Le titre de l’album est Bright Shadows (« les ombres lumineuses »). Dans cet album, qu’est ce qui est bright (lumineux), et qu’est ce qui est shadows (ombres) ?
Je pense que ma musique de manière générale est assez bright. Aussi il y a toujours, c’est ce que me disent les gens, une part de nostalgie. Je pense que ça doit être les mélodies, les harmonies… Ça doit être la couleur de ma musique… Et après ce qu’est shadows je pense que c’est les thématiques. Il y a des morceaux qui parlent de trucs un peu plus sombres, obscures. Je pense par exemple au morceau "Stranger", qui se met dans la peau d’un migrant. Il y a aussi "The Shell" qui est sur le fait de changer de peau, d’évoluer. Puis, j’ai fait des voyages qui m’ont beaucoup marqué, qui m’ont fait voir des choses que je voyais pas avant. C’est là qu’arrive le shadow aussi.
Entre Yokaï, ton troisième album, et Circles, ton quatrième, il y a eu une évolution assez nette, notamment avec l’arrivée de la voix… Pour toi, quelle évolution y a-t-il eu ensuite entre Circles et Bright Shadows ?
Alors entre Yokaï et Circles, j’ai fait appel au saxophoniste Emile Parisien et à la chanteuse Leïla Martial. Ma musique avait ce truc hyper solaire, et j’avais envie qu’ils apportent quelque chose de plus rugueux, de peu plus arraché. J’ai aussi fait appel à Tony [Paeleman, claviers] avec toutes ses couleurs hyper nocturnes. Et entre Circles et Bright Shadows, je dirais que j’ai poussé plus loin l’idée de "produire" – parce que sur Circles j’avais déjà commencé à réfléchir à toutes les textures, à quel synthé mettre, comment mettre les voix ici, quel son on va faire avec la batterie, quel type de micro. Et puis il y a la chanson aussi… Moi j’adore les chansons, j’adore les belles mélodies, j’adore les chanteurs. Ces dernières années, j’ai écouté beaucoup de pop et de folk. Les deux disques que j’ai écoutés en boucle c’étaient Bon Iver (Bon Iver) et James Blake (Overgrown). Donc j’ai eu envie d’aller dans cette direction tout en gardant la liberté inhérente au jazz.
Est-ce que la voix a toujours été un élément important de ta musique ?
J’ai toujours chanté un petit peu dans mes disques. Alors après ma voix elle était mixée super pas fort, ça amènait juste une espère de texture, et à chaque disque j’ai mis un peu plus de voix. Mais ça a toujours été là, parce que j’ai toujours adoré chanter. Et puis là, j’étais avec deux supers chanteurs, en studio, et ils m’encourageaient beaucoup. Aussi, quand j’étais plus jeune, il y a des trucs que je n’osais pas faire parce que je pensais au regard des autres. Et en vieillissant, j’ai pris du recul par rapport à ça. J’ai envie de kiffer, et si ça ça me fait plaisir et ça me rend heureuse, tant pis s’il y en a qui aiment pas. Et la musique c’est ce qui me rend super heureuse.
Tu as parlé de Bon Iver et de James Blake, est-ce qu’il y a d’autres voix qui t’inspirent ?
Il y a ces deux-là déjà. Après il y a une grande grande chanteuse malienne que j’adore, c’est Oumou Sangaré. A chaque fois qu’elle ouvre la bouche, j’ai des frissons. Il y a Camille qui m’a énormément émue aussi récemment, je trouve que c’est une grande chanteuse. Il y a Jeanne Added. Dans les gens avec qui j’ai bossé aussi il y a Mélissa Laveaux, que j’adore. Sandra Nkake, pareil, je la mets dans mon top 3 des plus grandes chanteuses françaises. Après j’aime beaucoup Hugh Coltman aussi. Évidemment il y a les deux chanteurs du disque que je trouve incroyables, très différents, mais ils amènent chacun un truc particulier.
Comment s’est fait la rencontre avec ces deux chanteurs ?
