L’expérience de chroniqueur est parfois paradoxale : il peut s’avérer plus facile de trouver les mots justes pour évoquer un disque qu’on aime bien que pour vanter un album qu’on considère comme une œuvre phare. Je vais donc commencer par ce qui aurait pu être la conclusion de l’article : si en 2016, Nacer Blanco, le premier opus de Borja Flames fut un de mes disques préférés, Rojo Vivo s’annonce d’ores et déjà comme le favori de mon palmarès 2018.
En voici les raisons :
Le pouvoir hypnotique de Nacer Blanco
En 2016, Borja Flames sort Nacer Blanco ; ce n’est pas un inconnu pour le Cargo ! En effet, le duo qu’il constitue avec Marion Cousin a, sous le nom de June et Jim, déjà sorti deux albums sur le Label Le Saule : Les Forts et Noche Primavera, deux albums de folk d’une rare élégance, le premier chanté en français, le second alternant l’usage de la lanque d’Aragon et celle de Garcia Lorca.
Si ces deux albums ne sont pas dénués d’originalité, ils ne permettent pas d’anticiper la baffe que sera Nacer Blanco. Difficile de décrire cet album en quelques mots : un constat tout d’abord, Borja Flames y joue de tous les instruments et interprète tous les morceaux en espagnol. Pourtant nul n’est besoin de comprendre cette langue pour se laisser happer par l’album. Chaque titre possède une force particulière, Borja Flames combinant répétitions, ruptures, rythmes primaires et dissonances, exerce sur l’auditeur une emprise qui ne cesse de croître au fur et à mesure de l’écoute de l’album. On est comme hypnotisé et cette fascination est toujours aussi forte deux ans après.
J’ai choisi "El Arte de la Fuga" pour illustrer cet album, tout autre titre aurait convenu tant la qualité du disque est homogène.
Rojo Vivo : le jumeau électro de Nacer Blanco. La seconde partie d’un dyptique baroque
Sur Rojo Vivo, Sing-Sing de Arlt écrit notamment :
"Nous nous étions à peine relevés de Nacer Blanco, à peine remis de la tournée échevelée qui s’en était suivie en quatuor, que Borja Flames ressort d’un bond de son drôle d’atelier, hirsute comme jamais, un nouveau monstre sur les bras".
On ne pourrait mieux résumer la sensation que j’ai eu dès la première écoute de cet album.
Avec ce second album, Borja Flames donne une suite à Nacer Blanco, un album du même niveau sans pour autant en répéter la formule.
Un album différent, mais aussi un album miroir, tout aussi insensé : si l’instrumentation de cet album diffère sensiblement de son prédécesseur, il est essentiellement électro, les intentions de son auteur me semblent être les mêmes.
Borja Flames, tel un ogre psychédélique, par le biais de ses mélodies syncopées, nous attire dans son antre et le temps d’un album, nous guide sur des chemins pour le moins inhabituels.
Comme sur Nacer Blanco tout n’est que dissonances, répétitions et ruptures de rythme, mais ici amplifié par l’usage systématique des synthés.
La langue espagnole teinte d’exotisme ces nouvelles sonorités.
Les parties vocales de la discrète mais indispensable Marion Cousin, sa comparse de June et Jim, font un contraste des plus intéressants avec celle de Borja. Tantôt les deux chantent à l’unisson, souvent ils chantent en opposition, mais cela colle toujours parfaitement.
Les morceaux se succèdent.Le vertige et l’ivresse nous guettent.
On sort de cet album comme d’une nuit de fête ou d’un rêve enfiévré.
Une expérience inattendue !