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publié par arnaud le 07/10/05
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POST-MODERNISME

D’aucuns chercheront la petite bête, les similitudes, les influences trop marquées. D’autres n’iront pas plus loin que les deux premiers titres, un peu trop dérangés par cette voix, ou cette batterie. Tant pis pour eux. Tant mieux pour les autres, car l’écoute de cet album est une expérience bien plus enrichissante qu’il n’y paraît de prime abord. Post-punk, post-rock... post-moderne tout simplement ?

QUêTE DE SENS ET TROMPE L’ŒIL

Débarqué de nulle part, Wilderness s’impose d’abord à l’œil de manière sournoise, offrant une pochette colorée en mosaïque, limite décollement de rétine, que l’on aura beau tourner dans tous les sens, approcher, éloigner, pour tenter d’y trouver un sens, une inscription cryptée : rien. Le groupe de Baltimore instaure donc dès son visuel un jeu trouble entre l’auditeur et lui, celui de le pousser dans ses retranchements, celui du questionnement absurde, de la quête de sens à tout prix. Qui a parlé d’art contemporain ? Collages improbables, couleurs criardes, belle introduction à la musique de ce premier album éponyme que nous propose aujourd’hui l’excellent label de l’Indiana, Jagjaguwar (à qui l’on doit déjà les sorties de Spokane, Oneida ou Minus Story). Trompe l’œil ou pas, ces motifs de couleur obsèdent, fascinent, comme s’ils préparaient déjà à l’hypnose sonore mise en place au fil du disque. L’introductif Marginal Over ne paie pas de mine mais brouille les pistes subtilement car quand on y regarde de plus prêt les éléments qui font la particularité et tout le charme de cet album sont déjà bel et bien présents sous les attributs de toc qu’affichent de manière ostentatoire cette chanson : ceux du groupe post-post punk (! !!), sorte d’écho décalé mais facile à Interpol et consorts. Encore une fois il est ici question d’effort, d’abnégation, il faudra gratter un peu la couche en surface pour celui qui veut toucher le cœur de l’artiste.

PALETTE DE SONORITéS

Car en dessous il y a cette rythmique très en avant, par moments martiale, cette guitare aérienne, bien peu encline à la distorsion, une basse reptilienne qui soutient fortement pour se cacher l’instant suivant. Et puis cette voix qui harangue plus qu’elle ne chante, qui déclame plus qu’elle ne parle. Les comparaisons à John Lydon période P.I.L. ne semblent pas si pertinentes, peut-être faudrait il plus regarder du côté de David Byrne des Talking Heads, époque Remain In Light, et encore... Plus récemment on avait croisé ce genre d’intonations à l’écoute du premier album des gentils Stellastarr* mais pas la peine de pousser la comparaison au delà de la sonorité, car en terme d’écriture Wilderness n’a rien à voir avec les New-Yorkais. Ici on insiste sur la répétition, sur les inversions « face the facts, o fact the face », sur l’emphase de certaines syllabes. Non seulement les mots sont utilisés comme un peintre balancerait des couleurs, mais on joue aussi sur la manière de les appliquer sur la toile, dans la façon de les appuyer, de les distendre. Sur Arkless, véritable bombe à retardement de celles qui continuent de vous exploser dans la tête toute la journée, le chant est réduit à son strict minimum, répétant encore et encore les mots, les déconstruisant pour aller jusqu’au simple phonème (cf. la prononciation du mot era dans la première phrase...). La batterie prend ici toute son importance sans pour autant non plus tout écraser sur son passage, elle procure juste une impression de froid glacial dans le martèlement des fûts qui prévaudra sur les cinq morceaux suivants, à peine contrastée par les souffles de reverbs des lignes de guitares.

DADA

Enchaîner les 13 minutes intenses d’End Of Freedom et Post Plethoric Rhetoric reste sûrement la meilleure approche du son de Wilderness, les guitares de la première ont même un petit goût d’Explosions In The Sky et l’évocation, dans les paroles, des mains et des poings apparaît comme un clin d’œil au Born Under Punches des Talking Heads justement. Sur les deux chansons, les paroles sont minimalistes et fonctionnent comme des polaroids, des visions hallucinées. Les mots de Post Plethoric Rhetoric frappent comme des accords de guitares plaqués, dans ce sens ils se substituent à la six cordes qui, elle, ne joue que des notes éparses noyées dans la reverb. Le jeu des toms de la batterie est impressionnant car il apporte tout le relief nécessaire au morceau, y ajoute des nuances que la voix seule aurait du mal à amener, évoluant toujours sur le fil entre prêche habité et mantra lancinant (d’ailleurs la seule vraie partie chantée provient de chœurs sur le refrain de End Of Freedom). Par moments dans les textes on frise le cut-up, presque de l’écriture automatique qui aurait été retravaillée en aval, prêtant aux chansons un parfum presque surréaliste, un côté dada à la Duchamp (ce qui rejoint le thème des collages évoqué plus haut). Les textes de Say You Can See un peu plus loin vont dans la même direction, dans l’association des images, des mots et on pourra même pousser l’analyse en notant l’intéressante concaténation des unités sémantiques dans le texte (comme si on avait affaire en gros à une seule et même phrase dont chaque mot dépendrait du suivant autant que du précédent... voir les travaux de Chomsky à ce sujet !)

ABSURDE GéNIAL

C’est dans ce sens aussi qu’il faut appréhender les deux morceaux instrumentaux du disque, même si Shepherd in Sheeps Clothing semble coulé dans le même moule sonore que le reste, il comporte néanmoins quelques éléments rapportés (des moutons au second plan !), mais apparaît peut-être moins iconoclaste que Mirrored Palm, qui referme l’album. Il s’agit là d’une pièce au piano évoquant la musique contemporaine, à première vue pas grand chose à voir avec les neufs autres pistes de l’album, mais dans la démarche que semble suivre le groupe, celle du questionnement perpétuel, de l’absurde artistique, il s’agit là d’une fin des plus adaptées, même si on aura tendance à la subir sur la longueur... ! La démarche de Wilderness est systématique certes mais fonctionne sur la quasi totalité du disque. Le groupe parvient à évoquer du bout des lèvres un univers singulier, arty à outrance, mais assez décalé par rapport au reste des groupes influencés par le côté punk noir de Joy Division, Wire ou les guitares en apesanteur des Chameleons. Un groupe unique, unique groupe teinté d’ironie post-moderne, la suite sera peut-être plus délicate... mais qui a dit qu’il fallait une suite ?

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publié par le 07/10/05
Informations

Sortie : 2005
Label : jagjaguwar

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