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publié par Mathilde Vohy le 30/04/20
Cléa Vincent - Etre encouragée par les musiciens de Tropi-Cléa 2 m’a donné beaucoup de force

Comment vous la décrire simplement ? Si on devait résumer Cléa Vincent, on vous dirait que c’est un condensé d’optimisme, d’énergies positives et de gentillesse. Sa musique a d’ailleurs toujours reflété ce portrait. Dès ses premiers EPs en 2014, nous sentions qu’une pop enjouée bouillonnait en Cléa. C’est en 2017 que l’artiste libère définitivement toutes les couleurs qu’il y a en elle en ouvrant une parenthèse tropicale au sein de sa discographie pop. Cet EP intitulé Tropi-Cléa nous avait fait découvrir ses influences brésiliennes et son amour de la bossa-nova. Trois ans après cette respiration exotique, Cléa a eu besoin de ressortir ses pots de peinture et de redessiner une parenthèse colorée à sa discographie. Bien accompagnée par des musiciens fidèles, la chanteuse a sorti aujourd’hui Tropi-Cléa 2. Rien de mieux pour vous en parler que d’interroger celle qui a créé ce bel EP.

Coucou Cléa, j’imagine que je ne suis pas la première à te le demander, mais comment vas-tu ? Ca va ce confinement ?

On se pose tous la question et c’est important ! Ecoute je ne suis pas la plus à plaindre c’est une certitude. La question de savoir quand on va reprendre les concerts est un peu déstabilisante mais je ne m’inquiète pas trop. Il faut profiter de ce temps pour créer plein de choses et puis ça reprendra quand ça reprendra. Et toi ? J’imagine que tu es au coeur des mêmes questions ?

Oui, écoute, le discours est à peu près le même que le tien. Je pense qu’on fait partie des privilégiés puisqu’on peut rester chez nous et être à peu près tranquilles d’esprit. La question c’est de savoir comment le secteur musical va se remettre de cet épisode mais bon c’est comme ça ! Il faut en profiter pour prendre du temps, faire autre chose en pensant peut-être davantage à soi.

Ben ouais ! Moi du coup j’ai produit énormément de sessions à la maison, je me suis enregistrée pour certaines radios et c’est pas inintéressant de faire ce travail.

J’ai même vu des goûters d’anniversaire !

Ouais t’as vu ! (rires)

On reviendra plus tard sur le confinement, je voulais d’abord discuter avec toi des bonnes nouvelles et de ton prochain EP. Il sort dans une semaine tout pile c’est ça ?

Exactement ! Le 30 avril !

Peux-tu nous le présenter ?

Avec plaisir ! C’est un EP six titres, qui s’appelle Tropi-Cléa 2 parce qu’il fait suite à Tropi-Cléa, sorti il y a deux ans maintenant. En fait ce sont des morceaux d’inspiration latine et brésilienne. Parmi mes influences il y a beaucoup de jazz et de musique brésilienne parce que j’ai notamment étudié avec Philippe Baden Powell, un prof qui m’a transmis pas mal de couleurs latines. Je les utilise pour décrire certaines chansons. Ce que je fais c’est que quand ces chansons un peu plus tropicales sortent, je les collectionne, je les mets de côté. J’en avais accumulé 6 que j’avais mises sur Tropi-Cléa 1 puis de nouveau j’en ai eu une collection de 6 que j’ai mises sur Tropi-Cléa 2. Si tu veux c’est un peu une forme de récréation entre mes albums qui sont beaucoup plus produits, qui demandent beaucoup plus de travail. Tropi-Cléa c’est beaucoup plus spontané, c’est enregistré en deux ou trois jours seulement. C’est vraiment une respiration au milieu de ma discographie.

J’allais justement revenir sur les différentes particularités de cet EP, à commencer par le fait qu’il soit enregistré en live, peux-tu expliquer concrètement en quoi cela consiste ?

