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publié par Mathilde Vohy le 31/03/20
Fils Cara - "J’ai envie de faire partie de cette lignée d’artistes qui pensent l’art dans sa globalité"

Mon histoire avec Fils Cara commence au printemps dernier. Un beau matin de juin, on me conseille TRÈS FORTEMENT d’aller découvrir le tout frais « Nanna », premier titre de l’artiste. Ces trois minutes d’écoute me suffisent pour devenir complètement fan de la poésie de Fils Cara. « Nanna » a alors tourné en boucle dans mes oreilles en attendant la sortie de Volume, premier EP du rappeur, en janvier dernier. Après l’avoir écouté une bonne centaine de fois, l’avoir chroniqué et avoir assisté à une expérience mystique en live, il était temps d’interviewer cette belle personne qu’est Fils Cara.

Salut Fils Cara, on te rencontre à quelques minutes de ta release party au Pop up du label, comment te sens-tu ? Stressé, pressé ?

Je me sens extrêmement à l’aise, un peu traqué comme avant chaque concert mais je suis très heureux de cette soirée. L’EP est sorti il y a quelques jours et commence à bien fonctionner donc je suis content. Content aussi de voir aussi les quelques têtes que j’ai aperçues, notamment mon label et le groupe que j’invite en première partie qui s’appelle Fog Upon La et qui est une formation que je trouve formidable.

Tu viens donc défendre ton premier EP, peux-tu nous le présenter ?

Oui, bien sûr, ça s’appelle Volume, c’est un EP de 8 titres, donc un long EP, qui est sorti ce mois de janvier. A l’intérieur, on peut découvrir plusieurs couleurs de musique qui correspondent à ce j’ai pu fabriquer jusqu’à maintenant et à ce qui va venir. C’est sorti chez Microqlima qui est le label dans lequel j’ai signé en février dernier. On est très content de l’avoir sorti parce que ca fait un an que c’est dans les tuyaux. Et je suis aussi très content plastiquement parlant de ce à quoi ressemble cet EP et notamment de l’effet qu’il a eu pour l’instant sur ceux qui l’ont vu.

Cet EP est-il une compilation des chansons que tu as écrites depuis que tu fais de la musique ou tout a été écrit et composé dans le cadre d’un projet EP ?

Non c’était un vrai projet EP. Il a été fabriqué avec Osha qui est à la fois beatmaker et au sens plus large compositeur de musiques extrêmement puissantes. On s’est bien amusé, on a fait ça ensemble sur l’espace d’un mois en mai dernier.

Ce projet EP a-t-il émergé suite à ta signature chez Microqlima ou tu en avais déjà l’idée avant ?

Je pense que je l’aurais sorti dans tous les cas parce que quand je suis arrivé chez Microqlima j’avais déjà des maquettes qui trainaient. En fait j’avais déjà « Nanna » et « Contre jour » qui sont donc les morceaux qui débutent le projet et qui initient le disque. Je pressentais « Nanna » être un bon morceau, j’ai donc choisi de prendre le temps et de réfléchir avec un label plutôt que de sortir ça sur internet comme je faisais avant.

En parlant de l’avant Microqlima, il me semble que tu officiais sous un autre nom ? Pourquoi avoir changé ?

Oui, “Klë”. Ce qui m’a motivé à changer c’est l’arrivée à Paris. L’ancien nom était plus percussif, il correspondait donc à un moment de ma vie où mon écriture était plus percussive. L’écriture actuelle qui est défendue sous Fils Cara est différente. Je voulais aussi marquer le fait que je quitte le foyer de ma mère, il fallait que je l’emporte avec moi. C’est son nom c’est Cara, je suis donc le Fils Cara.

Ton nom a donc un vrai lien avec la musique que tu crées ?

Oui mais au delà de ça l’idée c’est vraiment porter ma mère au sens physique. Un nom c’est gravé partout : sur les affiches, sur mon projet, sur moi quoi.

Pour revenir à ta signature chez Microqlima, as-tu eu l’impression que quelque chose basculait ? Ou as-tu plus vu ça comme une première étape ?

Non, ce n’était pas comme une première étape. C’était comme un basculement du monde amateur au monde professionnel, c’est une étape quasi obligatoire pour réellement entrer dans l’industrie musicale. Evidemment que c‘est un changement de paradigme total, tu vas pas sortir tes trucs tout seul toute ta vie sans réfléchir à une stratégie. Signer dans un label c’est aussi se sentir accompagné par une famille, la famille Microqlima. Les groupes qui constituent cette famille se ressemblent musicalement de près ou de loin mais on développe surtout une énergie commune.

On peut donc dire que tu as quitté le foyer de ta mère pour trouver une deuxième famille à Paris ?

Absolument !

Ensuite, tout s’enchaîne assez vite avec notamment des concerts à Rock en Seine et We Love Green. Est-ce que ces concerts étaient plus stressants pour toi ? Est-ce que tu y as plus appris que sur des petites scènes ?

J’ai eu une chance immense ! J’ai plus appris, c’était néanmoins tout aussi stressant que de faire un Pop up par exemple. Mais l’intérêt était surtout de travailler le live au sens dramaturgique et au sens sonore. On travaille avec un ingé son qui s’appelle Cédric Triay qui est un pur génie de la table de mixage et qui a pu s’exercer sur les grosses scènes dont tu parlais. Ca nous a fait beaucoup de bien pour devenir un groupe de live au sens propre et non pas juste des mecs qui font des disques “et puis on verra ce qu’il se passe plus tard”.

Tu as donc fait quelques concerts avant de sortir ton EP, est-ce que les retours des gens qui ne te connaissaient pas ont fait évoluer tes compositions ?

