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publié par Mickaël Adamadorassy le 25/04/22
Grandaddy + The Lost Machine Orchestra - Le Trianon, Paris - 20/04/2022

A la fameuse question de ce que vous emporteriez sur une île déserte, pour les disques, il en est un auquel on pense immédiatement...

Le résumé des épisodes précédents.

The Sophtware Slump de Grandaddy sort en 2000 (chroniqué chez nous par Terant) et il marquera durablement la sphère indé, participant à l’émergence d’une génération de musiciens barbus collectionnant les vieux synthés casioet arborant fièrement sur scène des synthés analogiques Korg, Roland et autres générateurs de son pouet pouet, totalement ringardisés dans les 90’s avec le grunge mais qui s’échangent soudain pour des centaines d’euros. Deux albums plus tard, en 2006, alors qu’il connait un succès qui dépasse largement la sphère indé, le groupe se sépare. Jason et le guitariste Jim Fairchild se consacrent à leurs projets solo et puis en 2012 à l’initiative de Fairchild, Grandaddy se reforme pour une série de concerts surprise dont une prestation à Rock en Seine. Et un peu comme dans "The group who couldn’t say", ils s’aperçoivent qu’en fait ils aiment bien rejouer ensemble. Sort ensuite un album, The Last Place mais avec le décès du bassiste Kevin Garcia en 2017, on ne pensait plus vraiment revoir Grandaddy sur scène. Peut être, à la limite, Jason Lytle en solo (on peut se poser la question de la différence entre les deux, il y en a clairement une pour lui, il a une idée précise des ambitions, de la manière dont un disque de Grandaddy doit sonner), étant donné qu’il a des projets musicaux, dont certains concernent la France...

The Lost Machine Orchestra

En 2015, Yann Debiak un amateur de musique indé (et membre du groupe Yalta) devenu régisseur pour un orchestre, monte "The Colors Bar Experience" un projet qui revisite le répertoire d’Elliot Smith avec des musiciens issus du classique et au chant Troy Von Balthazar, Ken Stringfellow et Jason. Le projet est une réussite et le leader de Grandaddy sera très marqué par l’expérience : de chanter ainsi les textes d’une personne dont il était proche dans une version totalement réarrangée, mais aussi de se retrouver pour une fois pas seul aux commandes à porter le projet. Il reste en contact avec Yann et l’idée de faire la même chose avec The Sophtware Slump émerge avec les 20 ans de l’album : Yann enregistre une reprise de "He’s Simple, He’s Dumb, He’s The Pilot" avec le le Color Bars Orchestra et l’envoie à Jason, qui l’apprécie et accepte de chanter dessus. La suite s’enchaine tout naturellement, avec Jean-Christophe Cheneval, ingénieur du son associé au projet, qui se charge de réarranger les chansons pour les instruments de l’orchestre

... Sauf que le monde connaitra deux ans de Covid et les représentations live de la formation qui s’est renommée "The Lost Machine Orchestra" qui devaient se dérouler en 2020 ne pourront avoir lieu qu’au printemps 2022, dont la date de ce soir au Trianon, la deuxième dans la tournée autour du projet.

Version 3.0

L’ancien théâtre parisien n’affiche pas complet ce soir, il faut dire étant donné la quantité de concerts de "rattrapage post-covid" se succédant à Paris, parfois 3 ou 4 le même soir, le mélomane parisien aurait besoin de poches sans fond et du don d’ubiquité pour tout voir mais néanmoins ils sont quand même nombreux à remplir la salle, une majorité de trentenaires-quarantenaires, ce qui parait assez logique pour un album qui a plus de vingt ans et qu’a priori on est nombreux à connaitre par cœur ce soir, que ce soit les paroles ou les mélodies des synthétiseurs.

La scène elle est complètement occupée : à l’avant de la scène, le piano où on devine déjà que Jason se placera, alternant avec le chant debout et un peu de guitare acoustique autour de lui un premier cercle avec les cordes (violon, alto, violoncelle, contrebasse, en alternance avec une basse électrique) et un guitariste électrique, dans le deuxième cercle, un cor pour les cuivres, basson et clarinette pour les bois, une flute, un xylophone et la batterie ainsi qu’un choriste. Une formation d’une quinzaine de musiciens qui couvre donc à la fois les sonorités de l’orchestre et d’un groupe de rock. La décoration est simple mais apporte un peu de chaleur et un côté plus... "organique" à la scène : des feuillages vert et rouge qui essaient de cacher autant que possible pupitres et pieds de micro. Simple mais réussi, de même que les éclairages.

Après une première partie avec un folkeux, le changement de plateau est rapide et c’est les musiciens du Lost Machine Orchestra qui s’installent en premier sur scène et alors qu’on s’attendait à l’intro de "He’s simple, he’s dumb, he’s the pilot" c’est en fait "First Movement / Message Send", qui est présent dans les bonus de la versions spéciale de l’album, qui ouvre tout en douceur le concert, Jason arrive au bout quelques mesures et se place devant le pied de micros sans guitare, sans clavier. Pour ceux qui l’ont toujours connu avec Grandaddy, toujours avec les deux en même temps, caché derrière son "installation" de claviers, ça fait une sacrée différence déjà.