C’est très simple ! Une fois que j’ai eu les chansons, j’ai envoyé une démo (une forme très brute) aux musiciens pour qu’ils les écoutent. Après ça on s’est retrouvé, on a répété une semaine dans mon studio et chacun a apporté sa touche, son énergie et ses idées. On a mis tout cela en musique. Une fois qu’on avait les morceaux finis, on est entrés en studio, on les a enregistrés comme on les avait répétés. En deux jours c’était fait ! Puis, ensuite, on a demandé à une section cuivres de venir compléter ce qu’on avait fait. Les arrangements cuivres ont été faits par Raphaël Thyss qui est le claviériste et trompettiste du groupe. Et les arrangements d’un point de vue rythmique ont été réalisés par le batteur, Raphaël Léger. Pour les chansons, c’est essentiellement moi qui les ai écrites mais j’ai demandé un petit coup de main de temps en temps pour corriger des textes ou des structures. Il n’y a que « Bahia » qui est un morceau apporté par Raph Tyss. Si on met tout bout à bout, sans compter le temps d’écriture mais juste l’enregistrement ca nous a pris maximum deux semaines ! Alors que pour Nuits sans sommeil par exemple c’est un an et demi de studio ! Avec des allers-retours sur les morceaux, du travail au moindre millimètre de synthé. C’est pas la même manière de procéder, ni la même énergie, ni le même rendu mais je trouve que les deux expériences sont intéressantes.

Cette spontanéité et cette manière de travailler sur Tropi-Cléa sont-elles moins stressantes ?

C’est très libérateur de faire les choses vites et spontanément sans trop se poser de questions. Je trouve cela vraiment très chouette. C’est un autre plaisir en fait. Le plaisir du spontané alors que les autres albums c’est plus le plaisir d’aller dans le détail.

D’accord, tu évacues les choses d’une autre manière en fait.

Exactement ! Ce ne sont pas les mêmes sensations.

Cet EP a une deuxième particularité : on y retrouve des mélodies aux consonances brésiliennes et latines. Ces inspirations viennent-elles uniquement de ton enseignement musical ? Est-ce un style auquel tu es personnellement attachée dans ta consommation de musique ?

Oui tout à fait ! Lorsque j’ai été sensibilisée à la musique brésilienne, derrière, j’ai énormément approfondi ce secteur et ce style. J’ai notamment écouté beaucoup d’albums de Caetano Veloso, Jorge Ben Jor, ou encore Gilberto Gil que j’ai vu sur scène et que j’ai adoré ! Il y a aussi Chico Buarque ou Seu Jorge. Ce sont les grandes étoiles de là-bas, l’équivalent de Souchon et Voulzy chez nous en gros ! (rires) Je me suis beaucoup plongée dans ces grands classiques, mais j’ai écouté aussi du jazz purement jazz. Stan Getz, par exemple, qui a repris beaucoup de thèmes brésiliens avec Gilberto Gil, ça me plait beaucoup !

C’est intéressant parce que tu aurais pu étudier avec un professeur sensible à ces styles musicaux sans pour autant te passionner également pour ces derniers.

Oui, bien sûr, tu as raison ! Au contraire, une porte s’est ouverte, j’y suis rentrée et encore aujourd’hui j’écoute plein d’artistes de là bas.

Y a-t-il d’autres styles que tu as envie d’explorer ?

Je réfléchis mais j’irais bien du côté du Mexique. Je crois qu’il y a vraiment des musiques très intéressantes que je n’ai pas encore creusées. Là j’étais à fond Brésil mais pourquoi pas écouter un peu plus de musique mexicaine à l’avenir.

Tu vas nous faire un tour d’Amérique Latine en fait ?

Exactement ! (rires)

Il y a dans cet EP une chanson appelée « Bahia ». Tu dis à ce propos que tu rêves de jouer un jour au Brésil. C’est vrai ? Qu’est-ce qui te fais rêver là-bas ?

Je me fais une idée ou peut-être même un fantasme d’une sorte d’envoûtement potentiel et d’un grand sens de la fête. On m’a raconté que les soirées, à Bahia notamment, durent toute la nuit. Ca joue à fond, ça danse ! Peut-être que je me trompe, mais j’ai idée d’un espace pour la danse et le lâcher-prise qui est dément. Un peu comme on trouve en Afrique. Quand je suis allée au Sénégal par exemple j’ai été frappée par les soirées all night long où tout le monde danse. J’ai l’impression que c’est la même chose au Brésil. On a peu ça en France, des grandes soirées en extérieur et des caïpirinhas après une journée très chaude ! Il y a quelque chose au fond de moi qui me fait dire que ça doit être absolument génial.

Y es-tu déjà allée en tant que touriste ?

Pas du tout, jamais, jamais ! Ma crainte c’est d’y aller et de ne jamais en revenir. C’est peut-être pour cela que je repousse au maximum ! (rires)

Je croyais que t’allais me dire que t’avais peur d’y aller et d’être deçue.

