On ne savait pas, il y a sept mois, dans quel voyage on s’embarquait. On acceptait avec plaisir l’invitation de Katel nous conviant à une résidence aux Trois Baudets où elle s’apprêtait à présenter ses nouveaux morceaux. Et puis, une fois sur place, on avait été saisis. Par le dispositif scénique, la grâce des harmonies vocales, la construction particulière des morceaux et la quête de perfection qui sous-tendait le tout. On avait longtemps gardé ces chansons en tête sans pouvoir les réécouter. Quand l’album lui-même nous est parvenu plus tard, accompagné d’une longue et passionnante note d’intention, tout s’est emboîté d’un coup. Les premières écoutes d’Élégie nous ont emmenés loin, très loin. Beaucoup plus qu’on ne s’y attendait, même à la lumière de cette expérience scénique intense.
On avait déjà, lors d’un récent concert, lancé une informelle demande d’interview que Katel avait aussitôt acceptée. Mais une fois l’album entendu – reçu de plein fouet, pourrait-on dire – ça devenait une évidence encore plus grande. Il y avait tant de questions à poser pour tenter de cerner ce qui se joue derrière ces onze morceaux, et jusque dans leurs silences. Depuis sept mois, une étape à la fois, on assiste à l’éclosion de quelque chose de magnifique et de presque intimidant.
Au terme de l’interview, on formula cette remarque sur le ton de la plaisanterie, mais elle n’en est pas moins vraie : parce qu’on connaît Katel comme une personne accueillante et chaleureuse, d’un abord extrêmement facile, on oublie vite qu’on devrait être impressionné. Et puis on réécoute ses albums et on se rappelle.
Tes deux albums précédents étaient déjà très différents l’un de l’autre, mais Élégie va encore plus loin. Il donne notamment l’impression d’être conçu comme un tout cohérent et non pas comme une simple collection de chansons.
Oui, c’était important pour moi justement de ne pas faire une collection de chansons mais ce que j’imaginais être une pièce divisée en mouvements. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de chansons qui ont été écrites ensemble. Évidemment, je n’ai pas écrit les onze titres à la suite, mais ils marchent souvent par blocs de deux ou trois – qui ne sont pas d’ailleurs forcément mis dans cet ordre-là dans le disque, mais en tout cas tout se lie et toute chanson est pensée par rapport à d’autres. C’est-à-dire que quand je continuais à écrire ou à composer de nouvelles chansons, je partais de la matière que j’avais déjà en disant : « Qu’est-ce que je vais continuer à faire à partir de cette matière, qu’est-ce que j’ai à rajouter » ? Vraiment, à chaque fois, je le pensais comme un nouveau mouvement par rapport à ce que j’avais déjà écrit. Donc je suis heureuse que ça s’entende.
Par exemple tu expliquais dans la note d’intention que « Au large » et « De l’ombre » ont été écrites l’une par rapport à l’autre. Elles semblent effectivement se répondre au niveau de la rythmique.
Elles marchent sur des principes inverses qui sont pour l’une un travail sur les cadences harmoniques et pour l’autre sur le rythme. Mais par contre elles ont cette chose commune qui est une musique qui tend vers la torsion et un texte qui, lui, est très direct et très simple. Je pense que quand on a quelque chose d’un peu complexe musicalement, il faut que le texte soit très limpide et vice versa. En tout cas, je n’ai pas envie d’avoir les deux en même temps.
Les morceaux reposent souvent sur un contraste entre une forme musicale très réfléchie, très travaillée, alors que la forme des paroles comme les émotions traitées sont quelque chose de beaucoup plus direct.
C’est une des choses qui ont pas mal changé entre mon premier album et celui-là. Je pense que dans le premier album, j’avais une sorte d’affection pour une écriture encore très littéraire. Peut-être aussi parce que c’était une manière d’affirmer que ces chansons, c’était du sérieux, et aussi parce que je lisais encore à cette époque-là une certaine forme de poésie. J’ai l’impression que plus j’avance, plus j’ai confiance dans le fait que la chanson, c’est vraiment du chant qui sonne, et que l’important, c’est de faire que la musicalité des mots et leur limpidité nous emmènent quelque part. Et je fais confiance à la musique pour faire l’antichambre de ce qui est écrit. Alors qu’avant, les textes pouvaient se lire en soi. Ici, je pense qu’on peut toujours les lire en soi, mais qu’ils sont incomplets s’ils n’ont pas la musique.
À propos du côté littéraire des textes, tu as tendance à utiliser des mots un peu inhabituels dans tes paroles. Ici une des chansons s’appelle « À l’aphélie », et dans le livret de Décorum, il y avait même des notes de bas de page pour définir les termes les moins courants (homélie, fétuque, aphasie, etc).
Dans Décorum c’était un peu devenu une blague, parce que c’était une amie à moi qui avait fait l’intérieur du livret et que c’était un gag dans la bande d’amis : « Ah, on va voir le dictionnaire quand on écoute une chanson. » Là il y en a moins, quand même. Dans Raides à la ville j’avais carrément des néologismes. Mais j’ai toujours eu un amour pour les mots un peu étranges. Le mot « aphélie », c’est vraiment ce qui m’a donné envie d’écrire la chanson, parce que j’ai trouvé ce mot incroyable. Qu’est-ce qu’il y a d’autre… Non, là c’est « aphélie ». Ça nous ira, merci, ça suffira. (rires)
Les textes, effectivement, sont plus épurés ici.
