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publié par Renaud de Foville le 09/04/01
yann tiersen
- l'absente
l'absente

transports matinaux

comme chaque matin elle se lève à 6h15. quelle que soit la soirée qu’elle venait de passer, c’est, pour elle, le seul moyen de ne pas être en retard. elle aime aussi profiter de ses quelques rares instants paisibles de sa journée. sortir dans paris quand le jour se pointe, au moment où les rues commencent à vivre. elle croise, bien sûr, toujours les mêmes têtes, les mêmes expressions sur les mêmes visages. chaque heure de la journée se reconnaît à la population que l’on peut croiser dans le métro ou sur les boulevards. elle a tellement fait ce trajet qu’elle le connaît par cœur... elle a ses petits indices pour savoir si elle est en retard, ce qu’il lui arrive rarement, ou en avance... une boutique ouverte ou fermée, un habitué qui court pour rattraper les précieuses minutes perdues, une livraison de journaux au kiosque du coin. autant de repères qui donne aussi tout son charme à son quartier... puis c’est le métro, les 5 stations pour rejoindre la ligne de rer. toujours la même odeur, la lumière qui change, la chaleur.. cette chaleur que l’on peut trouver agréable, quelques instants, pendant l’hiver, mais qui très vite met mal à l’aise. dans cet autre monde, il n’y a plus de sourire, les visages connus se perdent et se confondent dans l’uniformité de la foule. pour elle, le métro est une répétition de son trajet de rer. une mise en bouche dirait-on dans la gastronomie, mais elle ne connaît rien à la gastronomie. dès la sortie du wagon du métro, en arrivant dans les couloirs du rer elle change aussi. son visage se ferme, son sourire disparaît.

sans vie

elle sait que c’est la dernière étape avant d’entamer sa journée de travail. arrivée dans cette ville de banlieue, caricature de toute une époque où l’on pensait faire le bonheur des gens en les entassant dans la grisaille et les tours sans fin, il ne lui reste qu’un court trajet à pied avant de rejoindre l’immeuble gris, un peu sale et mal entretenu. on se moque souvent d’elle, plus ou moins gentiment, car elle est fonctionnaire. elle a tout entendu et a pris l’habitude de ne répondre que si elle se sent en forme, en verve. mais à personne elle n’a, pour l’instant, réussi à faire comprendre que sa journée de travail n’est à aucun moment une source de plaisir ou tout simplement de bien être. comment peut-elle décrire les émotions qui l’assaillent quand elle arrive dans le long couloir sombre et défiguré de chaque coté par des dizaines de porte. derrière l’une de ces portes, son bureau. partagé avec une femme, triste et sans intérêt, même pas antipathique, juste sans vie.

les invités de l’absente

chaque journée de travail devient de plus en plus pénible, parfois insupportable... les remontrances de son chef de bureau qui la déshabille du regard... elle pouvait sentir son odeur avant même qu’il ne rentre dans son bureau, elle savait, avant de l’avoir vu, comment il serait habillé, ce qu’il avait à lui dire et comment il la regarderait. insupportable ! elle sait que la nausée qu’il lui procurait ne partirait pas avant le milieu de l’après-midi. car aucun estomac ne pouvait digérer, en plus, la piteuse nourriture de la cantine qu’elle avale rapidement dans cette salle de restaurant, sans fenêtre, où tout le monde s’observe, où personne ne se parle. la sécurité de l’emploi lui dit-on souvent, mais quel emploi, quelle utilité, quelle vie... quand, en fin de journée, elle rentre dans les couloirs du rer elle se transforme à nouveau... son visage s’illumine peu à peu, son corps se redresse, son sourire revient et ses yeux resplendissent. les notes de piano résonnent déjà en elle... les mélodies l’envahissent... son pas s’accélère... dans le métro il lui arrive de bousculer innocemment quelques passants, trop lents, à son goût... qu’est ce qui la fait vivre, qu’est ce qui la fait rentrer chez elle, qu’est ce qui lui donne une véritable raison pour se lever le matin... evidemment tout cela peut paraître un peu simple, sans importance. mais pour elle les mélodies de l’accordéon envahissant chaque pièce de son appartement, ses notes qui se transforment en ambiance de cirque ou de fête foraine sont une raison de sourire, chaque invité de l’absente est invité aussi chez elle, dans son salon, chaque mélodie aussi magique que vivante lui procure des plaisirs incroyables, presque inavouables, tous ses frissons lui donnent envie de sortir, de courir, de crier, de rire, d’embrasser, de pleurer submergée par une émotion simple et belle... la musique la fait vivre... peut être la trouve-t-on ridicule de ne jamais oublier, quoi qu’il arrive, de revenir chez elle pour écouter l’absente, mais très franchement elle n’en a que faire... elle a trouvé une nouvelle raison de vivre, une nouvelle parenthèse dans sa vie, une bouffée d’air pur, si pur. en attendant de découvrir un nouvel univers, d’ouvrir sa porte et son cœur à de nouvelles mélodies...

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publié par le 09/04/01