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publié par yves le 01/06/06
Max Richter
- The Blue Notebooks
The Blue Notebooks

Ôtons tout de suite le doute dans l’esprit du lecteur : Max Richter fait partie des surdoués, ceux dont le talent de composition naturel repose non pas sur une sorte d’instinct, de pressentiment tâtonnant de la musique influencé par des références plus ou moins conscientes, mais bien sur une érudition solide, presque indimidante. De formation classique, l’Anglais d’origine Allemande a officié au sein de Piano Circus, projet à douze mains et six pianos, avant de composer en solo une œuvre-rétrospective sur le 20ème siècle (rien que ça) intitulée Memoryhouse.

Erudition

The Blue Notebooks, son second et dernier album en date, possède un cadre formel plus intimiste que son grandiloquent prédécesseur ; l’orchestre symphonique de la BBC s’y est réduit à un quintette de musique de chambre. On ne s’arrêtera pas sur la prétention vaguement littéraire de l’album, car les monologues à peine audibles qui parsèment le disque (extraits de l’Hymne sur la Perle de Milosz et des Cahiers Bleus de Kafka, concept) sentent légèrement l’élitisme gratuit, et ne présentent au bout du compte qu’un intérêt dérisoire. On préfèrera savourer la musique pour son onctuosité, avec un ravissement peut-être ignorant, naïf, plutôt que de s’éreinter les cellules grises. Les compositions classiques de Richter sont à rapprocher clairement de celles de Philip Glass, pour leur minimalisme subtil et le spleen qui s’en dégage. Le lien de parenté apparaît tantôt mimétique (“Vladimir’s Blues”, jusque dans les moindres détails), tantôt plus lointain (“Iconography”), sans jamais sombrer dans les redondances pénibles de l’Américain. Encore, Richter démontre son art de la nuance, des changement de tonalité mineur-majeur. “On The Nature Of Daylight”, un des sommets de l’album, fait furieusement penser à un Rachel’s à son meilleur (penser à réécouter Systems/Layers, vite).

Les percées de Richter vers une sorte de musique électronique de chambre s’avèrent être les plus intéressantes : il parvient à marier avec goût des instruments traditionnels (cordes pincées, frottées, frappées) à des bruits et sons d’ une origine beacoup moins claire, car synthétiques. Les genres se juxtaposent, s’entrelacent, se mélangent à merveille : concerto pour violon et trip-hop sur “Shadow Journal”, electronica, piano et violoncelle sur “Arboretum”... tout semble couler de source sans que jamais l’effet de contraste ne détourne abusivement l’attention.

classicisme et technologie

The Blue Notebooks revêt donc un aspect symbolique fort : il incarne le croisement parfait entre tradition et modernité, aussi bien dans les procédés d’enregistrement que dans les sonorités de l’œuvre elle-même. Quand la plupart des acquisitions d’œuvres classiques sont réalisées en une seule prise, à l’ancienne et sans post-production forcenée, Richter, lui, enregistre sa musique classique sur son ordinateur portable, en utilisant tout ce que la technologie moderne peut lui offrir. Séquenceurs, multipistes, méga-octets de données, l’homme vit indéniablement dans l’ère du numérique, où l’exécution d’une partition n’est plus l’enjeu unique de la réussite d’une œuvre, mais dépend - de manière critique - du travail de transformation du son lors de son enregistrement. Phil Spector, Steve Albini, Dave Friedmann, autant de personnages qui suscitent aujourd’hui autant d’attention que les musiciens pour lesquels ils ont travaillé. Max Richter a donc dû compléter ses connaissances de la partition de techniques de mixage diverses. Chose remarquable, c’est à de la musique classique émancipée que nous avons affaire ici, et non à son inverse plus commun, lorsque c’est le profane qui lorgne vers un certain faste orchestral (Chauveau, Tiersen). Trop rares sont en effet les érudits de la trempe de Richter qui acceptent de sortir de leur caste pour se mettre en danger, risque ici doublement récompensé : même si The Blue Notebooks est d’une finesse et d’une intelligence supérieures, ce n’est pas uniquement à un microcosme de connaisseurs que cet album s’adresse. Amateurs de musique de chambre, de boucles electronica, de sonates ou de trip-hop, tous trouveront leur compte. Chef d’oeuvre.

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publié par le 01/06/06
Informations

Sortie : 2004
Label : Fat Cat