Ça va aussi avec l’espace de la musique. C’est-à-dire que les mélodies sont moins chargées aussi. Il y a moins cette litanie ou ce sens du débit qui sur le premier disque était très nerveux, très dense, et où il y avait une certaine énergie presque… évidemment pas rap, mais une forme d’urgence physique qui faisait qu’il y avait un grand débit de parole et donc aussi des textes plus denses. Et quand il y avait beaucoup de débit de parole, j’avais aussi besoin de cette complexité des mots, un mélange de fureur et d’écriture travaillée. Et comme là les mélodies sont bien plus épurées, évidemment l’écriture l’est aussi.
Cet album est pratiquement le contraire exact de Raides à la ville, aussi bien sur un plan formel, puisqu’il y avait beaucoup de guitares sur celui-là et que tu pars ici sur totalement autre chose, mais aussi dans le rapport aux émotions, qui sont un peu plus filtrées, tenues à distance que sur le premier où elles étaient davantage « lâchées ».
Oui, et du coup dans le chant aussi, on est vraiment à l’opposé. J’avoue que j’ai parfois du mal à réécouter Raides à la ville pour ça, j’ai envie de dire (amusée) : « Calme-toi, calme-toi, ça va aller… » J’ai un vibrato que je n’arrive pas à maîtriser, un genre de tension, de densité… Je pense que quand on fait un premier album, on a vraiment ce truc où on vide son sac, on a rempli des choses avant et puis on décharge quelque chose. Et je dirais que la vraie question de savoir si on a quelque chose à dire se pose presque après, une fois qu’on a vidé son sac : « Qu’est-ce que j’ai à construire comme discours ? » et non pas « Qu’est-ce que j’ai à lâcher comme émotions que j’avais en réserve ? »
Pour en revenir à Élégie, il est très inspiré par des musiques contemporaines et notamment vocales ?
Oui, ce sont des musiques que j’écoute beaucoup en ce moment. En musique contemporaine, finalement, ce ne sont pas les voix qui ont le plus d’œuvres, mais par contre les gens qui écrivent pour des ensembles vocaux sont vraiment ceux qui m’ont passionnée ces dernières années. Il y a Philippe Manoury, Thierry Machuel, Pascal Dusapin… Là, je suis en train de découvrir des compositrices aussi. J’étais allée voir une jeune compositrice italienne qui s’appelle Francesca Verunelli. J’étais allée écouter ça à la Philharmonie, dans un tout petit amphithéâtre parce que ça ne ramène pas grand-monde mais c’était l’ensemble Accentus qui chantait. Je suis beaucoup aussi le travail de Laurence Equilbey et du chœur Accentus, et ce travail qu’il y a sur les voix avec un travail sur les dissonances, les quarts de ton, sur ces choses-là, ça m’ouvre vraiment des perspectives… je dirais même physiques, ça change ma perception physique du monde. J’avais envie de ramener quelque chose de ça. Alors évidemment, pas avec le niveau d’érudition que peuvent avoir ces compositeurs, mais en tout cas de pouvoir retraduire les sensations physiques que j’avais éprouvées.
Les voix ont une place centrale sur ton album et sont d’ailleurs souvent la tienne, que tu utilises de ce fait pratiquement comme un instrument.
J’avais vraiment envie de travailler sur les timbres, c’est justement ce que je disais : ce n’est pas seulement une voix lead qui a quelque chose à dire et qu’on entend comme vecteur d’un texte, elle vient aussi se placer comme instrument. Comme j’ai en plus beaucoup travaillé avec des claviers, donc beaucoup avec des choses qui génèrent des harmoniques, j’avais envie qu’il y ait ce travail de chœur qui soit fait et j’ai eu envie de le faire seule, c’est-à-dire d’aller chercher à l’intérieur de ma voix tous ces timbres possibles, des voix de tête, des voix gutturales, des voix nasillardes, les mélanger et inventer mon propre chœur. Et effectivement, à part sur un titre et demi où je suis allée enregistrer les quatre merveilleuses dames qui m’accompagnent sur scène, j’ai fait ce travail-là – parce que, aussi, ce travail en solitaire me permettait d’oser faire des choses. J’avais envie de me sentir libre de faire ce que je voulais vocalement.
Il y a entre autres des voix enregistrées dans une église ?
Oui, notamment sur « Voûtes », par exemple, mais par contre c’est seulement ma voix. Du coup, ça ne donne pas la même chose non plus quand on enregistre une chorale dans une église qui va passer en un temps donné à l’intérieur de la réverb de l’église que quand on enregistre… là je crois que j’ai enregistré vingt-cinq fois ma voix, donc il y a vingt-cinq fois une façon d’attraper la réverb de l’église mais qui n’est vingt-cinq fois pas la même. Du coup ça génère des choses plastiques, physiques, qui ne sont pas du tout les mêmes. Sur « Danse sur le lac de Constance » par contre, il s’agit bien du Choeur qui m’accompagne sur scène, Nathalie Réaux, Skye, Diane Sorel et Claire Joseph, enregistrées ensemble dans cette même chapelle. J’avais envie, vraiment, de toucher à ça, aux résonances des pièces. Les voix sont enregistrées dans plein d’endroits différents, pour ça aussi.
Un autre aspect marquant de l’album est que ces voix jouent le rôle d’une sorte de chœur grec qui dialogue avec le chant principal.