Haha ca aurait pu ! Mais non, j’ai peur d’être, tu sais, comme ceux qui vont en Inde et n’en reviennent jamais ?

Ah oui le fameux syndrome du voyageur !

Voilà ! Ils ont des révélations spirituelles et tout. J’ai peur d’avoir un tel crush que ça m’empêche de revenir chez moi.

Je n’espère quand même pas ! Comme tu le disais tout à l’heure, cet opus répond également à un précédent EP appelé Tropi-Cléa en 2017. Est-ce qu’on peut dire que c’est une suite ?

Oui, on a le droit de dire que c’est une suite ! D’ailleurs dans ma tête je me disais que la réunion des deux formait une sorte d’album de 12 titres. C’est vraiment deux EP qui vont pouvoir s’écouter à la suite. J’ai même en tête de faire des concerts spéciaux Tropi-Cléa uniquement avec les morceaux de ces EP et des prochains qui rentreront dans cet esprit. L’idée c’est que ça fasse suite et sens.

Est-ce que tu pensais déjà à une suite quand Tropi-Clea 1 est sorti ou l’idée a émergé plus tard ?

Alors, quand j’ai fait le 1 je n’ai pas imaginé immédiatement une suite. Mais on a tellement kiffé cette expérience de studio hyper spontané avec mes musiciens qu’ils m’ont plusieurs fois réclamé la suite ! J’ai trouvé ça tellement cool qu’ils me disent “non mais Cléa quand est-ce que tu écris les chansons du 2 ?” ! Donc je l’ai aussi fait parce que les musiciens l’ont encouragé.

As-tu travaillé avec les mêmes personnes ?

C’est exactement la même équipe ! A l’exception de Olivier Ikéda, le saxophoniste de Tropi-Cléa 1 mais qui n’était pas la sur le 2 parce qu’il est parti à La Réunion. J’ai fait appel à un autre saxophoniste qui s’appelle Romain Cuoq, un jazzeux pure souche, un dieu du saxophone ! (rires) J’ai aussi rajouté un baryton, une nana en plus, ce qui est plutôt cool, elle s’appelle Nina Beziau.

Ma chanson préférée dans cet EP c’est « Tropique ouverture », un morceau 100% instrumental. Ca m’a surprise de préférer celle-ci alors que je suis habituée et que j’aime tes textes et ton univers pop.

Ah c’est vrai ? C’est marrant que tu l’aies particulièrement appréciée !

Ouais, dès la première écoute elle m’a vraiment interpellée ! Après c’était une obsession je l’ai écoutée en boucle.

Ca me fait trop plaisir !

J’ai accroché directement, elle m’a fait voyager ! Et je me demandais donc : est-ce différent de composer un morceau sans paroles ?

Oui c’est complètement différent. Ce que je cherchais dans cet instrumental c’était de créer, comme son nom l’indique, une ouverture. Je voulais faire rentrer les instruments les uns après les autres, c’était comme une façon de présenter les musiciens, de dire que, sans eux, il n’y a pas de chanson.

C’est exactement comme cela que je l’ai perçue !

C’est vrai ? Trop bien ! Tu sais, c’est comme un tapis rouge où on présente tous les acteurs d’un film. Là, c’est tous les acteurs de Tropi-Cléa 2 qui rentrent les uns après les autres. Et harmoniquement, l’idée c’était l’image d’un lever de soleil. Ouais, c’est ça, c’est comme un générique en fait où on présente tous les acteurs dans une ambiance de lever de soleil ! Le style c’est un peu pop-disco brésilien et jazzy. Et c’est pas exactement le même procédé parce que pour une chanson à paroles il faut un thème, un texte, un mot à dire. Là j’ai pas besoin de dire grand chose.

Ce sont les notes qui parlent à ta place ?

C’est exactement ca !

Justement, quand tu écris une chanson où il y a des paroles, est-ce que les textes te viennent en même temps que la musique ?

