accueil > articles > albums > La Féline

publié par Mélanie Fazi le 23/01/17
La Féline
- Triomphe
Triomphe

On avait tardé, il y a deux ans, à entrer pleinement dans le premier album de La Féline, Adieu l’enfance, sur la base d’un malentendu. La chanson-titre, avec son apparente simplicité et ses sonorités new wave, était l’arbre masquant une forêt plus dense, plus sombre aussi, qu’on ne l’avait cru de prime abord. Quelques mois plus tard, on écoutait « Zone » ou « Midnight » en boucle pendant tout un été, en y découvrant chaque fois des nuances inédites. Leur force tenait peut-être à ce qu’il nous semblait y deviner un univers en arrière-plan, une dimension fantasmatique qui résonnait avec notre propre imaginaire. Impressions que la découvertes de clips aux influences cinématographiques, puis une longue et passionnante interview avec Agnès Gayraud, n’avaient fait que confirmer.

La sauvageonne dans le miroir

Et le voilà, cet univers, qui avance aujourd’hui à découvert dans Triomphe. Qu’on ait immédiatement adhéré à ce nouvel album n’est sans doute pas un hasard. Dès la première écoute des nouveaux titres lors d’un très beau concert solo à l’Espace B, l’aspect plus narratif des chansons nous avait frappés. Sur « Senga » en particulier, parfait single à la mélodie entêtante, histoire d’une sauvageonne à la Miyazaki qui sait dompter les loups et survivre dans la forêt, et qui pourrait être un double fantasmé d’Agnès – ce titre en miroir est déjà une première clé.

Sur la longueur de l’album, les thématiques se font moins introspectives que sur Adieu l’enfance, moins tournées vers l’intime. Triomphe puise davantage dans les mythes, légendes et archétypes ainsi que dans l’imaginaire populaire. De forêts en océan où l’on s’immerge pour renaître, l’univers y est moins urbain ; même Tokyo, au lendemain d’une catastrophe jamais clairement nommée, « s’appuie sur un genou (…)/depuis que la mangrove a repris le dessus » (« La femme du kiosque sur l’eau »). « Trophée » voit Agnès Gayraud se glisser dans la peau d’une guerrière au sabre impitoyable ; l’entendre réciter d’une voix calme et blanche « Va crever en enfer, je t’y retrouverai » est source d’une jubilation sans nom. Une partie de la fascination qu’exercent les textes tient peut-être à leur part de non-dit ; on ne saura jamais « ce que dit la carte cachée » de « Gianni », ni si la carte mentait bel et bien, mais on se plaît à l’imaginer.

Le silence des profondeurs

Musicalement aussi, Triomphe explore des voies nouvelles, de moins en moins contraintes par les formats pop classiques. Cette douceur presque candide qui nous avait séduits dans Adieu l’enfance est toujours présente ; la mélodie de « Senga », dans sa pureté, semble rêver à une forme d’innocence enfuie dans le rapport au monde et à la nature. On retrouve ici cette quête du refrain parfait qui est l’apanage de la pop mais les chansons, fuyantes, cherchent un échappatoire dès que pointe le risque de s’y laisser enfermer. « Le Royaume » en est peut-être l’exemple le plus parlant : immédiat dans ses couplets, intrigant dans son refrain qui répète un seul mot à l’envi, grisant dans son final qui laisse entrevoir une sauvagerie cachée, une fuite vers un ailleurs qu’on ne fait que toucher du doigt.

« Trophée », sans doute l’une des chansons les plus riches de l’album, l’une des plus amples dans ses paysages sonores, réveille des échos d’une pop onirique à la Blonde Redhead. Le son est plus chaleureux, plus organique, plus aquatique aussi lorsqu’on s’enfonce dans le silence des profondeurs marines pour y renaître (« Le Plongeur »). La Féline ose parfois des hybridations surprenantes : on commence par tiquer en découvrant « Gianni » et ses claviers réminiscents d’une certaine variété italienne, pour se surprendre ensuite à jubiler au fil des écoutes, surtout quand la mélodie guillerette, hérissée de piquants bien cachés, bascule dans un final inquiétant qui nous emmène davantage chez Argento ou Carpenter.

La transe et la carte cachée

Chacune de ces onze chansons est un tableau plutôt qu’une émotion, un élan plutôt qu’une boucle, et porte en elle son propre univers. La Féline explore ici une pop aux contours flottants qui tire de plus en plus vers la transe et le rêve éveillé. Placé sous le signe du dieu Pan, de l’étrange ou de la voyance, habité par un univers plus ouvertement fantastique, l’album semble s’ouvrir comme on le dirait d’une plante qui bourgeonne. Quelque chose de passionnant s’épanouit ici, qui laisse espérer beaucoup pour la suite. Ce titre ambigu et sans doute un peu casse-gueule, Triomphe le porte magnifiquement, comme l’étendard d’une vraie victoire. La guerrière de « Trophée » ne saurait qu’approuver.

Partager :

publié par le 23/01/17