Ça c’était effectivement, en plus du rôle musical, le rôle presque théâtral de ce chœur qui agit comme un chœur grec, c’est-à-dire soit vient commenter ce que dit la voix lead, soit vient faire une sorte d’extension de l’émotion qui peut être à l’intérieur de la voix, soit fonctionne comme une voix intérieure en plus du chant lead, soit vient se confronter à la voix lead… Et il y a aussi des moments où c’est mêlé, comme une seule voix qui se démultiplierait. Tous ces rôles possibles du chœur, c’est aussi ça qui est venu influencer la plastique du chant : est-ce que je détimbre ma voix, est-ce que je lui donne la même couleur que le chant lead… Il y a une sorte de dramaturgie de la couleur vocale qui est sous-jacente à chaque fois. Je ne suis pas allée intellectuellement décider de tout, mais tout ça se fait finalement très instinctivement. Je tiens à ça, vraiment, à ce qu’il y ait cette sensation que c’est une musique qui surgit et pas du tout une musique dont l’idée précéderait l’exécution. Ça, c’est toujours quelque chose qui me rebute un peu.
Comme c’est un album très introspectif, qui parle de rapport à des émotions un peu complexes, on a presque de ce fait l’impression d’un dialogue entre les différentes émotions.
Oui, voilà, c’est ce que je voulais dire. Le chœur grec, c’est souvent un chœur extérieur au personnage principal qui vient commenter, ou qui vient juger, ou expliquer, et il y a ça sur certains titres, mais il y a surtout une démultiplication d’une même voix qui d’un coup se divise en toutes les voix possibles qui pourraient la constituer. Comme si on dépliait la voix, qui est notre voix qui sort pour dire quelque chose, et à l’intérieur de ce qu’on dit, il y a tout ce qu’on ne dit pas et qui constitue cette voix… On va dire que j’ai éclaté cette voix lead en plein de couleurs vocales qui sont autant d’émotions qui créent ce qui va enfin sortir dans la voix lead. C’est comme une voix des origines qui serait plusieurs voix avant de réussir à se rassembler pour dire les choses. J’aime bien qu’on puisse entendre toutes ces voix antécédentes.
Sur « Danse sur le lac de Constance », tu donnes à entendre la voix de Marguerite Yourcenar parlant du saisissement qu’éprouve un écrivain qui arrive à la fin d’un livre et se rend compte de ce qu’il vient de faire. Est-ce que tu éprouves toi-même ce saisissement à la fin d’un album ?
Oui, je dirais même à la fin de chaque chanson : quand on arrive à la fin d’une chanson, qu’on sent que c’est fini, qu’on est arrivé au bout de ça. Sur cet album-là, j’ai eu cette sensation à la fin du disque parce que c’est un album que j’ai traîné longtemps, quand même, sur lequel je suis revenue avec minutie, que j’ai mis du temps à construire, parce que j’ai mis du temps aussi à décider de le faire en entier, c’est-à-dire de le mixer, d’aller au bout de chaque geste que je faisais – non seulement l’écriture et les voix mais aussi le son, la mise en son. Et donc une fois que j’ai terminé ça, oui, il y a eu… Je ne sais pas si c’est un saisissement parce que finalement c’est un moment qu’on attend mais, quand même, il y a toujours ce petit moment où, presque en n’y pensant pas, tout d’un coup ça va surgir, on se dit : « Waouh, ça y est ». Ça y est, j’ai produit la chose que j’avais à faire.
Et sur ce disque-là, c’est d’autant plus intense que j’ai vraiment l’impression d’être allée au bout de ce que j’avais à faire. Je n’ai aucune frustration, de rien je ne me dis : « Ah, ça aurait pu être autrement. » Parce que « Ça aurait pu être autrement », je me le suis déjà posé 160 fois par titre, et tant que je n’avais pas épuisé cette question, je voulais que les choses soient absolument nécessaires à chaque seconde de chaque titre. Et donc c’est vrai que ces questionnements-là, je les ai eus avant et qu’une fois que c’était terminé, enfin on peut être saisi par le fait que tout est fluide. Peut-être que c’est ça, le saisissement : ce moment où on écoute ou qu’on relit ce qu’on vient de faire et qu’on sait qu’il n’y a plus d’endroits de doute.
Une impression qui m’est venue très tôt en écoutant ces chansons sur scène est que ta démarche ici rappelle celle de PJ Harvey sur White Chalk, cette idée de changer d’instrument pour réapprendre à écrire différemment.
C’est vrai que quand j’avais entendu White Chalk à l’époque, c’était vraiment… Je me rappelle très bien : j’achetais mon PJ Harvey comme d’habitude, je le mets dans ma platine, et puis je commence à faire la vaisselle, je crois, et je m’arrête aussitôt et je vais me rasseoir dans mon canapé devant les enceintes comme si je regardais un truc, et je n’ai pas quitté cette place pendant tout l’album. Tous les gens, de toute façon, qui se sont déplacés à un moment m’intéressent et me donnent envie de ça aussi – quand Radiohead ont posé leur guitare pour que chacun achète un ordinateur portable, et on est passés quand même de OK Computer à Kid A... Loin de moi l’idée de me comparer à tous ces gens mais en tout cas dans la démarche, oui. Il y a cette idée de ne pas avoir envie d’affiner un geste qu’on maîtrise, mais d’essayer de se déplacer et de se remettre en danger.