Il y a des chansons où j’ai eu textes et musique en même temps. J’étais derrière mon instrument et j’ai laissé le truc se faire. Dans ces cas là il y a beaucoup de travail derrière mais les idées brutes viennent directement en piano-voix. C’est le cas de « Poupée canapée », « N’allez pas travailler » et « Sans dec ». Ces 3 chansons ont été écrites comme ça, d’un coup. D’ailleurs, elles sont moins riches harmoniquement, il y a peu d’accords parce que tout y a été posé de manière assez brutale. Après, « Du sang sur les congas » c’est une suite d’accords que j’avais déjà de côté et le titre est une punchline que j’avais entendue de la bouche de Raph Thyss en tournée. Il avait sorti ça, je l’avais noté en me disant “faudra en faire une chanson” ! A partir de la punchline et de la suite d’accords j’ai développé le morceau. Et « Bahia » du coup c’est 100% écrit par Raph Thyss. Je pense qu’il a d’ailleurs écrit la musique puis les paroles.

Même les paroles ont été écrites par Raphaël ? Je pensais qu’il était l’auteur de la partie musicale et toi des textes ?

Non, c’est ça qui est génial, c’est qu’il a bien chopé mon identité ! J’ai presque l’impression qu’il l’a composée sur mesure. Franchement j’aurais pu écrire ça !

J’ai été dupée donc c’est que ça a marché !

Et ce qui est drôle, c’est que « Poupée canapée » et « Du sang sur les Congas », je me rappelle exactement de quand je les ai écrites. J’avais mis mon Iphone en mémo vocal, je me suis dit “vas-y j’essaye un truc”, j’ai senti une émotion et boum c’est sorti comme ça en piano-voix ! Et derrière évidemment on a un peu développé avec nos logiciels, nos instruments et tout. Mais tu vois, l’idée brute, c’est comme un peintre qui a une intuition momentanée et qui garde sa première esquisse.

Les chansons ont-elles été écrites toutes en même temps ? Ou du moins au cours de la même période ?

Alors, « Du sang sur les congas », « Poupée canapée » et « N’allez pas travailler », ces trois la, je les ai écrites à l’automne. « Sans dec’ », je l’avais avant l’été . Et « Tropique ouverture » et « Bahia » sont des chansons de last minute, elles ont été écrites quelques jours avant l’enregistrement !

Ok, il y a à peu près trois périodes d’écriture quoi ?

A peu près, mais tout est dans un rayon de 6 mois précédant l’enregistrement on va dire. C’est quand même des chansons assez nouvelles. Et je te dis ça parce que parfois j’ai des chansons que je laisse mûrir 5 à 10 ans !

Ah ouais ! Lesquelles par exemple ?

« Nuit sans sommeil », de mon deuxième album par exemple. Je l’avais écrite 7 ans auparavant !

Et quand tu l’as écrite il y a 7 ans, elle ressemblait à la version que tu as sortie l’année dernière ?

Ouais quasiment ! En fait, je n’y croyais pas du tout, pour moi elle n’était pas intéressante. Je l’ai faite écouter à Raphaël Léger et il m’a dit “on pourrait en faire un morceau un peu club”. Elle était restée au fond du tiroir et on a fini par la ressortir.

C’est un fort symbole que ce soit ensuite devenu un des singles de ton album alors que tu n’y croyais pas.

Ouais c’est ouf ! Comme quoi, on est très mauvais juges de nous-mêmes. Les chansons que je fais, très souvent j’ai tellement pas confiance que c’est bien qu’on me prenne par la main pour me dire “allez on y va” !

Et c’est aussi pour ça que c’est important d’être bien entourée !

C’est clair c’est fon-da-men-tal ! Et tu vois, le fait d’être encouragée par les musiciens sur Tropi-Cléa 2, ça m’a donné vachement de force. J’ai beau faire la femme forte, je suis très timide et pas toujours sûre de moi donc j’ai besoin d’un entourage en béton armé sinon je peux vite me renfermer dans ma coquille.

Vas-tu défendre Tropi-Cléa 2 sur scène avec ton équipe en béton armé ?

Et ben, on devait faire un concert à Paris mais depuis ça a été décalé à l’automne. On va faire un concert pour fêter la sortie de Tropi-Cléa 2, une release party où on va jouer tous les morceaux des deux EP. J’avais d’ailleurs envie de faire ça dans un club de jazz pour le clin d’oeil aux influences. Et ensuite pour ce qui est des autres concerts je pense qu’on fera comme on a toujours fait : on prendra les chansons qui marchent le mieux en live et qui donnent le plus envie de danser. Moi, mon idée du live, c’est vraiment de faire danser les gens. De Tropi-Cléa 2, à mon avis, on jouera P« oupée Canapée » et « Du sang sur les congas ».

Comment ça va se matérialiser ? Tous les musiciens ayant participé à l’enregistrement seront présents sur scène ?

