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publié par arnaud le 26/08/05
Xiu Xiu
- La Forêt
La Forêt

Prolifique

Si certains artistes se font rares et prennent leur temps entre chaque album, il en est d’autres qui ont besoin de se noyer dans le travail, de se perdre dans leur art au risque parfois de ne plus savoir faire le tri et sortir tout et n’importe quoi. Pensez aux dernières productions de l’ami Murat, qui sous pretexte de créativité boulimique et fort de l’alibi home studio, multiplie les productions nous laissant perplexes. Et puis il y a les cas particuliers, ceux qui parviennent à maintenir la cadence infernale d’un album par an, en proposant un univers riche et complexe, une qualité d’écriture qui ne cède pas à la facilité, tout en oeuvrant dans l’ombre, bien loin de faire parler d’eux dans les medias. Jamie Stewart est de ceux là. En seulement trois ans et quatre albums (sans compter les divers EPs ou les innombrables collaborations, la dernière en date sous la forme d’un split single en compagnie du barde folk Devendra Banhart), il a construit autour de son projet Xiu Xiu, un improbable univers de bric et de brocs d’une noirceur rare et précieuse.

Inclassable

A l’instar de ses précédentes productions Xiu Xiu revient avec un disque difficile d’accès, et dont le titre est particulièrement bien choisi : imaginez une forêt touffue - jungle luxuriante ou bois de conifères, qu’importe - avec une végétation dense et plutôt uniforme. A l’intérieur la lumière ne perce qu’en de rares endroits. Dès Knife Play en 2002, Stewart nous a habitués à sa singularité qui rend délicate toute tentative de description de son œuvre. Dans ses moments les plus apaisés, son timbre de voix évoque Mark Hollis de Talk Talk, parfois les inflexions empruntées de Morrissey, mais retient surtout l’attention lorsque Jamie quitte les sentiers battus pour explorer d’austères contrées : l’homme se met alors à hurler, psalmodier, grogner, miauler. Il suffit d’écouter le récent Life & Live paru sur Xeng Records (distribution La Baleine) pour prendre conscience de l’ampleur du phénomène : seul à la guitare, il livre des versions poignantes de certains titres, aux arrangements habituellement plus élaborés, et retient son public en haleine par la simple force de son souffle, de son interprétation qui frôle parfois la mise en scène théâtrale ou la véritable crise de folie. Sur album la musique de Xiu Xiu (Jamie Stewart entouré de collaborateurs réguliers et parfois de Caralee McElroy, son double scénique depuis deux ans) évoque tour à tour la new wave synthétique, les tensions post-punk, et parfois même dans cette manière d’être malmenée dans le traitement des sons, la musique industrielle. Les mélodies sont déconstruites en beauté pour créer une impression de malaise permanent, quand elles ne cèdent pas carrément la place au bruit ou au contraire à des notes éparses qui laissent parler les silences.

Patricide

Contrairement à Fabulous Muscles qui ouvrait sur un magistral et plutôt catchy Crank Heart, La Forêt prend l’auditeur à contre pied avec Clover, dépouillé et neurasthénique, dont les paroles annoncent la couleur : « it’s unmaneageable to just keep on living » (« continuer d’exister m’est devenu impossible »). Les maux de l’âme sont encore au centre de ce disque, qu’ils soient propre à l’auteur ou seulement observés dans son entourage, ils demeurent le point essentiel de l’œuvre de Xiu Xiu. Même si cette fois on sent le groupe encore plus appliqué à être juste, à éviter le pathos inutile : chaque élément semble réfléchi et conçu pour éviter la surenchère. Quand le résultat est violent, c’est que le flux des émotions qui lui ont donné vie l’etait lui aussi. Ainsi en partant de l’évocation directe du tableau de Goya dans lequel le Saturne mythologique, dont les couleurs le détachent à peine de la noirceur du fond, dévore un de ses rejetons dans une grimace horrible, on se retrouve avec Saturn l’une des pièces les plus extrêmes du répertoire du groupe. Stewart prend l’image du père posséssif et tyranique pour y décrire un certain George. On comprend assez vite qu’il s’agit là du père de la nation et qu’à l’instar de certaines compositions du précédent opus, Xiu Xiu se montre particulièrement acerbe vis à vis du président Bush fils : « I will shoot this arrow right up your anus and you’ll taste what we taste, what you make them taste » (« Je tirerai cette flèche au plus profond de ton anus, alors tu sauras ce que nous ressentons, ce que tu les forces à ressentir ») le tout dans une ambiance industrielle apocalyptique, dont chaque élément musical semble voué à décrire la décrépitude et les ruines.