Et il y a toujours des choses sur lesquelles on avance, qu’on maîtrise et qu’on pousse. Par exemple pour moi, la voix, c’est vraiment quelque chose qui au contraire me paraît monter à la verticale, c’est-à-dire que c’est l’instrument que je maîtrise de plus en plus et qui me permet aussi de pouvoir se faire entourer de choses où il y a de la mise en danger. Mais sinon c’est vrai que j’aurais l’impression, je ne sais pas, d’être dans le savoir-faire, qui est le pire truc possible.
Toujours par rapport à White Chalk, c’était assez troublant d’apprendre en lisant la note d’intention que la chanson « Élégie » avait une histoire par rapport à cet album, puisqu’elle a été enregistrée sur le piano dont PJ Harvey s’était servie.
Sur un des pianos, j’imagine qu’elle en a eu d’autres. J’enregistrais l’album de Joy à Bristol dans l’endroit où John Parish a l’habitude d’enregistrer. C’est marrant parce que ce piano, quand on commence à faire des accords dessus, il y a vraiment ce son... C’était drôle parce que je n’avais que mon iPhone pour enregistrer et j’ai enregistré cette petite pièce de piano avec, je n’avais pas encore de paroles, et c’est resté comme ça. J’ai eu envie de garder ce son de piano.
Cet album touche à des choses très personnelles car il est né à la suite de deux événements qui sont d’abord une rupture puis la perte de ta mère. Tu en parles assez ouvertement dans la note d’intention qui figurait dans le dossier de presse et qui sera reprise sur ton site. T’es-tu posé la question de dévoiler ce contexte ou non ?
Oui, je me suis beaucoup posé la question parce que j’avais peur qu’il y ait quelque chose d’impudique. Je me souviens très bien qu’en Belgique, au moment où les gens de Girls In Hawaii ont recommencé à faire de la musique, ils ont parlé de la perte de leur batteur, et j’entendais des gens qui les accusaient de faire leur fonds de commerce à partir de cette chose-là, ce que je trouvais extrêmement choquant. C’était avant le décès de ma mère mais je ne comprenais pas comment on pouvait dire ça. Quand je lis des biographies d’écrivains… à partir du moment où on retourne bien en amont dans l’histoire, on a envie de savoir ce qui a pu être à l’origine d’un roman du XIXème siècle. Et finalement je me suis dit : pourquoi, sous prétexte que c’est très récent, on se passerait de cette chose qui donne quand même un éclairage particulier et donne aussi une clé pour comprendre ce qui se joue là-dedans ?
Mes deux premiers albums, quand je les ai écrits, je n’avais jamais rien connu de grave, même pas un décès proche dans ma famille. Et puis évidemment, là, j’ai mis six ans à faire ce disque, et six années à un âge où il commence à se passer des choses. Peut-être que ça aussi, c’est une des choses qui changent par rapport aux deux premiers disques où j’abordais souvent des sujets de fond, comme la vie, la mort, les angoisses, mais finalement c’étaient presque des projections ou des sensations. Là je me suis retrouvée tout d’un coup dans des choses très concrètes, et c’est certainement aussi ce qui fait que la musique l’est beaucoup plus, est beaucoup plus directe : ça ne vient pas d’une idée de ce que pourraient être les choses mais de les avoir vécues violemment et directement.
Oui, je me suis beaucoup posé la question de savoir si c’était impudique. Et puis ce sont aussi les gens proches de moi dans la famille qui m’ont dit « Tu devrais en dire quelque chose », donc je pense qu’ils m’ont aidée à me dire que c’était important. J’avais envie d’appeler cet album Élégie aussi, et puis voilà, c’est un album en hommage à ma mère. Mais je me permets de le dire aussi parce que pour moi, la façon dont j’en parle dans ce disque, ce n’est pas mon journal intime, ce n’est pas ce qui m’est arrivé moi avec ma mère, c’est ce qui arrive quand on perd quelqu’un d’aussi proche, ce sont les questions qui surgissent quand on se retrouve coupé de ça, coupé de ses origines. Je me suis décidée à le dire quand je me suis rendu compte que, je pense, j’avais réussi à rendre mon expérience intime plus universelle.
C’est effectivement ce qui frappe dans cet album. Il est très pudique dans sa façon d’aborder les émotions – on ne nous les jette pas à la figure, on peut tout à fait ne pas comprendre, on peut les tenir à distance. Mais une fois qu’on a les clés, tout se met en place et entre très fort en résonance chez l’auditeur. Mais, encore une fois, c’est extrêmement pudique.
Tant mieux parce que ça, j’y tenais beaucoup justement. Et c’est parce que je pense être arrivée à cette pudeur artistiquement qu’il ne me semblait pas impudique de juste donner un éclairage. Je ne m’en étale pas non plus, je dis juste « Voilà, ça vient de ça » et ça donne une clé pour comprendre les choses. Et cette clé nous permet à la fois de plus rentrer dans les chansons, je pense, et en même temps de s’en détacher de nouveau après, de ne pas se demander de quoi ça peut parler, de ne pas être en train de supposer des choses. On le sait, voilà.
Dans un même ordre d’idées, le clip de « Cyclones », fait à partir d’images de ta propre enfance, semble donner une clé supplémentaire mais de manière, là encore, très pudique. Comment est venue cette idée et comment avez-vous travaillé sur ces images avec Robi qui en a assuré le montage ?
