Faites vibrer notre cœur
Nostalgie quand tu nous tiens... Aux premières notes, aux premiers accords, des images nous reviennent, de belles claques aussi et le cœur se pince. Parce que déjà lorsqu’on a été bercé toute sa jeunesse par le jeu de guitare torturé et nerveux d’un Serge Teyssot-Gay et que l’on retrouve ici cette empreinte si particulière du Sergiot qu’on connaissait on ne peut que vibrer. Et puis il y a cette rythmique bien particulière mêlant la retenue et la puissance d’un jeu de batterie qui s’ajoute à la crispation des guitares. Et cela nous touche de retrouver là Cyril Bilbeaud. Lui qu’on a adoré chez Sloy et qui officie entre autre avec Versari. On le découvre ou le retrouve au sein de Zone Libre dans toute sa puissance et sa fragilité. C’est là tout le paradoxe du batteur fragile (pas le gros bourrin des groupes de hard rock ou heavy metal de mon adolescence). Il y a ici toute une subtilité, une finesse du jeu de batteur sachant manier les alternances de moments tout doux et des passages nettement plus intenses et enragés. Enfin il y a ce son, ces sons de guitares étranges, des sensations que seul un Marc Sens est capable de nous procurer. Car lui il ne joue de la guitare, il l’habite carrément ! Je ne saisis pas toujours ce qu’il lui fait à son instrument à cordes mais en tout cas il y a de l’effet et vraiment beaucoup d’effets. On connaissait le travail admirable qu’il a fait lors de ses collaborations avec Yann Tiersen. Et là c’est un plaisir, un vrai plaisir de retrouver ici des sons déjà expérimentés seul ou au sein du Scrape Project avec le fameux Cyril Bilbeaud évoqué précédemment. A tout ceci s’ajoute des titres, assez particuliers empruntés à l’œuvre de William S. Burroughs. Des titres à l’imaginaire expressif et torturé qui conviennent parfaitement à la musique que Zone Libre nous propose. Enfin ce disque c’est aussi un objet : une pochette cartonnée en trois volets. On y découvre un artwork diversement apprécié avec les graphismes de Cyril Menauge. Il y a de jolis efforts de dessins torturés mais cela se rapproche plus d’un esthétisme heroic fantasy 80’s et n’illustre pas forcément de la meilleure façon les impressions ressenties à l’écoute de cet album.
Faites vibrer notre âme
Les morceaux défilent dans nos oreilles comme un film sous nos yeux. D’ailleurs cet album serait une parfaite bande son tant elle joue sur l’imaginaire et développe des sensations extrêmes. Elle nous torture l’âme et nous emporte dans des univers complexes. On écoute, on ferme les yeux, on se laisse partir et on imagine... Et moi, j’imagine.... En écoutant “L’épidémie humaine” je vois des paysages lointains, des ciels menaçants, des gens qui s’éloignent au loin, je veux les suivre, je veux les rejoindre et je n’y arrive pas, ils partiront sans moi. Sur “Il y a un autre point de vue” , l’atmosphère est presque tribale, je suis perdue dans la jungle, des sons me guident, me mènent vers des hommes qui tapent sur des sortes de tambours et je les observe pendant que d’autres hommes se recueillent et méditent... Pour “Chairs de naissance et de mort” je me retrouve dans une scène d’une grande violence : il y a là des combats, des affrontements d’une force inouïe, des coups, du sang, des larmes, une souffrance jusqu’à aboutir à une quasi agonie.... Là où un Fredo Roman et son NonStop nous torture par les mots, Zone Libre use et abuse de sons stridents, de saturations en tout genre. Sur l’angoissant “Avant d’en finir avec les actualités” on frôle carrément l’apoplexie : ça fait mal, ça oppresse mais qu’est ce que c’est bon. Certains passages de “Avec ça t’auras 6 bastos” sont à la limite du soutenable et c’est même par moment franchement désagréable à écouter... Mais moi j’aime ça, c’est comme une sorte de masochisme musical, et ces tous petits rien tellement désagréables arrivent à donner des morceaux d’une intensité à laquelle on ne peut échapper. C’est un voyage passionnant, parfois pénible, éreintant qui nous tiraille l’âme, tant les émotions sont fortes. Il nous mène doucement vers une folie douce et agréable. De toute façon il y a des intermèdes beaucoup plus tranquilles pour se remettre de toutes nos émotions. “L’épidémie humaine” ou “Odeur d’aucun chez soi” en sont de forts jolis exemples. Ces morceaux sont à la fois reposants, délicats, tout en nuance pour ménager nos émois et favoriser le repos de l’âme.
Faites vibrer la chair
Alors oui elle vibre la chair, au fil de l’écoute de cet album : d’abord les poils se hérissent et des frissons nous saisissent parce que tout est là pour nous faire vibrer le corps tout entier. Ma chair à moi elle vibre intensément sur “Mort technique sur le Territoire” qui est , je trouve, LA perle de cet album. Dès la première écoute, ce morceau nous entraîne dans une rengaine lancinante. Du début à la fin celle-ci ne nous lâche plus. Elle est là et bien là : résonnant dans la tête, se faufilant le long de nos nerfs.... Elle nous parcourt les veines, elle monte doucement, puissamment .... Par moment elle s’arrête sur des passages beaucoup plus oppressants pour ensuite reprendre jusqu’à aboutir à un final puissant et libérateur. L’album se termine par “On Vous a prédit que tous les Esprits Partaient” : morceau bien plus expérimental où se mêlent des sons et textures plus qu’étranges : des mélanges de bruits bizarres de guitares, d’influences presque ethniques par moment. Et sans ne jamais laisser retomber les tensions, on reste là à écouter encore ce son, la chair toujours bien imprégnée par une musique qui nous aura fait vibrer presque une heure durant. C’est un voyage singulier que nous propose Zone Libre : il nous transporte dans des sphères particulières où les souffrances du cœur, de l’âme et de la chair se mêlent et se répondent. Ce qui impressionne dans cette formation Zone Libre c’est l’osmose qui existe entre les trois hommes : la mayonnaise prend, on ressent le plaisir qu’ils ont à jouer ensemble. Il y a là un bel équilibre entre les trois musiciens : chacun participant sans chercher à se mettre forcément en avant par rapport aux deux autres. Même si cela peut avoir parfois un effet pervers. Souvent nous sommes portés avec eux et entraîner dans des plages absolument transcendantes mais parfois, la symbiose est telle, qu’on a presque l’impression d’observer le trip d’une bande de trois potes musiciens qui partent dans leur délire rendant certains passages peut être un peu trop hermétiques. Mais peut-on vraiment leur reprocher de s’amuser et de se faire plaisir à ces trois là, tant l’originalité, la prise de risque et la magie sont là ? Non, je ne crois pas.
A découvrir, à savourer, il faut prendre le temps d’une écoute attentive, se mettre dans les conditions qui permettent le rêve et ne pas avoir peur de ne pas toujours aimer tous ces sons que Zone Libre nous propose.