Pour les dates à Paris et la release party je pense qu’on sera fullband, c’est à dire six sur scène. En revanche, pour les concerts en province, vu l’état actuel de l’économie de la musique, tu es bien placée pour le savoir, on restera en quartet. On était quatre sur scène pour défendre Retiens mon désir et également quatre pour Nuits sans sommeil donc je pense qu’on va rester en carré c’est un peu l’optimum de ce qu’on peut faire quand on fait de la pop.

Dans ces cas là, tu as des pistes enregistrées avec les parties qui te manquent ? Le sax par exemple ?

Je suis totalement contre les bandes haha ! (rires) Je vais passer pour une réac’ mais je trouve ca trop chelou quand on entend des cuivres alors qu’il n’y en a pas sur scène. Donc, hélas, on fait sans. Mais c’est quand même vivant et on se démerde avec nos moyens. Raphaël Thyss joue par exemple de la trompette et du clavier en même temps. Il pourra faire une partie ou deux. Moi je peux jouer au synthé et faire des choeurs en même temps. Il faut se débrouiller avec les contraintes. Je trouve ça toujours un peu dommage et un peu piégeux d’essayer de reproduire à l’identique un disque alors qu’on n’en a pas les moyens.

Complètement ! Et je ne trouve pas ça du tout réac’ mais plutôt courageux de ta part de vouloir proposer une expérience live qui soit différente de l’expérience studio. C’est aussi pour ça qu’on va voir des concerts : pour découvrir quelque chose d’autre que le CD qu’on peut confortablement écouter dans son canapé.

Mais ouais ! Puis, tu vois, moi ça me gêne quand il y a vachement de bandes sur scène parce que ça manque énormément de nuances. Les trois premiers morceaux t’en prends plein la gueule parce qu’il y a énormément de son, t’as l’impression qu’il y a quarante personnes sur scène mais le problème c’est qu’après ça stagne. Ca peut pas monter plus et le son est vite saturé. Ce que j’aime dans la fragilité du “jouer tout” c’est qu’on sente que ça monte petit à petit parce que les musiciens se chauffent. Tu vois, on sent qu’ils rentrent petit à petit dans une transe et après, bam, ils délivrent une énergie momentanée ! Dans cette disposition le concert ne sera pas le même que celui du lendemain. Tout ça me passionne et je trouve qu’on en a un peu perdu dans les lives qu’on voit en ce moment. Je trouve que c’est un peu le concours du plus gros son, on perd en émotion.

La relation avec le public n’est pas non plus la même quand tu as des parties enregistrées, tu n’as pas cette complicité pendant laquelle les musiciens s’adaptent à ce que ressentent les spectateurs.

Ouais voilà c’est pas marrant quoi ! Et c’est encore plus choquant quand t’es musicien parce que - attention je vais être un peu dure - l’arnaque et la triche. J’adore le groupe Altin Gün par exemple. Sur scène ils jouent tout et c’est dément ! Ils ont la chance de pouvoir être six et ont certes moins de gros son. Ca demande un peu plus d’efforts pour rentrer dedans mais une fois que t’y es c’est un énorme kiff !

La scène a en effet l’air de te passionner, c’est l’endroit où tu te sens le mieux ?

Euh, c’est vraiment une énergie différente... Sur scène comme en studio on trouve toujours de la cohésion entre nous. C’est quelque chose qui me fait énormément de bien. A force de jouer ensemble depuis dix ans, une complicité s’est imposée et c’est génial. On arrive un peu comme une équipe de foot tu vois ! Après, le ressenti est très très différent d’un concert à l’autre. Il y a des concerts où c’est dur, t’arrives pas à te lâcher complètement parce que les gens sont un peu inhibés mais en même temps quand t’arrives à aller jusqu’au bout t’es fier ! Tu te dis “j’ai rien lâché, j’ai tout donné !”. Les concerts sont plus ou moins fatigants. C’est comme une partie de tennis en fait. Il y a des jours où tu joues bien et où t’es dedans et d’autres qui te demandent plus d’efforts. Globalement, il y a toujours au moins cette sensation de se battre. Quand on sort de scène on est fier d’avoir tout donné. Pareil en studio, on se donne à 200% pour que le rendu soit le mieux possible.

En studio comme sur scène tu as la satisfaction d’être arrivée à bout d’une épreuve un peu stressante en fait ?

Oui voilà c’est ça, exactement !