En fait, je n’ai jamais fait de clip. À chaque fois, sur mes albums d’avant, j’avais un clip de prévu au contrat mais je n’ai jamais utilisé cette cartouche et j’ai toujours eu des réticences par rapport à l’idée même du clip vidéo. Associer des images à une musique, c’est un truc qui m’a toujours gênée, quelle que soit d’ailleurs la qualité du clip. C’est sur le principe même, j’aime bien avoir toutes les images que je veux quand j’écoute une musique. Ajoutons à ça le fait que la plupart des clips ne sont quand même pas très singuliers, n’apportent rien de supplémentaire artistiquement, sont souvent très illustratifs… Bref, tout ça faisait que je ne me voyais pas en faire un.
Et puis ça s’est fait très simplement. J’étais chez moi, on faisait une petite soirée, il y avait notamment Sarah Bastin, une photographe qui me suit depuis longtemps, et qui commence à voir des photos que mon père faisait – il a fait énormément de photos d’enfants très belles, il avait vraiment un regard. Et puis on en est venues à parler du Super 8 et je lui ai dit : « J’ai un quart d’heure en tout et pour tout de ma vie en Super 8. » J’ai commencé à lui montrer les images et tout le monde s’est rapproché alors qu’on faisait ça dans notre coin. Et j’ai vu que ces images-là parlaient à tout le monde, non pas parce que c’étaient des photos de moi petite, parce que tout le monde s’en fout, mais qu’il se disait autre chose, il se disait aussi quelque chose d’une époque, d’un rapport à la vie, quelque chose s’en détachait qui était très fort.
Et à ce moment-là j’ai imaginé ça, je me suis dit : « Ça colle vraiment avec la musique que je fais. » L’enfance, de toute façon, c’est quelque chose que j’aborde dans beaucoup de chansons. Et finalement, quand je disais tout à l’heure qu’à la fois je voulais travailler très profondément la musique et en même temps je voulais toujours que ça apparaisse comme si c’était une évidence, la pureté du geste rejoint aussi la pureté du regard des enfants.
Une chose qui me frappait par exemple, quand je parle d’époque, c’est que dans ce film que mon père faisait, personne n’a conscience de ce que donne sa propre image filmée. Ces films Super 8 sont restés, ils n’ont même pas été développés pendant je ne sais pas combien de temps, il n’y avait pas de portables pour faire des selfies, personne n’avait conscience de soi en train de bouger. Maintenant, presque tout le monde sait à quoi il ressemble quand il bouge et qu’il est filmé. À ce moment-là, du coup, il y a un rapport à la caméra qui est complètement innocent : je la regarde, je crache dessus, je n’ai pas de notion de miroir, la caméra n’est pas du tout un miroir, donc elle a un regard qui se pose comme témoin et si elle interagit, elle interagit comme objet devant la personne qui est en train de filmer, mais ce n’est pas un miroir de soi. Du coup il y a une force qui émane de ces images-là.
Je digresse mais en tout cas, la force de ces images m’est apparue et c’était la première fois que j’avais l’impression que la musique pouvait presque en être sortie et qu’il y avait un vrai sens à les mettre ensemble, qu’il n’y avait rien d’illustratif là-dedans et qu’on entendait la musique différemment quand on avait ces images-là. Et avec Robi, je lui en ai parlé au Jour de l’An, dans la voiture, au début je lui parlais de mélanger éventuellement ces images-là avec d’autres images et elle m’a dit : « Si elles sont assez fortes, il n’y a pas besoin d’avoir une deuxième idée. » Et puis on a regardé les images ensemble en rentrant et on s’est rendu compte qu’en mettant tous les morceaux n’importe comment, tout marchait. Comme si c’était vraiment lié.
Robi dit toujours que c’est le montage le plus facile de sa vie parce que tout marchait, je suis d’accord avec elle et en même temps je trouve qu’elle a une intelligence de la narration en images. Elle l’a fait d’ailleurs sur tous les petits teasers qui présentent les morceaux de l’album, elle a vraiment cette façon de faire dire aux images quelque chose qui est à la fois complètement lié à la musique et en même temps a un autre discours aussi, suit sa propre narration et n’est pas plaqué à la musique. Je trouve qu’elle a un regard hyper intelligent.
Pour avoir découvert l’album deux jours après le clip, c’est comme s’il y avait dans ces images un parti-pris qui annonce déjà celui de l’album.
C’est d’ailleurs pour ça que, quand on annonce tous les morceaux de l’album, on a continué à garder ces images-là. Parce que finalement ce sont les images de l’album, pas seulement du titre « Cyclones ». Quand on parle des deuils, il y a aussi un autre deuil qui est important dans l’album, c’est celui de la jeunesse, de l’innocence et justement de la vie avant les drames. En tout cas pour quelqu’un comme moi qui a la chance d’être née à une époque pas trop compliquée et dans un endroit pas trop compliqué, finalement les drames arrivent tard. Et ils sont liés du coup à la fin d’une jeunesse et aussi là, en ce qui me concerne, à la fin d’une époque. J’ai vraiment l’impression qu’on est en train de basculer dans une époque d’angoisse, de tension, de choses qui s’assombrissent et qui font qu’on n’est plus au temps de l’innocence.
Par rapport à cette question des événements qui ont donné naissance à l’album, est-ce que la musique a pour toi la faculté ou la fonction de guérir les choses ?