Pas vraiment parce que cet été le projet était déjà fini. Pas mixé ni masterisé mais il était fini. Néanmoins je pense que ça a forcément un peu changé ma manière de penser les chansons. C’est pour ça que les arrangements en live diffèrent beaucoup de ceux du disque. C’est toujours la même chanson au sens propre mais les arrangements varient et c’est ça qui m’a permis de trouver ma place en tant que personnage de live et en tant que projet de live.

Donc finalement ca a fait évoluer ta prestation en live mais pas tes maquettes ?

Complètement, parce que, pour le live, on part de chansons qui sont figées. L’exercice du studio est d’ailleurs toujours vertigineux pour moi puisqu’on n’est plus dans les années 60-70 à formuler des arrangements en studio tous ensemble à Abbey Road sur des tapis persan. Là on est chez nous puis à un moment on passe en studio et tout se fait rapidement. On est légèrement victimes de la temporalité de l’industrie. Le live fonctionne différemment, on peut répéter, travailler et changer les arrangements à l’infini. C’est pour ça qu’en ce moment j’ai beaucoup d’affection pour la scène.

Tu as fait la première partie de Philippe Katerine à Bruxelles, peux-tu nous en parler ? Comment s’est passée cette rencontre ?

Absolument ! Déjà Philippe Katerine je trouve que c’est un humain total, c’est une personne que j’apprécie énormément du point de vue du personnage et de l’alignement qu’il peut avoir avec ses pratiques. C’est un artiste plasticien plus généralement qu’un musicien. Moi ce qui me plait dans cette démarche c’est que c’est une démarche que je conçois aussi et j’ai envie de faire partie de cette lignée d’artistes qui pensent l’art dans sa globalité. L’art plastique, la comédie, la musique, tout ça c’est une seule et même chose, c’est notre carte d’identité. L’identité de Philippe Katerine est absolument une de mes préférées en France.

Même sa scénographie est en accord avec le projet !

Tout à fait, il a une scénographie incroyable avec des doigts qui montent au ciel, un nez, c’est super beau !

Tu seras aussi bientôt au Chantier des Francos (bon, finalement le confinement est passé par là…) : qu’est ce que tu espères y apprendre ?

Déjà j’ai une chance immense d’être sélectionné au Chantier des Francos. Il faut se dire qu’on a jamais fini d’apprendre à aller dans le détail et que, même si on commence à maîtriser le projet du point de vue du live, il y a encore plein de perspectives à creuser, et de choses à apprendre que ce soit d’un point de vue vocal ou physique. Aussi, je dirais que toute la réflexion dramaturgique et scénographique sera à aborder. C’est ce qui est proposé dans l’accompagnement et probablement ce que je vais travailler quand je serai là bas.

©PE Testard

Parlons de ton style maintenant : on peut dire qu’il est hybride, certains disent que tu fais du rap d’autres que tu te rapproches plus de la chanson française. Ne peut-on pas juste dire que ton style est le style Fils Cara, un point c’est tout ?

A terme c’est quelque chose qui devient possible quand on a fait assez de disques. Il est normal que pour l’instant on me raccorde à d’autres personnalités ou qu’on trouve que ça ressemble à. Néanmoins en effet ce serait très glorifiant de nommer un style “Fils Cara”. Tu vois pour l’instant je laisse les gens me définir. J’ai moi-même ma définition personnelle qui change assez souvent.

Quelle est-elle actuellement ?

Actuellement je dirais que c’est de la chanson libre.

Abordons maintenant tes inspirations. As-tu plus l’impression d’avoir été bercé par tes origines siciliennes ou françaises ?

Je réfléchissais à ça il y a peu en travaillant avec un ingé son corse et avec une anglaise. Je me disais qu’en général les insulaires ont ce truc d’essayer de travailler rapidement et de penser qu’on peut tout changer par soi-même. Ce n’est pas nécessairement intelligent mais c’est souvent la forme que ça prend.

Haha je t’ai eu là ! rires

Intéressant ! Mais hormis ta manière de travailler, musicalement parlant est-ce que, plus jeune, tu écoutais de la musique française ou sicilienne ?

Non française évidemment ! Je suis totalement influencé par ce grand pan de la chanson française de la rive gauche. Brassens et Gainsbourg surtout. La chanson parisienne quoi.

On a découvert un feat sur ton EP avec Zed Yun Pavarotti. Y a-t-il d’autres artistes avec qui tu rêves de collaborer ?

Déjà, Philippe Katerine j’aimerais vraiment collaborer avec lui. Et il y a des artistes qui sont plus ou moins éloignés de la musique que je fabrique mais que j’aime beaucoup. Agnès Obel, par exemple, qui fait de la musique délicate et très intelligente. Puis aussi j’ai vu qu’au Chantier des Francos cette année il y avait une artiste qui s’appelle Lucie Antunes. Elle fait de la musique percussive et inspirée de la musique minimaliste des années 60 dont je suis absolument fan. Je lui proposerai bien un de ces quatre de collaborer... mais je suis un peu timide alors on verra, on va attendre de se croiser au Chantier des Francos !

Ca sera l’occasion ! Merci Fils Cara ! Qu’est-ce que je peux te souhaiter pour la suite ?

Que le concert dans quelques minutes se passe très bien et qu’on fasse la fête ! On peut me souhaiter d’être en joie.

Je te le souhaite alors !

P.-S.

Merci à Fils Cara pour sa poésie et ses mots et merci à Microqlima d’avoir organisé cette rencontre !

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publié par le 31/03/20