Et au fait, ça fait quoi de sortir un EP pendant ce confinement ? Y a-t-il des choses qui se trouvent chamboulées ?

Oui au niveau concerts c’est sûr puisqu’ils sont tous décalés mais je ne t’apprends rien ! (rires) En revanche, la promo a quand même pu marcher comme on l’avait imaginée. Ce qui est chouette c’est que les médias sont en recherche de contenus donc j’ai beaucoup été appelée pour faire des lives et par chance j’ai tout le matériel à la maison. En plus, l’EP est arrivé au bon moment parce qu’il est printanier, assez coloré et je crois que ça peut faire du bien à certains d’entendre des chansons un peu insouciantes et rigolotes. Ca peut permettre de se changer les idées quoi. Je suis super heureuse qu’on ait respecté le planning et qu’on ait pu le sortir au printemps comme je le souhaitais parce que pour moi vraiment le moment idéal !

Ca fait plus sens à cette période c’est clair !

Tu sais, c’est un peu comme la robe à fleurs que tu vas chercher dans ton carton à la cave pour l’arrivée des beaux jours. Et ben t’y descends pas au mois de février ! (rires) J’avais vachement envie qu’on donne tout pour le sortir maintenant !

En 2017, Tropi-Cléa 1 était-il déjà sorti à cette période ?

Absolument ! C’était déjà en avril, c’était pareil, c’était vraiment le moment idéal ! C’est l’avantage d’être en indé dans un petit label comme Midnight Special Records. On peut enregistrer un disque en février et le sortir en avril ! Ce qui est totalement impossible en major ! Même pas en rêve ! (rires)

C’est clair qu’en major t’aurais eu plus de concurrence au niveau des plannings !

Exactement, c’est vraiment le gros point fort d’être en indé. Tu peux faire les choses sur le moment. C’est hyper d’actualité et c’est important parce que les idées qu’on a correspondent à un inconscient collectif. On est tous hyper connectés, les humains, et Tropi-Cléa 1 correspond à une carte postale très actuelle de ce que j’ai dans la tête et de ce que j’ai envie de partager aux autres humains.

Ca aurait beaucoup moins de sens de l’enregistrer à un moment T et de le défendre dans deux ans parce que tu serais certainement passée à autre chose.

Voilà c’est ça !

Pour revenir à ce confinement, j’ai cru comprendre que tu le vivais plus comme une continuité et peu comme une pause non ?

Je le vis comme une opportunité d’aller très au fond de moi parce qu’on est beaucoup moins en interaction avec les autres. Ca oblige à se connecter davantage à son âme et à son coeur. C’est comme si tout à coup on nous mettait dans une bulle. On a que ça à faire de penser à ce qu’on a vraiment envie de faire et d’être. C’est un retour à soi qui je trouve est très intéressant. Ce qui est intéressant aussi c’est que c’est pas tous les jours facile. Il y a des moments où on est pas dedans, où on est super déprimés, ou super en colère. Cette gestion des émotions, c’est de l’observation, il faut laisser venir les choses, les laisser remonter à la surface pour ensuite les traiter. C’est quelque chose qu’on a pas trop l’habitude de faire. En fin de compte ca ressemble à une forme de retraite qu’on pourrait faire en Inde ou quoi ! Moi je suis en pleine réflexion sur ce que je veux faire après et comment. Je le vis personnellement comme une chance. Evidemment, c’est glauquissime et tristissime qu’il y ait des gens qui meurent et tout. Rien que pour ça il aurait fallu que ça n’existe pas mais puisque c’est là autant le mettre à profit.

Justement j’ai lu que tu étais très organisée et très active. Tu as un planning pour chaque journée c’est ça ? Tu arrives tout de même à lâcher prise et à prendre du temps pour toi ?

En fait je trouve que le télétravail et le confinement me font gagner beaucoup de temps. Par exemple, mon cours de piano dure une heure mais comme c’est par Skype je gagne une heure de trajet ! Et tout ce temps que je gagne je l’utilise justement pour me laisser aller. Je me retrouve avec des journées pendant lesquelles je travaille sûrement beaucoup moins qu’habituellement mais c’est très efficace. Du coup, le matin, je m’autorise à rêver en écoutant de la musique, à faire la cuisine, à aller marcher. Ca ne me rend pas moins efficace dans mon travail.