Là, je vais reprendre vraiment l’idée très physique de la musique. Je ne sais pas si, quand on est simplement auditeur, ça a la faculté de guérir quoi que ce soit parce que je ne sais pas ce que c’est d’être uniquement auditeur. Par contre, quand on chante, à partir du moment où on a ce rapport à la vibration, oui, mais je dirais presque comme un phénomène physique, comme un massage intérieur. Au-delà de l’expression, dans le rapport physique qu’il peut y avoir à la musique. Il suffit de voir, dans les pays où c’est le plus la merde soi-disant, le rapport qu’ils ont à la musique, à l’exorcisation qu’il peut y avoir à travers elle. Chez nous la musique, justement, a rarement cette fonction-là, en tout cas cette fonction collective. On n’a pas ce rapport collectif à faire de la musique tous ensemble.
Ton album parle de choses assez dures mais il est vraiment traversé tout du long par une pulsion de vie. Et notamment, l’image du soleil revient constamment, jusque dans la couleur de la pochette et du livret.
J’ai toujours senti ce disque comme étant un disque jaune, éblouissant, solaire. Parce qu’il parle de la force vitale qui ressort de tout ça. On ne sait pas avant de le vivre comment on va réagir à ça, à la perte. Avant que ça ne m’arrive, les seules projections que je pouvais en avoir étaient de l’ordre d’un effroi dont on ne peut pas se remettre. Et je me rends compte que, confrontée à ça dans la réalité, quelque chose en moi est vraiment de l’ordre de la force de vie.
Mais ça, je ne pouvais pas le soupçonner avant que ça ne m’arrive. Et ce n’est pas quelque chose non plus de totalement inné, c’est aussi du travail que je mets en place derrière pour choisir, il y a un choix quand même qui s’opère : de quel côté est-ce que je vais basculer ? Et là, quand on parle de la fonction qui guérit, oui, la création en tout cas, c’est un truc qui transforme tout en pulsion de vie. À partir du moment où on a la force de créer, il y a de la vie.
D’ailleurs la chanson « Élégie » qui est placée tout à la fin, à la fois la plus transparente sur le thème du deuil et celle qui paraît donner la clé de l’album, semble écrite justement au moment où la vie redevient possible (« Ne parlez plus de ma peine/Ma peine a fait le tour de moi »).
Oui, c’est ça. De toute façon, c’est la dernière chanson, elle n’était pas du tout écrite au moment où j’allais terminer le disque. Je l’ai écrit dans la note d’intention : je me suis réveillée un matin en réécoutant mon mémo d’iPhone et j’ai chanté ça d’un seul coup, je me suis dit « C’est fou », comme si j’avais reçu le point final de l’album, et effectivement, je me suis entendue dire ça. Et oui, elle est arrivée à un moment où quelque chose s’était dénoué, où quelque chose était possible, et notamment grâce à ce disque, grâce au fait d’arriver au bout, certainement qu’on arrive au bout d’un processus aussi.
L’ordre des morceaux sur l’album se rapproche de celui que vous aviez choisi sur scène, il commence et se termine de la même manière, ce qui crée l’impression d’un cheminement particulier qui est une sorte de voyage intérieur.
Je me suis fait gentiment engueuler par certaines personnes à propos de l’idée de commencer par « Voûtes », par exemple, qui n’est vraiment pas le morceau le plus « efficace » de la planète, mais en tout cas pour moi c’est une ouverture. On rentre, ça commence par ces notes de piano sans réverb, cette voix sans réverb, et puis tout d’un coup on rentre dans la matière sonore. Ça avait du sens aussi pour moi dans la plastique sonore du disque, et effectivement ça se referme avec la même chose, c’est-à-dire un piano tout simple. Et pendant ce temps-là, j’ai l’impression que tout s’ouvre, qu’on a toutes les autres portes, toutes les antichambres, et puis après, hop, on referme le truc. C’est comme une voûte, justement. On arrive par un côté, on monte et on arrive de l’autre côté de l’arc de cercle. C’était une vraie question, l’ordre des morceaux, et puis finalement ça a été assez évident.
On a l’impression que certains morceaux se répondent entre eux et ça crée une sorte de dynamique. Par exemple de faire se succéder « Cyclones » et « À l’aphélie » qui sont un peu plus joyeux de tempo, et vers la fin d’avoir rassemblé des morceaux comme « De l’ombre » ou « Échos » qui « redescendent » un peu plus.
Voilà, il y a ça, il y a le trio « Ralentis »/« Saisons »/« Échos » qui sont des morceaux sans batterie, où les voix sont très importantes, ces trois-là ont été écrits pratiquement en même temps donc il y avait cette démarche… Dans la composition, ils ont des choses proches, ils se répondent les uns aux autres, tout marche en écho dans le disque. Effectivement j’aurais pu faire un tracklisting qui aurait presque fait que chaque morceau s’excusait par rapport au précédent : « Attention, il n’y avait presque pas de batterie alors du coup je mets un peu de batterie, et puis après, on est allé assez haut alors on redescend... »
Ces questions de cheminement sont très souvent aussi celles des concerts où, quand on fait des tracklists, on a toujours le réflexe au début de les faire en imaginant que les gens vont s’ennuyer, ou qu’ils vont au contraire en avoir assez eu d’intro ou de fin comme ci ou de trucs comme ça alors que ce qui compte, c’est quel est le mouvement intérieur des choses. Et si à un moment on doit tenir sur un mouvement, quitte à presque l’épuiser mais non, s’arrêter juste avant, il faut oser aussi aller au bout de ces choses-là.
Mais à la limite, sur scène, il peut y avoir un côté plus immédiat, d’autant qu’on n’a pas vraiment le temps de comprendre et de digérer ce qu’on est en train d’écouter. Alors que sur disque, ça se pose différemment, et il y a cette notion de voyage dans le sens où on entre de plus en plus à l’intérieur de l’album.