2022 man

Ensuite, sur "He’s simple ...", en l’absence du motif de clavecin (?) trituré de l’album c’est le violon et l’alto en pizzicato qui assurent le côté rythmique tandis que le reste de la formation apporte les textures en particulier le violoncelle qui réussit toujours à faire passer beaucoup d’émotions, de gravité, derrière on voit le xylophoniste faire glisser un archet sur son instrument, on ne distingue pas forcément ce que chacun joue mais le Lost Machine Orchestra et un Jason impeccable au chant parviennent à reconstruire la magie, la mélancolie du titre et alors qu’il avance et que la batterie fait son entrée sa montée en puissance, son côté épique. Sur le final instrumental , l’arrangement "classique" semble tellement naturel qu’on pourrait croire que le morceau a été écrit avec cette idée là en tête.

Sur "Hewlett’s Daughter", on est un peu moins convaincu du résultat même si l’arrangement est très beau, que la rythmique des cordes parvient à recréer le ’"palm mute" caractéristique de ces titres rock de Grandaddy. C’est justement un titre vraiment rock, trois accords ramassés, la basse qui tient la maison fermement, un son garage/punk que viennent titiller les claviers très très pop, des cordes "cheesy", c’est ce mélange improbable qui fait le sel du morceau, difficile de garder ça sauf à reléguer la majorité de l’orchestre à quelques interventions du coup sans autant adhérer que sur He’s simple, on apprécie quand même de redécouvrir le morceau autrement, on hoche autant la tête que pour la version "normale".

Arbitrer

"The Crystal Lake" qui repose sur le même genre de symbiose suit directement, ce qui n’est pas le cas sur disque et ce coup-ci "l’arbitrage" est plus rock : le basse-batterie mène la baraque, la guitare saturée envoie du bois et le reste de la formation appuie et renforce encore la puissance du titre, le public ne s’y trompe pas : les applaudissements étaient déjà nourris, à la fin du titre ils montent d’un cran et il y a des ces "youhous" appréciateurs dans les aigus qui récomposent généralement les morceaux de bravoure.

"Underneath the Weeping Willow" fonctionne très bien comme une comptine pour s’endormir bénéficiant de la délicatesse des instruments de l’orchestre , tandis "Chartsengrafs" et "Broken Household Appliance National Forest" sont très rock à la base mais de par leur côté déjà plus expérimentales, un peu déjantés, extravagantes, elles se plient facilement aux réorchestrations et en sortent même encore plus réjouissantes.

"This is the sound of a robot dying"

Si vous connaissez bien The Sophtware Slump, vous avez déjà sûrement remarqué que la setlist ne suit pas l’ordre du disque : où est donc passé Jed ??? En fait, Jean-Christophe Cheneval, l’arrangeur du projet, est tout particulièrement fan de Jed (qui ne le serait pas ?) et il a souhaité lui écrire son propre mini "opéra", développé à partir des deux chansons sur sur l’album : "Jed The Humanoid" et "Jed’s Other Poem". Jason nous prévient que cela va durer entre 12 et 14 minutes et que "quand vous aurez l’impression que c’est fini et que vous voudrez applaudir, en fait, il y en encore, alors on vous fera signe quand c’est fini". Et ça n’a pas manqué, on a applaudi avant la fin, on a applaudi après, on a applaudi encore parce que c’était vraiment très beau, si "He’s simple" vous fait décoller, Jed vous déchire le cœur et encore plus dans cette version là.

"Where’s Jim ?"

... c’est la question que posera à un moment quelqu’un dans le public, sans que Jason l’entende ou ne veuille répondre : effectivement pas Jim Fairchild à la guitare, pas de barbus au basse-batterie : ce soir Jason Lyttle est Grandaddy et cela ne nous choque pas : cela n’a jamais été un secret, les morceaux sont écrits et souvent mêmes enregistrés entièrement par Jason. Ce qui n’empêche pas chaque membre du groupe d’apporter quelque chose au live et on aurait aimé qu’ils soient là aussi mais c’est aussi intéressant de voir comment d’autres musiciens interprètent les morceaux qu’on connait déjà, sur Jed par exemple, le guitariste électrique utilise surtout ses pédales d’effet, un delay qui part en feedback contrôlé pour "tapisser" le morceau d’un effet qui évoque une "mécanique psychédélique infernale"

Chanceux

Quand un album compte autant que "The Sophtware Slump", quand vous l’écoutez depuis plus de vingt ans, c’est quasiment impossible de s’empêcher de pinailler, d’analyser bout par bout et de se dire que tel ou tel choix était bien ou pas. On l’a déjà vu avec le projet de reprises de ADA. Mais en fait, si on se livre à cet exercice, après le concert, à tête reposée, pendant on était sur un petit nuage, contents de réentendre Jason jouer ses morceaux, content de voir le plaisir qu’il y prend, sachant que dans les années 2000, vers la fin de Grandaddy, il n’aimait pas vraiment passer tant de temps sur la route en tournée. Mais aussi régalé par The Lost Machine Orchestra, la beauté des sonorités de ces instruments qu’on a moins l’habitude d’entendre mais aussi la qualité des arrangements sur des titres qu’on connait par cœur et qui n’étaient pas forcément simples à réarranger. Les sourires des musiciens, leurs regards tournés vers le public aussi, donnant vraiment l’impression que c’est un groupe au sens rock mais avec beaucoup plus de gens sur scène et c’est là qu’on se dit qu’on est chanceux d’avoir l’occasion de voir une formation comme celle-ci sur scène, qu’il y ait de plus en plus de projets comme le Color Bars Experience ou The Colorist Orchestra qui créent ses ponts entre des univers généralement peu communicants , que le tourneur Radical prenne des risques en soutenant un projet aussi ambitieux et pointu

P.-S.

Sources :
- Interview de Yann Debiak sur Section 26 : https://section-26.fr/yann-debiak-c...

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