Tu vois, Pomme par exemple, dit qu’elle a eu besoin de faire une pause totale avec le travail et la musique en début de confinement. C’est intéressant de constater que les artistes n’ont pas la même manière d’appréhender la période. Toi, tu as gardé ta routine de travail tandis que d’autres ont besoin de lâcher totalement prise et de ne plus créer alors que c’est leur métier et leur vie.

C’est intéressant c’est vrai. Mais tu sais je crois qu’on ne se coupe jamais vraiment de la création parce que même en ne faisant rien, souvent, c’est le moment où on a les idées ! Je pense que c’est un super réflexe de ne rien faire en fait ! Je suis sûre que son cerveau se régénère. On a chacun notre rapport au vide. Moi je suis un peu hyperactive, j’ai du mal à rester sans rien faire mais ce n’est pas forcément une qualité. Un bon créatif c’est aussi un créatif qui sait ne rien faire !

Dans ton emploi du temps il y a tous les jours un créneau “composition”. Est-ce une habitude que tu as également hors confinement ?

Non, c’est juste pendant le confinement. Je suis chez moi, je ne suis pas dérangée et je voulais en profiter. A Paris il y a beaucoup de moments où on est à droite à gauche, je n’arrive pas du tout à composer quand j’ai eu trois rendez-vous dans la journée ou que je suis en tournée. Là, d’être à la maison, je trouvais ça très propice. Je vais pas te mentir il y a des jours où je n’ai pas réussi à composer mais j’ai essayé de faire avancer au maximum de nouveaux morceaux.

Parce que tu n’es pas confinée à Paris, c’est ça ?

Non je suis dans le Pays Basque ! J’ai fui la capitale comme une grosse lache haha ! En fait mon appart à Paris est très sombre et je me suis dit que j’allais devenir folle. Du coup j’ai bougé à Biarritz où j’ai un balcon.

Je comprends donc que la composition soit plus facile dans cette disposition, un peu en retrait de toute l’agitation.

Ouais et tu sais que j’ai toujours fait ça ? J’ai souvent eu les idées fortes en ville, dans la frénésie de la capitale mais quand il s’agit de les développer et de les approfondir j’ai besoin de partir et de m’isoler sinon je n’ai pas assez d’énergie.

Pour finir, j’ai vu que dans tes rituels il y avait aussi le fait d’écouter un album tous les matins et de regarder un film tous les soirs : que nous conseilles-tu parmi ceux que tu as écoutés et regardés ?

Waouh, il y en a plein que j’ai adorés donc c’est difficile ! Il y a Aldous Harding qui est une chanteuse néo-zélandaise. J’ai écouté son dernier album et c’est vraiment trop beau, il m’a beaucoup touchée. Sinon, mine de rien le dernier album des Strokes n’est pas mal du tout. Sinon qu’est ce que j’ai découvert… Ah si je sais, Ricky Hollywood a sorti un album qui est super !

Tu as uniquement écouté des albums qui sortaient maintenant ?

Moitié-moitié ! Moitié des albums qui sortent actuellement et une autre moitié où j’ai fouillé dans le passé. Par exemple, Shuggie Otis, c’est un mec à l’ancienne, j’ai adoré son album Inspiration information, note le, il est fabuleux ! Ben du coup je vais voir ses autres albums, je vais naviguer et regarder les artistes de son époque et tout. C’est ce que je fais aussi avec le cinéma, je ne regarde que des films des années 70 en ce moment ! Ca me fait du bien de m’immerger dans une autre époque.

Y en a-t-il un qui t’a marquée en particulier ?

Ouais, plusieurs même ! Récemment, j’ai vu Belle de jour avec Catherine Deneuve qui est trop bien. J’ai vu aussi Préparez vos mouchoirs avec Patrick Dewaere et Depardieu. Ce sont des films super connus que j’avais jamais vus. Ca se passe dans les années 70 et on est complètement transportés, tout est très différent, les fringues, les objets, la lumière, les dialogues, ça fait beaucoup de bien.

Tu entres dans une bulle 70’ dans ta bulle confinement quoi ! Je regarderai. On est venues à bout de mes questions, souhaites-tu rajouter quelque chose ?

Non écoute, à part merci mille fois d’avoir pris de ton temps pour t’intéresser à Tropi-Cléa 2 et merci pour cette chouette discussion !

Plaisir partagé, bisous Cléa !

P.-S.

Un grand merci à Cléa pour son temps et ses réponses et à Mélissa de Tomboy Lab d’avoir rendu cette rencontre possible

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publié par le 30/04/20