C’est bien que tu me dises que sur scène c’est plus immédiat. C’était un peu mon pari d’avoir fait ce concert aux Trois Baudets sans que personne ne connaisse les titres, en me disant : « Ça va peut-être être un peu bizarre à digérer. » Et en même temps j’avais confiance dans la force de la vibration des voix ensemble, dans cette chose physique immédiate que les voix procurent : je suis sûre que même les choses les plus complexes dans l’écriture sont immédiatement recevables grâce à l’évidence de cette vibration. Qu’on peut grâce à cette sorte de magie emmener les gens où on veut.
Un autre aspect marquant des concerts est le dispositif visuel, à la fois le positionnement des choristes en arc de cercle autour de toi et cette idée géniale des fils bleus tendus sur la scène. À quoi font-ils écho pour toi ?
Dans la première série de titres que j’avais écrits, il y avait « Voûtes » justement. Et je me souviens que j’avais envie qu’il y ait une architecture sur scène, et notamment une architecture qui rappelle cette histoire de voûtes, d’antichambres, et qu’il y ait aussi quelque chose qui perturbe visuellement. C’est peut-être cette résonance par rapport à ce que je disais sur la voix lead avec les voix éclatées, mais en tout cas qu’il y ait quelque chose qui parte en toile, qu’on ne sache pas si le plan est devant, derrière, si le fil passe devant, passe derrière, et qu’au bout d’un moment ce soit un peu curieux à voir. Donc je cherchais comment faire ça et puis tout d’un coup j’ai eu cette idée des fils, je ne me souviens plus pourquoi d’ailleurs… Je crois que je suis allée regarder des installations en arts plastiques, et puis voilà, j’ai cherché ce qui pouvait exister et j’ai découvert ces fils qui ne coûtent rien du tout et qui sont très faciles à mettre. J’en ai parlé à Anne Muller avec qui je travaillais jusqu’à maintenant et on est parties là-dessus.
Sur disque comme sur scène, on sent la recherche d’une forme de perfection technique qui ne va pas enfermer dans quelque chose de trop carré mais qui au contraire fait naître des émotions. Ce n’est pas une barrière mais une mise à nu.
Le truc, c’est que pour moi la « perfection technique », au moins vocale, ce n’est pas un point d’arrivée mais un point de départ. C’est-à-dire que si on n’a pas ça, il n’y a aucune émotion qui peut surgir. Vu comment les choses sont écrites, il y a notamment beaucoup de moments où on est dans des unissons, et l’unisson est une des choses les plus difficiles à avoir vocalement. C’est-à-dire qu’on est sur les mêmes ouvertures parfaitement, qu’on est toutes d’accord sur tous les sons, donc c’est un vrai travail technique. Mais la technique est faite justement pour pouvoir s’en libérer et puis, à partir de là, on peut être dans l’émotion. Si on était dans des difficultés techniques, on serait en permanence en train d’essayer de se réajuster, et là, c’est sûr qu’il ne se passerait rien émotionnellement. Et d’une, je suis avec des filles qui sont des perfectionnistes, moi je le suis aussi, et je trouve que le perfectionnisme, c’est un peu le minimum exigé.
J’ai souvenir d’un moment qui illustre ça parfaitement : le rappel du concert de janvier aux Trois Baudets où vous êtes venues interpréter « Ralentis » en acoustique, assises toutes les cinq devant la scène, avec juste vos voix et un clavier. Si une seule note avait été de travers, tout se serait cassé la figure, mais c’était parfait et vraiment très intense.
Ça, c’est un morceau qui est en plus extrêmement difficile à chanter parce que la mélodie n’est pas facile et qu’on est vraiment toutes à l’unisson, on se sépare seulement à certains moments. Et ça, voilà, c’est typiquement le genre de titre où il faut qu’on ne fasse qu’un. Et donc pour réussir à ne faire qu’un, tout en gardant chacun son timbre, ce n’est pas simple.
C’est en partie ce moment-là qui m’a fait formuler cette idée : la perfection était là mais ça ne tombait jamais dans quelque chose de trop carré.
En fait, c’est pareil, c’est un truc qui est très important, de ne pas du tout être dans la même chose que dans un chœur classique où, par exemple, on va chercher à avoir un seul timbre. Là, même quand on est à l’unisson, je n’ai pas envie qu’on ait un seul timbre. J’ai envie qu’on ait un seul son, mais par contre qu’il soit constitué de différents timbres. C’est bien pour ça que j’ai choisi des chanteuses qui sont non seulement des chanteuses de pop, de musiques actuelles, mais en plus des chanteuses lead. C’est-à-dire des chanteuses qui ont toutes leur projet, et qui comprennent parfaitement ce que ça veut dire d’avoir envie que les autres se mettent au service d’une musique. Il n’y a aucune frustration puisque personne ne serait dans un ego malmené parce qu’elle est obligée de faire abstraction d’une partie de soi. Au contraire, on a vraiment cette envie-là.
Il se trouve que l’une des quatre choristes est Skye avec qui tu as justement un passé musical.
On a même un passé tout court : quand je l’ai rencontrée, elle venait d’avoir quinze ans et je n’en avais pas encore tout à fait dix-sept. On a commencé à faire de la musique ensemble, j’ai fait de la musique d’ailleurs parce qu’elle en faisait déjà depuis qu’elle était toute petite, on a fait tous nos premiers groupes ensemble, on a signé sur un premier album, on a fait dix ans de musique ensemble et puis ensuite chacune a suivi son chemin. Et du coup, on se retrouve là mais on se connaît par cœur.
