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publié par Mélanie Fazi le 25/02/16
Amanda Palmer + Jherek Bischoff
- Strung Out In Heaven: A Bowie String Quartet Tribute
Strung Out In Heaven : A Bowie String Quartet Tribute

Que les hommages à David Bowie aient fleuri à la suite de l’annonce de sa mort n’est que justice, tant il aura marqué son époque et laissé dans l’histoire du rock une empreinte indélébile. Mais en voilà un, d’hommage, que l’on n’attendait pas. Bien au-delà d’une reprise enregistrée à la va-vite ou d’un titre unique interprété en fin de concert, c’est un mini-album que nous proposent Amanda Palmer et Jherek Bischoff (qui l’accompagnait notamment au sein du Grand Theft Orchestra lors de la tournée Theater is Evil). Dire que la virtuosité du résultat surprend, compte tenu de la brièveté du délai de conception, serait un euphémisme ; on en a eu, presque littéralement, le souffle coupé à la première écoute.

Six titres, ou cinq et demi pourrait-on dire, puisque « Heroes » et sa version allemande « Helden » sont les deux faces d’une même pièce. Cinq classiques (ou quatre et demi) dont le moins ancien, « Ashes To Ashes », date de 1980, et puis un morceau si récent qu’on pourrait s’étonner de le trouver là : ce « Blackstar » qu’on ne côtoie que depuis quelques semaines et qui reste encore intimement lié à l’étrange expérience de la découverte de cet album éponyme conçu comme posthume. L’un des premiers mérites de ce Strung Out In Heaven, et pas des moindres, est de nous faire comprendre à quel point « Blackstar » a déjà pénétré dans nos vies, dans notre imaginaire. Ce sera peut-être plus tard, à son tour, un classique ; c’est en tout cas indéniablement un grand morceau, dont la reprise souligne à la fois la richesse mélodique et la bizarrerie crépusculaire, sur fond de violons tour à tour épiques et inquiétants.

Le langage des cordes

Les autres reprises, sur le papier, pourraient relever du simple exercice de style, tant ces morceaux ont été souvent réinterprétés – mais ils l’ont rarement été de manière aussi inventive. Le choix d’arrangements pour cordes, au lieu d’un simple accompagnement à la guitare, est déjà en soi une idée brillante, qui oblige à repenser les morceaux et leur dramaturgie au lieu de singer les originaux. Le travail d’orchestration de Jherek Bischoff à ce niveau est de toute beauté, qu’il restitue avec son propre langage le souffle de « Heroes », la complexité de « Blackstar » ou revisite le leitmotiv entêtant de « Ashes To Ashes ». Et lorsqu’il interprète à la toute fin une version instrumentale dépouillée de l’un des morceaux les plus emblématiques de Bowie, « Life on Mars », il réveille une émotion qui égalerait presque celle que l’original, au bout de quelques milliers d’écoutes, sait toujours susciter en nous. Et ce, malgré l’absence du chant, malgré l’absence de cette voix-là.

À propos de voix, celle d’Amanda Palmer fait ici régulièrement merveille. Si elle sait témoigner de la flamboyance nécessaire pour habiter « Heroes » (y compris dans son impeccable version allemande), c’est lorsqu’elle se fait murmure qu’elle nous prend réellement aux tripes : à la toute fin d’une version de « Ashes To Ashes » belle à en pleurer ou sur un « Space Oddity » aux allures de montagnes russes émotionnelles, lorsqu’elle lâche dans un souffle le message d’amour du Major Tom à son épouse. Les voix d’invités prestigieux se mêlent parfois à la sienne : le timbre et la guitare d’Anna Calvi, mais aussi une voix grave sans doute plus connue des lecteurs que des mélomanes, celle de Neil Gaiman (célèbre écrivain de fantasy et M. Palmer à la ville) égrenant le compte à rebours de ce « Space Oddity » en état de grâce.

L’émotion virtuose

On touche ici, tout du long, à une forme de perfection dans l’exercice de la reprise : un équilibre impressionnant entre émotion et virtuosité, entre respect des originaux et réappropriation créative. C’est un hommage, un vrai, dans ce qu’il a de plus pur et de plus sincère, de la part d’artistes qui savent s’effacer et se mettre en danger tout à la fois, évitant le double piège de la copie trop appliquée et de l’esbroufe tape-à-l’œil. Pour s’attaquer à un artiste aussi inclassable et aussi unique que Bowie, il n’en fallait pas moins. Au-delà de la simple admiration pour l’exercice, Strung Out In Heaven prend véritablement aux tripes. Non, cet hommage-là, même de leur part, on n’aurait jamais pu s’y attendre. La surprise est d’autant plus divine.

PS : Strung Out In Heaven n’est à ce jour disponible que sur Bandcamp. Vous pouvez l’écouter et l’acheter sur cette page. La somme minimale demandée est dérisoire, mais si ce projet vous touche autant que nous, rappelons qu’un soutien financier direct aux artistes est toujours un bon moyen de les remercier.

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publié par le 25/02/16