En fait Ann Shirley, je l’ai découverte sur Instagram. Sur le compte de la Favela Chic, il y avait une jam session soul, funk, gospel, et il y avait une vidéo avec plusieurs chanteurs. Et au milieu de ces chanteurs il y avait Ann Shirley. Et là je me dis : « mon dieu, qu’est-ce qu’elle chante bien ! ». Donc j’ai écrit à la Favela Chic pour leur demander son contact, et on s’est rencontrées. Et pour Florent Mateo, je cherchais une voix d’homme. J’ai demandé à des amis de me citer des noms de chanteurs, et c’est Leila Martial qui m’a parlé de lui. Je suis allée écouter, et j’ai trouvé ça super beau. Et donc on s’est rencontrés, pareil, super vibe, et puis voilà c’était parti. Après Tony Paeleman (claviers), Christophe Panzani (sax), Pierre Perchaud (guitare), c’est des musiciens de jazz mais ils sont très ouverts. Christophe a joué avec C2C, et Pierre a joué un moment avec Gaël Faye. Puis à côté de ça tu as une Ann Shirley qui vient de la soul, et un Florent Mateo qu’a fait du baroque et qui maintenant a un projet super électro. Il y a vraiment un mélange d’univers mais qui marche.
Le fait d’être à la fois batteuse et chanteuse, ce sont deux rôles a priori assez éloignés, qu’est-ce que ça t’apporte au niveau de la composition ?
Alors en fait quand je compose, je chante. Je chante tout. Même mes disques où c’est seulement instrumental, c’est du chant. Quand je joue de la batterie je chante. Je donne des master class de temps en temps, et je dis aux étudiants, si tu peux pas chanter, ta musique elle aura pas de sens. Quand tu chantes, t’es sûr que ce que tu joues ça a un sens.
Est-ce qu’il y a d’autres batteuses ou batteurs qui t’inspirent en particulier ?
Souvent on me demande qui est mon batteur préféré, et je dis que j’en ai pas, que j’aime un tel ou tel pour ça ou pour ça… Mais il y en a un qui est quand même mon idole c’est Brian Blade. Tu peux le retrouver dans le quartet de Wayne Shorter, ou avec Joni Mitchell, ou avec Daniel Lanois. C’est entre guillemets un batteur de jazz, mais en fait non parce que tu le retrouves aussi dans des projets pop. C’est aussi d’ailleurs un batteur chanteur, il a un disque signé qui s’appelle Mama Rosa, c’est hyper beau. En fait, c’est un chat. Il va jouer tout doucement et là il sort, il fait une sortie de ouf et il se remet, il suit, il accompagne…
La musique t’a déjà permis de beaucoup voyager. De quelle manière cela nourrit-il ta musique ?
C’est une grande influence. Déjà, il y a le vécu. Parfois quand je pars jouer, je fais des rencontres incroyables, je vais dans un lieu qui me donne la chair de poule tellement c’est beau, et donc ça me nourrit parce que c’est des émotions fortes. Et après je suis hyper curieuse des musiques qui se font partout. À chaque fois que je pars jouer à l’étranger, il y a toujours un moment où je demande où est le disquaire du coin, et je vais acheter 5 ou 6 disques de musiques qui se font sur place. Donc ça aussi c’est de l’inspiration.
Tu viens de sortir Bright Shadows à la fin du mois de janvier… maintenant c’est les vacances [blague] ? Qu’elle est ton actu en ce moment ?
Je suis loin d’être en vacances [rires à la super blague]. Je fais pas mal de concerts… On était en résidence avec Bright Shadows pour faire de la création live, puis en ce moment il y a beaucoup de promo, donc je passe pas mal de temps à faire des interviews et à gérer les réseaux sociaux. Aussi, demain j’enregistre un projet, je fais juste une journée.
Tu peux nous parler un peu de ce projet ?
Je suis artiste résidente du festival Jazz sous les pommiers, à Coutances, et chaque année je présente des créations. L’année dernière, j’ai présenté Bright Shadows. L’année d’avant j’avais présenté Fables of Shwedagon, mon projet avec les musiciens birmans. Et cette année j’en présente deux. Un premier projet, intitulé Alegria avec un guitariste et un bassiste brésiliens, et aussi avec Leo Montana, un pianiste avec qui j’ai fait mes deux premiers disques. Puis un second projet, Rewind, avec 3 MC, une guitare et une basse. Jazz sous les pommiers fait une compil tous les ans pour présenter les concerts qui viennent, et comme pour moi ce sont des projets qui n’existent pas encore, demain on va enregistrer.
Concerts à venir : lieux et dates sur le site officiel d’Anne Paceo
Lire la chronique de Bright Shadows sur le Cargo !
Bright Shadows : Ann Shirley (voix), Florent Mateo (voix), Christophe Panzani (saxophone), Pierre Perchaud (Guitare), Tony Paeleman (claviers), Anne Paceo (batterie, voix)