Mais il y a plein de duos, je dirais, à l’intérieur de ce groupe. Il y a Diane et Nathalie qui ont fait beaucoup de choses ensemble, notamment une tournée avec Claire Diterzi, des choses avec Nosfell, avec Fiodor Dream Dog (là nous étions toutes les trois aux chœurs), etc. Il y a le duo Skye et Claire qui font un groupe ensemble, Sirius Plan. Il y a Skye et moi qui avons travaillé ensemble. Il y a Skye et Diane, elles ont commencé à travailler ensemble sur les chansons de Diane il y a longtemps. Nath et Claire se sont rencontrées il y a très très longtemps, elles ont fait de la musique ensemble aussi...
Tout marche comme ça, tout le monde s’est déjà rencontré autrement. Mais c’est ce qui crée aussi ce qui se passe entre nous : je n’ai pas embauché quatre musiciennes qui savent chanter, il y a autre chose qui se joue. Et effectivement, quelque chose qui est lié aussi à l’enfance. Skye, c’est quelqu’un qui est liée à l’enfance pour moi – si on peut dire que dix-sept ans c’est enfant…
À propos d’implication dans d’autres projets, comment t’es-tu retrouvée à réaliser des albums pour les autres, notamment Maissiat et Robi ?
Maissiat, c’est tout simplement quand je l’ai rencontrée. Elle m’a fait écouter ses chansons et puis on discutait ensemble, elle me disait à ce moment-là : « Voilà, j’ai un peu de sous de côté, j’aimerais bien produire mon album », et en fait je l’aidais à trouver des gens avec qui travailler. Elle a commencé à rencontrer une personne, deux personnes, qui nous expliquaient comment elles voulaient faire le disque, et chaque fois je lui disais : « Mais non, mais non, regarde parce que là, etc ». Et au bout d’un moment elle m’a dit : « Mais en fait, à chaque fois que tu en parles, c’est ça que je vois, tu ne voudrais pas réaliser mon disque ? » J’ai d’abord répondu : « Ben non, je ne suis pas réalisatrice. » Et puis j’ai arrêté de tourner autour de cette envie et j’ai fait le premier disque d’Amandine.
Robi, le processus était déjà pas mal entamé, elle avait travaillé avec ses musiciens mais elle sentait qu’il lui manquait quelque chose pour terminer le disque. Elle voulait aussi enregistrer ses voix avec moi parce qu’Amandine lui avait dit que c’était une chose qui l’avait beaucoup changée par rapport aux autres disques qu’elle avait pu faire. Et du coup, ça s’est fait comme ça. C’est l’album de Maissiat qui fait que j’ai travaillé avec Robi. Et là, on me demande de faire d’autres choses. Mais je ne les fais vraiment toujours que quand il y a soit quelque chose d’humain, soit… en tout cas que j’y retrouve mon compte quelque part. Je n’ai pas envie de devenir juste quelqu’un qui fait quatre ou cinq disques par an. Encore une fois, le savoir-faire, ce n’est pas trop mon objectif.
Est-ce que le fait de réaliser les albums des autres ou de jouer avec Joy ou Fiodor Dream Dog nourrit ta propre musique ?
Oui, c’est sûr. Ça me permet vraiment, je dirais, d’expulser tous les désirs différents que je peux avoir dans la musique que j’aime. Tous ces gens-là cherchent à faire quelque chose, cherchent leur langage. Et pour moi, pouvoir me promener dans tous ces langages, toutes ces têtes de compositeurs, c’est un privilège incroyable. Forcément, ça nourrit. Entre écouter les disques des gens et tout d’un coup jouer la musique de ces gens-là, c’est vraiment une façon de rentrer dans les œuvres qui n’est pas du tout la même et qui est bien plus enrichissante.
Tu disais en interview que tu n’es pas venue à la création par la musique au départ mais par l’écriture. Sous quelle forme exactement ?
Sous forme poétique, c’était vraiment ça quand j’étais beaucoup plus jeune, à partir du collège, surtout au lycée. Après, je me suis vraiment mise à écrire beaucoup, notamment après avoir découvert Rimbaud – il y a des choses comme ça qui changent toute la vie. Aujourd’hui encore, quand je lis Rimbaud, c’est comme les Beatles, je ne comprends pas ce qui fait que, à l’intérieur de cette poésie, ou de cette musique chez les Beatles, il y a absolument… moi je le ressens comme contenant absolument toutes les autres, et avec une pureté et une façon d’aller au cœur de la chose après laquelle je vois tous les autres courir, ou développer certains aspects, mais là on est dans l’essence.
Mais d’ailleurs, c’est certainement pour ça que mes premières chansons sont plus littéraires, c’est revenu vraiment sous la forme que j’avais pratiquée. Et aujourd’hui, ce n’est plus du tout ce rapport-là que j’ai à l’écriture, et je ne me sentirais pas de revenir à ce genre de travail d’écriture. Mais ce n’est pas non plus quelque chose que je mets complètement de côté, de pouvoir écrire d’une autre manière que sous la forme de chansons.
Un très grand merci à Katel pour sa gentillesse et sa disponibilité.
Photos live (c) Mélanie Fazi, pochette de l’album (c) Frank Loriou.