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publié par Julien Ribrault le 12/02/19
Anne Paceo
- Bright Shadows
Bright Shadows

Ce sont deux termes contraires, mais ce sont ceux que la batteuse Anne Paceo a choisis pour le titre de son nouvel album : Bright Shadows. Traduit en français, les "ombres lumineuses"… Et traduit en musique, cela donne un mélange enthousiasmant de batterie, de claviers, de saxophone, de guitare et de voix (au pluriel) où viennent se frotter deux genres a priori eux aussi contraires : le jazz et la pop. Mais pas que… Car certains rythmes évoquent l’afrobeat. Car certains parties vocales nous emmènent vers la soul. Et comme la batteuse l’évoque dans une interview donnée au Cargo !, le tout est enveloppé dans une ambiance à la fois solaire et nocturne.

Pour celle qui a été couronnée en tant que meilleure artiste aux Victoires du Jazz en 2016, c’est le sixième album signé de sa main. Alors que les premiers étaient fortement colorés de jazz, avec une formation de trio piano-contrebasse-batterie, les suivants ont témoigné de la mue artistique de la compositrice. Au fil des années, au fil des collaborations, sa musique est devenue plus libre et exaltante. Sur Circles, sorti en 2016, elle affichait déjà une nouvelle identité, où la voix prenait le devant de la scène. Avec Bright Shadows, entourée du claviériste Tony Paelman, du guitariste Pierre Perchaud et du saxophoniste Christophe Panzani, elle confirme cette importance accordée à la voix. A commencer par la sienne, puis par celles de deux autres chanteurs : Ann Shirley et Florent Mateo.

A la fois batteuse et chanteuse, Anne Paeco a une position privilégiée pour composer. Elle peut se projeter sur le lead comme sur la base rythmique avec d’autant plus de précision qu’elle les incarne littéralement. Puis, au centre, viennent des musiciens familiers de son univers pour avoir déjà joué avec elle par le passé. Tony Paelman utilise l’éventail des sonorités de ses claviers pour souffler un vent tantôt jazz ("Calle Silencio"), tantôt pop ("Tomorrow"), tantôt électro ("The Shell"). La guitare de Pierre Perchaud, elle, apporte ce grain de folie qui réside dans l’âme métallique de ses cordes. Puis, le saxophone de Christophe Panzani a deux personalités. Parfois il accompagne la voix avec toute sa volupté, comme sur "Jasmine Flower". Parfois, il va partir dans des solos surprenants et seyants comme sur le frénétique "Nehanda".

La conciliation des contraires que sont l’ombre et la lumière se traduit non seulement en musique mais aussi en texte. Signés par des artistes divers, dont Anne Paceo elle-même, certaines des paroles sont teintées de mélancolie et de nostalgie quand d’autres philosophent sur le changement. C’est le cas notamment de "The Shell", écrit par Florent Mateo, qui évoque la découverte de notre personnalité et la prise de conscience de son évolution. "Stranger", écrit par la chanteuse Sandra Nkaké, se met dans la peau d’un réfugié, de celui qui se voit comme "étranger". Le morceau "Nehanda" quant à lui, par son titre, honore l’héroïne zimbabwéenne de la lutte anticolonialiste Nehanda Nyakasikana. Sur une rhythmique afrobeat, qui n’est pas sans rappeler les chansons de la diva malienne Oumou Sangaré, les paroles de "Nehanda" sont construites à partir d’une langue imaginaire inventée par Anne Paceo, et que s’est appropriée la chanteuse Ann Shirley.

On aura beau l’écouter sous tous les angles, c’est bien la voix, ou les voix plutôt, qui illuminent Bright Shadows. En effet, Anne Paceo a toujours eu un intérêt particulier pour les chanteurs et chanteuses et ça se voit. Influencée par des artistes comme James Blake, Bon Iver, ou Camille et Sandra Nkaké du coté de la France, cette passion transparaît dans tous les morceaux de l’album. Et on comprend à l’écoute qu’elle se fait plaisir en composant pour la voix, et que le plaisir est partagé par ses cinq comparses. Et c’est d’ailleurs ça, aussi, qui semble porter cet album. Une bonne entente personnelle et musicale, une générosité dans le jeu et une complicité dans les compositions. Une harmonie humaine qui s’est transformée en chansons.

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publié par le 12/02/19