Une rencontre exceptionnelle doublée d’un plan marketing
You and the night and the music est la soirée jazz de l’année pour les auditeurs de TSF et les amateurs de jazz parisiens. Le 30 novembre, TSF avait convié plus de 12 orchestres pour revivre les moments forts d’une année riche en découvertes et événements jazzistiques. TSF est une radio grand public qui se veut néanmoins éclectique : du jazz commercial des crooners nord-américains comme Michael Bublé aux fugues arabo-judaïsantes d’Avishai Cohen, suivies de reprises pop Britneyesques revisitées par l’as du clavier Yaron Herman -je songe à son tube Toxic- en passant par de bons vieux classiques de Miles Davis ou du Weather Report... Chaque année, elle convie ses auditeurs à se remémorer 12 mois d’écoute en invitant les orchestres, formations, duos et chanteurs qui ont fait l’actualité du jazz. Comment procéder à une telle sélection parmi la myriade de nouveaux venus et valeurs sûres de cette galaxie musicale ? Le jazz se porte bien même si en dehors des clubs ou du circuit traditionnel des grands festivals (Marciac, Montreux ou le Paris Jazz festival du Parc Floral de Vincennes), on en parle finalement assez peu. Et finalement, ce n’est pas une musique d’initiés, de snobinards ou d’intellectuels coincés. Le jazz m’a prise par surprise à une époque où sa légèreté et son inventivité me permirent de voler vers des cieux plus cléments. Mais trêve de nombrilisme ! Que pouvait-on donc écouter ce 30 novembre à l’Olympia ?
Big-Band et clichés jazz
La soirée commença sur les chapeaux de roue avec un grand orchestre : le Belmmondo-Dal Sasso Big Band qui réunissait la fine fleur des cuivres, trompettistes, saxophonistes avec David El Malek et Stéphane Belmondo entre autres... Kyle Eastwood, invité surprise, allait suivre de près. Laure Albernhe, maîtresse de cérémonie, et voix du matin sur TSF, faisait à juste titre remarquer que pour notre plus grand plaisir, le rejeton Eastwood avait choisi la musique pour mettre en images nos rêves. Dans la tradition des formations faisant resurgir nos rêves d’Amérique -une Amérique clinquante, celle des graduation parties, des clubs chics de Harlem ou bien une Amérique interlope, celle de la pègre et des Sinatra et autres consorts- la soirée nous offrit quelques morceaux du dernier album de Matthieu Boré qui, avec Frizzante, s’est payé le luxe de ressusciter un jazz à première vue peu original mais sacrément réjouissant.
Quand les femmes s’en mêlent
Même si les hommes tenaient le haut de l’affiche ce soir là, les voix féminines ne furent pas en reste avec China Moses qui, par-delà sa filiation réelle avec Dee Dee Bridgwater, transforme chacune de ses encore trop rares apparitions en un hommage aux ancêtres du jazz. Ainsi, elle évoqua dans une magnifique chanson (Dinah Blues) son amour et son obsession pour la Reine du Blues aux 7 mariages : Dinah Washington, étoile filante, se disant incomprise et délaissée dans nombre de ses chansons, morte d’une overdose de somnifères. Avec Fine Fine Daddy, China Moses redonna du peps à la salle et nombre de couples battaient la mesure et plus encore... Le jazz a toujours été une affaire de séduction. Susie Arioli, cousine du Québec, nous rappelait avec la sérénade aux accents de béguine et de mandoline The Big Hurt (reprise du hit de Toni Fisher en 1959), que l’amour n’est pas une mince affaire.
Métissages
Pour oublier les affres de la passion, on pouvait s’envoler vers d’autres contrées. Cette soirée jazz fut avant tout une histoire de rencontres et de métissages loin des clichés qui font toujours recette. Ainsi, pour commémorer le mois d’Août, c’est Evan Christopher qui fut à l’honneur avec Django à la créole, l’album issu de son expatriation forcée en France. Le clarinettiste réchappé des inondations ayant dévasté La Nouvelle Orléans en août 2005 a décidé de pimenter la musique du Hot Club d’influences créoles et cajun. Mais les héritiers désignés du jazz manouche n’en prirent pas ombrage et montèrent sur scène autour du guitariste Rocky Gresset et de David Reinhardt pour un petit opus digne de ce que l’on peut entendre à la Chope des Puces de Saint Ouen. Outre ce dialogue manouche à la croisée des cultures et des traditions, la scène de l’Olympia permit de montrer que le jazz, père de tous les syncrétismes, transcende les genres et repousse les limites de la création. Pierrick Pedron ne cherche plus à défendre sur scène son Omry, petit OVNI concocté avec Eric Legnini. Sur son myspace, il avait écrit pour définir ce qui semble insaisissable : « Ce n’est pas un disque de rupture, bien au contraire. Il s’inscrit parfaitement dans la continuité de qui je suis (...) Alors, est-ce du jazz ? Je n’ai pas envie de me justifier sur cette question qui me semble obsolète. Chacun a sa propre définition, date et étiquette. Un siècle après, on peut quand même être capable d’en offrir une vision plus globale, et d’associer cette musique à d’autres styles. Je ne suis pas le premier, et encore moins le dernier. Toute l’histoire du jazz est ainsi composée. » Ce n’est pas Tigran Hamasyan, le pianiste qui clôtura la soirée, qui le contredira. Avec Aratta Rebirth, ce n’était pas uniquement l’Arménie qui était convoquée sur scène, c’était ce que chacun voulait entendre dans le magnifique chant de la soliste...pour ma part, la nostalgie d’une enfance rêvée. Le jazz ou la contrée des possibles.