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publié par Mélanie Fazi le 29/03/19
Emilie Marsh
- Emilie Marsh
Emilie Marsh

Quelques mois après la création du tout jeune label FRACA !!!, dont elle est la co-fondatrice avec Katel et Robi, c’est à Emilie Marsh que revient l’honneur (ou la lourde tâche) de sortir le premier album du label. L’occasion de constater plus concrètement, au-delà des intentions annoncées du projet (qu’elles nous confiaient l’automne dernier en interview), le résultat de leur travail et le type de musique qu’elles souhaitent défendre.

Classe rock et voix claire

Pour qui a, comme nous, découvert Emilie Marsh en tant qu’accompagnatrice sur scène d’autres artistes ou au sein du groupe Bodie, cet album est une vraie surprise. On connaissait son énergie sur scène, son jeu de guitare au son particulier, cette classe un peu rock qu’elle peut dégager en concert. On la savait influencée par des artistes comme Patti Smith à laquelle pourrait faire écho l’iconographie de la pochette : chemise blanche et pantalon noir, regard assuré qui défie l’objectif. Sauf que ce n’est pas tout à fait ce que raconte son album, en tout cas pas uniquement – et ce décalage même en fait la richesse, la singularité et au final l’identité.

Il y a cette voix, déjà. Pas du tout une voix rock telle qu’on se la représente généralement, mais une voix claire qui semble moins chercher la puissance ou l’énergie que la justesse de l’émotion. Une voix qui nous avait déjà surpris sur scène en l’entendant interpréter « Comme un boomerang » avec Dani dont elle est la guitariste attitrée. Le contraste entre leurs timbres si différents, l’un grave et éraillé, l’autre plus lumineux et mélodieux, créait un vrai relief, qu’on retrouve ici intact le temps d’un duo accrocheur, « Sur les ondes », où leur interaction fait merveille.

L’affirmation joyeuse

La clarté, c’est l’impression qui revient sans cesse lorsqu’on cherche à décrire cet album. Une forme de simplicité aussi, de celles qui forcent le respect : il n’est pas si facile d’aller vers l’épure et l’absence de fioritures sans sombrer dans quelque chose de fade ou de plat, sans dévoiler un déséquilibre dans la construction des morceaux ou l’écriture des textes. Ici, tout s’emboîte magnifiquement. On découvre chez Emilie Marsh un véritable talent pour les mélodies immédiates qui s’accrochent et ne vous lâchent plus. On pense à certains de ces tubes de la fin des années 80 ou début 90 qui alliaient l’efficacité absolue à une forme de fêlure, qui charmaient nos oreilles en même temps qu’elles visaient nos tripes. « Goodbye comédie », à cet égard, est exemplaire. Une chanson qui parle d’affirmation et de libération, de cesser de se conformer aux attentes pour laisser s’exprimer ce qu’il y a d’authentique en nous, et tant pis pour les conséquences. Le tout sans bravade artificielle : on n’est pas dans l’audace calculée ou la rébellion de pacotille, on pressent qu’il faut avoir vécu ces choses-là pour les dire avec des mots si simples et justes à la fois, qu’il faut avoir su ce que c’était de se brider pour mieux goûter le moment où l’on cesse de se cacher. Le morceau transmet une joie véritable et contagieuse, mais recèle une infime part d’ombre : on sait qu’on peut payer ces choses-là, mais on sait aussi qu’on n’a pas le choix et que c’est le prix pour être pleinement vivant.

Errances nocturnes

L’album semble chercher son équilibre et son identité entre, d’un côté, une forme d’assurance porteuse de force et d’énergie, incarnée par les mélodies accrocheuses de « Goodbye comédie », « J’embrasse le premier soir » ou « À quoi je tiens », et de l’autre une vulnérabilité dévoilée sans impudeur. Il y a le trouble un peu moite qui imprègne « Où vas-tu la nuit », déchirante supplique adressée à une personne aimée qui nous échappe et dont on ne peut que deviner les errances nocturnes. La mélancolie lancinante de « L’aventure » derrière l’assurance des mots ou celle, curieusement apaisante, de « Haut le cœur », portrait poignant d’une jeune fille à la dérive – morceau récemment entendu dans le très beau film Nos vies formidables où Emilie jouait également un rôle. Et toujours, on retrouve ce don pour dire la vérité des choses en peu de mots, avec peu d’effets. Les couleurs de l’album oscillent entre pop énergique et ambiances nocturnes teintées de rock ou de new wave – on s’étonne de trouver la guitare électrique, instrument de prédilection d’Emilie Marsh sur scène, moins mise en avant qu’on ne pourrait s’y attendre, plus affairée à dialoguer avec les claviers pour créer des ambiances adéquates qu’à se tailler la part du lion. Ici, chaque élément cherche sa juste place pour mieux rendre justice aux émotions.

Funambule

On accueille cet album avec une forme d’étonnement ravi et d’accoutumance immédiate (« Goodbye comédie » aura beaucoup tourné en boucle chez votre matelote dans les jours suivant sa découverte). On ne l’attendait pas si lumineux et accrocheur, si juste et délicat dans ses effets, dans son intensité retenue, parfaite alliance d’efficacité et de finesse. Un album constamment sur le fil, à cheval entre diverses influences et tentations, et qui y trouve sa voix avec la belle audace des funambules. Un album auquel on s’attache très vite et vers lequel on reviendra souvent.

À lire également, notre interview avec Emilie Marsh autour de cet album.

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publié par le 29/03/19