Clairs-obscurs

Musicalement il paraît évident que tout de suite les très entraînants Pox et Muppet Face ressortent un peu plus du lot, recréant le même genre de dichotomie que sur les plus anciens Crank Heart ou Poe Poe (en 2002). Les autres titres sont plus discrets (Baby Captain et sa mélodie enfantine ; Ale et ses cuivres entremêlés), ou se tapissent carrément dans la pénombre (un Rose Of Sharon spectral et poignant, ou Yellow Raspberry éclairé au néon d’hopital, empestant le désinfectant et la maladie à plein nez). Bien sûr ce ne sont pas ceux-là qui accrochent à la première écoute de l’album mais plutôt quand le groupe utilise des beats forts et des instruments (synthé, harmonium et guitares) distordus, et qu’on a presque le sentiment d’avoir affaire à des tubes dansants ! Mais à la lecture des paroles il n’y a pas d’équivoque et on est bien loin de la musique de club ! Pox fait écho à Sad Pony Guerilla Girl (LE morceau référence de Xiu Xiu sur A Promise en 2003) puisqu’il est centré sur « la pièce rapportée », le personnage avec un côté « Cendrillon mal-aimée » (dans l’un une jeune fille qui a une relation à un homme mariée se met en opposition à sa famille, ici il s’agit d’un enfant qui se compare à sa belle-famille). La haine et le dégoût s’expriment de manière forte et on hésite à prendre la malédiction (« pox ») souhaitée par le narrateur, pour une fatalité infligée à lui même ou juste un sort vengeur jeté à autrui. Muppet Face, sous ses allures de popsong déjantée (encore une fois le groupe s’amuse à noyer le format couplet/refrain/couplet en chatouillant le confort de l’auditeur d’une distortion massive qui arrive sans crier gare) parle d’un chat à l’agonie, image d’un personnage central embourbé dans un dégoût de lui-même, de sa vie et de sa sexualité. Difficile d’évoquer d’autres artistes en comparaison... Dans ses moments de calme néanmoins, La Forêt fait penser aux premiers Björk, quand la demoiselle oubliait de se prendre la tête sur des concepts stériles. Ainsi les cuivres et le chant de Ale rappellent The Anchor Song sur Debut et Dangerous You Shouldn’t Be Here (avec son intrigante histoire de sorcière des mers) évoque les ambiances en clair-obscur, feutrées et mystérieuses, de Headphones sur Post. Il y a la même volonté de mélanger les sonorités acoustiques et électroniques, de marier l’agressivité et la douceur que sur certaines compositions de l’islandaise (Enjoy sur Post n’aurait pas fait tache sur cet album de Xiu Xiu). C’est du côté des paroles et des thèmes abordés que Jamie Stewart impose sa personnalité et se détache définitivement de Björk.

Dégoût de soi

Car si l’on s’en tient aux paroles, on est assez abasourdi par la richesse et la complexité de l’écriture : le monde de Jamie apparraît opaque mais jalonné de balises, de points d’ancrage assez forts. On est loin de l’art brut, de la syntaxe simpliste et du vocabulaire dépouillé, pour ne pas dire minimal, de l’elfe nordique. Jamie joue avec les éclairages et parvient même par moments à utiliser des nuances plus claires (même si l’on risque de passer aux teintes délavées !). Sur Bog People on flirte avec l’auto-dérision, l’idée du suicide est abordée comme une grosse farce, comme un point d’interrogation grotesque : pourquoi se poser cette question alors que déjà par le passé on est parvenu à passer au travers, et qu’après tout rien n’a changé depuis ? Stewart passe maitre dans la manière de décrire le quotidien pathétique de la dépression et de l’auto-dépréciation. Au contraire sur Yellow Raspberry, l’apparente inertie du temps souligne le dégoût de soi, l’amplifie, et quand elle vient tutoyer la schizophrénie (« Talking nonstop to a little rubber pixie, what has changed just as you tell your doll hello ? » - « Tu parlais sans cesse à un petit lutin de plastique, dis moi ce qui depuis a changé quand tu lances un "bonjour" à ta poupée ? ») et la misère sociale, voire sexuelle (« Beating off non stop to the Escort pages, what has changed as you tell your cross hello » - « La branlette perpetuelle au fil des pages d’Escort, dis moi ce qui depuis a changé quand tu lances un "bonjour"à ton crucifix ») elle n’inspire au chanteur qu’une éructation aussi laconique que définitive : BEURK.

Incandescent

Tantôt en intégrant des éléments du patrimoine littéraire (son Rose Of Sharon, parangon du martyr et de la dévotion à autrui, met en parallèle Jésus-Christ et le personnage de Rose de Saron, épouse abandonnée des Raisins de la Colère de Steinbeck), tantôt en évoquant la politique (allusion à Falloujah dans Muppet Face, puis la prise à parti bien plus violente de Saturn), ou les drames personnels (l’addiction d’un frère dans Baby Captain ou le suicide du père, thème récurrent chez Xiu Xiu, dans Bog People par exemple « There always be a jar of ash (...) there will always be a lonely son » (« il restera toujours ce vase de cendres (...) il restera toujours un fils abandonné »), Stewart parvient à maintenir l’attention en dépit d’une écriture qui aux premiers abords laisse perplexe tant elle semble cryptique et décousue (impression souvent renforcée par le fait que les voix sont mixées très en arrière lors des passages les plus orchestrés). Mais les mots et les images sont tellement puissants, incandescents par instants, comme imprimés sur la chair, qu’il est difficile de ne pas se sentir touché. C’est l’empathie qui prime et place Xiu Xiu dans un club très fermé de songwriters doués, habités d’une rage qui force le respect et inspire la fascination. La Forêt est un chef-d’œuvre, la consécration de l’un des groupes les plus intéressants de ce début de décennie, encore faut il faire preuve de patience et d’abnégation pour en explorer les sentiers les plus sombres en sachant se perdre dans sa luxuriante végétation.

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publié par le 26/08/05
Informations

Sortie : 2005
Label : Acuarela/5RC

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