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publié par Mélanie Fazi le 25/06/18
John Parish
- Bird Dog Dante
Bird Dog Dante

Curieux comme certaines chroniques naissent parfois de l’envie de parler d’une chanson en particulier. Depuis la sortie de ce sixième album de John Parish (si l’on excepte les collaborations avec PJ Harvey et le collectif Playing Carver), les articles lus ici ou là s’accordent à vanter « Sorry For Your Loss » ou « The First Star » – à raison, car ce sont d’excellents morceaux pop qui s’accrochent dès la première écoute, et ce sont sans doute ceux que beaucoup de gens garderont de cet album avec le temps.

Mais celui qui nous touche en plein cœur, plus rarement cité jusqu’à présent, s’appelle « Type 1 ». Une chanson intime et délicate, à la fois pudique et très émouvante, autour d’un thème peu abordé : le rapport à une maladie qui chamboule votre vie, ici le diabète, et aux désormais nécessaires injections quotidiennes d’insuline. Une chanson qui frappe par sa justesse, loin des thèmes rebattus autour desquels tant d’autres artistes reviennent tourner en boucle : ces mots-là sont vécus, portés par une voix plus fragile que jamais, à peine soulignée par quelques notes de guitare évocatrices, gardant constamment la juste distance pour se livrer sans tomber dans le pathos.

Lumière et gravité

Sans doute ce morceau un peu hors-norme n’est-il pas représentatif de Bird Dog Dante dans son ensemble ; mais aucun autre titre ne l’est à lui seul. C’est l’une des grandes forces des albums de John Parish de ne jamais se ressembler entre eux, mais aussi de n’être jamais taillés d’un seul bloc. L’album est à l’image de ce titre improbable, collage de mots sans rapport entre eux mais qui semblent se trouver fort bien ensemble, comme si leur proximité créait un sens connu d’eux seuls. Il possède une cohérence manifeste qu’on serait bien en peine d’expliquer, alors même qu’il brasse des éléments très divers – mais s’il y a une chose que John Parish a toujours maîtrisée parfaitement, sur ses propres disques comme sur ceux qu’il produit pour d’autres, c’est bien l’unité sonore. Bird Dog Dante n’est pas un album qui creuse un sillon unique comme le font ses musiques de films, de la splendide B.O. de Rosie au passionnant Screenplay. Il se rapproche plutôt sur ce point de l’excellent How Animals Move de 2002, en moins expérimental et plus apaisé.

Là où les albums précédents tendaient soit vers les instrumentaux (Screenplay), soit vers les chansons (Once Upon A Little Time), celui-ci cherche un équilibre entre ces deux voies. Si, par le passé, les instrumentaux nous avaient souvent semblé plus riches et plus évocateurs, ce sont ici les chansons qui laissent l’empreinte la plus forte. « Sorry For Your Loss » tout d’abord, où PJ Harvey prête sa voix le temps d’un caméo comme elle le faisait déjà sur How Animals Move. Hommage au regretté Mark Linkous de Sparklehorse, la chanson se construit, pourrait-on dire, entièrement à contrepied. Le ton est joyeux, entraînant, malgré la dureté du thème, les voix sont graves, l’accompagnement presque guilleret ; le texte part d’une expression classique de condoléances pour basculer aussitôt ailleurs (« I’m sorry for your loss/of faith and hope (…) I’m sorry for your loss of will/to keep the fires burning still »). Là encore, c’est de cette retenue et de cette pudeur constantes que naît l’émotion. Sur une tonalité semblable, le lumineux « The First Star », tout en guitares nerveuses et percussions énergiques, rend un bel hommage au footballeur George Best, idole d’enfance qui aura appris au tout jeune John Parish à « perdre sans regrets » et l’accompagne aujourd’hui encore.

La beauté de l’expérience

Les chansons sont entrecoupées de plages instrumentales lancinantes où l’on reconnaît ce son de guitare familier, cette façon de tordre et d’étirer les sons pour faire naître chez l’auditeur des paysages ou des rêveries. « Kireru » ou « Let’s Go » auraient eu leur place parmi les musiques de films compilées sur Screenplay. « Buffalo », autre titre fort de l’album, pourrait être le chaînon manquant entre chansons et instrumentaux : la voix est distordue, les mots à peine reconnaissables, l’ambiance intrigante et hypnotique, traversée par un âpre motif de guitare répété comme un mantra.

Plus encore qu’une cohérence sonore, une sorte de lien thématique se dessine au fil des écoutes. Les chansons de Bird Dog Dante semblent habitées par un même rapport au passage du temps. Elles parlent de la mort, des souvenirs, de la maladie, des idoles perdues et de la finitude des choses (comme la disparition du dialogue au sein d’un couple dans « Add The The List »). La tonalité n’est toutefois jamais tragique, mais toujours douce-amère ; c’est un album qui, entre les lignes, parle de l’expérience et de la façon dont elle nous apprend à regarder le monde. Même les choses disparues continuent à nous porter, c’est le message sur lequel « The First Star » clôt l’album : les rêves de notre enfance illuminent encore le quotidien des adultes que nous sommes devenus. La perte n’empêche pas d’apprécier ce qui nous reste ; la maladie n’empêche pas le recul et l’ironie. Il reste toujours une lueur.

On ne peut s’empêcher de songer qu’il n’est pas anodin de conclure l’album sur la note de joie enfantine qu’apporte « The First Star » – le genre de titre accrocheur qu’on choisit plus généralement pour commencer un album que pour le terminer. Bird Dog Dante s’ouvre sur une chanson qui dit le désarroi face à la fin des choses, et se termine par celle qui nous rappelle que rien ne disparaît jamais sans avoir marqué notre vie ou celle des autres. Un album précieux qui sait, jusque dans la gravité, rester solaire et apaisant.

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publié par le 25/06/18