disque que grâce au travail de Phil Manzarena et des ingénieurs du son du groupe.
Au final, très peu de choses du spliff original est présent sur l’album selon les déclarations de Gilmour et Mason.
On est étonné aussi que le travail d’édition du matériel brut, qui
s’apparente finalement à de la composition n’ait pas été fait par le
groupe. Mais si on regarde leur passé, ils ont souvent choisi des
producteurs très impliqués dans l’écriture du disque (Another Brick In The Wall part 2 n’aurait jamais été un hit sans Bob Ezrin par exemple). On pourrait aussi citer les exemples de Nigel Godrich + Radiohead, Sonic Youth + Jim O’Rourke etc...
Louder than Words
Il n’y a qu’un morceau chanté sur The Endless River. Co-écrit par Gilmour et Polly Samson (sa femme), comme tous les titres chantés de The Division Bell, dont on reconnait le style et l’atmosphère : Louder than words évoque beaucoup Lost For Words, qui elle-même déjà s’inspirait de Wish you were here.
Il s’agit d’une conclusion évidente au disque, comme le disque est une conclusion à
la discographie du groupe. Les mots, ce ne sont pas ceux des chansons,
ce sont ceux prononcés entre eux, ceux qui ont été prononcés contre eux.
Louder than Words,
c’est une façon de dire que la musique dépasse finalement tout ça, même
si les absents ne reviendront pas, même si la réconciliation ne viendra
pas.
Time
Interviewé sur son disque, il était étonnant de voir Gilmour lui-même sembler douter du succès de celui-ci, jugeant la formule inadaptée à la manière dont nous consommons la musique
aujourd’hui. Par petits bouts. A toute vitesse. Selon le buzz du moment sur les réseaux sociaux. Difficile d’apprécier
comme ça des fragments d’une musique qui ne prend tout son sens que
dans la temporalité, celle d’un disque écouté du début jusqu’à la fin et celle d’une discographie qui s’étend sur plusieurs décennies.
Je le trouve un peu dur là-dessus : on est encore nombreux j’espère à
écouter les disques en entier. On est aussi assez nombreux à connaître
le groupe et à pouvoir apprécier cet album dans son contexte. C’est un
peu la même chose que d’aimer l’adaptation d’un livre au cinéma plus que
ceux qui n’ont pas lu celui-ci, car tous les éléments qu’on ne peut
caser dans le film et qui donnent plus de perspective sur les événements
on les connaît.
La querelles des anciens et des pas modernes
Mais finalement ne devrait-on pas juger autant que possible une
oeuvre sur ses qualités intrinsèques ? Ne peut-on pas reprocher au
groupe de ne rien proposer de neuf, d’avoir perdu son côté avant-gardiste ?
A cette question , je répondrai d’abord par une boutade : on est dans
une époque où tant d’artistes semblent obsédés par le passé
, la vieille chanson française pour certains, singée
dans ses moindres intonations et thématiques, d’autres sont obnubilés par
le son des 60’s, 70’s ou des 80’s. Là encore la même volonté de faire
pareil, de sonner pareil. Vieilles consoles, studios mythiques,
instruments vintage payés à prix d’or.
Pink Floyd ils ont tout ça, parce
qu’eux avait 20, 30 ou 40 ans à ces époques. Parce que c’est leur histoire. Mais à
chaque fois ils regardaient devant, quand les studios faisaient du 4
pistes, ils étaient les premiers à en avoir huit, quand les
synthétiseurs ont été inventés, ils ont été les premiers à en utiliser. Quand on a su faire des delays digitaux, ils ont laissé à la maison leurs vieux échos à bande.
Idem pour la quadriphonie, le numérique, le CD etc.. Quitte à revenir sur leur choix plus tard si besoin. L’important n’est pas l’esthétique d’une époque mais d’utiliser le meilleur outil pour exprimer sa créativité, se sentir inspirés par les nouvelles technologies. Et si leurs compositions ne sont pas radicalement nouvelles, ils les ont enregistrés avec le son d’aujourd’hui. Ils n’ont donc pas tellement à rougir là-dessus.
En une phrase
Ça fait quand même beaucoup
de mots pour expliquer et défendre quelque chose qui se veut au delà.
J’aurais peut être pu me contenter de vous dire la raison pour laquelle
j’ai fait cette chronique, la métrique la plus simple pour juger d’un
disque : le plaisir qu’on ressent au travers de la beauté des sons, les
sensations que procurent la musique, l’envie de l’écouter encore et encore.
Et là tout est dit.
(oui je sais ce n’était pas une conclusion en une phrase)
Très belle critique que je partage entièrement ! Pink Floyd nous a fait un super cadeau, et il faut prendre The Endless River comme cela, avec respect. Quel bonheur de retrouver ce Pink Floyd qu’on avait presque perdu depuis Animals