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publié par Nausica Zaballos le 22/04/09
Wendy and Lucy - Kelly Reichardt
Kelly Reichardt

L’Alaska : destination ultime ?

Wendy and Lucy rappelle à certains égards la quête éperdue de liberté du jeune poète d’Into the Wild. Le point commun le plus évident entre ces deux films : la destination rêvée, fantasmée, sanctuaire et tombeau pour l’un, jamais atteinte et se dérobant sous ses pas pour l’autre. Si pour le protagoniste homme d’Into the Wild, l’Alaska constitue l’ultime eldorado où se perdre et retrouver dans la Nature sa propre nature originelle, les motivations de Wendy pour gagner l’ultime frontière, la dernière étape du cheminement américain vers l’Ouest, sont plus pragmatiques. Originaire de l’Illinois, état qui n’échappe pas à la crise, les emplois se faisant de plus en plus rares, Wendy espère résister à l’immobilisation sociale en trouvant un job dans une des multiples conserveries de poisson de ce grand état. La pénurie de main d’œuvre et d’emplois est le motif du voyage réaffirmé tout au long du récit. Mais au gré des tribulations de Wendy, on comprend rapidement, qu’elle tente d’échapper à sa condition sociale, sa famille, se rêvant en adulte autonome et indépendante, débarrassée de toute entrave ou contrainte matérielle. Mais, malgré les velléités de Wendy, la confrontation brutale au réel est signifiée par la perte de sa voiture (son seul moyen de locomotion), de sa chienne Lucy (seule amie et confidente) et de son innocence (confondue par la police pour vol de croquettes ! et désormais fichée).

Prisonnière d’une ville inhospitalière

Wendy and Lucy pourrait également s’apparenter aux films Un jour sans fin avec Bill Murray ou U-Turn avec Sean Penn. Les trois protagonistes sont victimes de forces majeures : des accidents, des imprévus, des erreurs de jugement qui les clouent littéralement à terre, mettant un terme à leur progression temporelle ou spatiale, faisant de la ville où ils ont échoué une véritable prison. Les habitants de ces villes inhospitalières semblent pourtant prendre un malin plaisir à former une coalition d’intérêts certes variés mais qui concordent tous à maintenir leur victime malgré elle sur place. Dans Wendy and Lucy, avec une économie de moyens (dialogues réduits à l’extrême, gros plans sur visages et simples travellings, décors dépouillés et presque toujours les mêmes -un parking, une supérette, un chenil, l’intérieur d’une voiture ou d’une cabine téléphonique), le spectateur comprend rapidement que Wendy s’est engagée sur une pente descendante où les personnes rencontrées et les situations subies vont la déposséder de tous ces biens et peut-être même de sa dignité. Le rêve de Wendy prend fin lorsque sa voiture tombe en panne sur un parking privé. Wendy est forcée de le quitter et d’aller se garer dans une allée. Commence alors la réalisation que malgré ces centaines de coupures de dollars, elle appartient à l’Amérique des pauvres. Wendy doit se plier aux règles qui régissent la séparation entre les white trash et les Américains qui aspirent à demeurer membres de la classe moyenne, dernier bastion de résistance face à la crise.

L’Amérique des pauvres

Si Wendy dort dans sa voiture pour économiser des nuits d’hôtel, elle n’a pourtant rien d’une white trash. Sa sensibilité, son élégance naturelle et son intelligence intuitive jouent pourtant en sa défaveur. Pas assez vulgaire pour susciter la compassion des caissières du supermarché où elle s’est fait surprendre en train de voler pour Lucy, pas assez hautaine et assurée pour réussir à négocier un prix raisonnable et honnête au garage. Ne pouvant compter que sur elle-même (sa sœur et son beau-frère joints par téléphone lui rappellent bien aimablement qu’ils ne débourseront pas un nickel pour elle), Wendy se retrouve contrainte à ramasser des cannettes afin de récupérer quelques dollars. Et là encore, agacée par l’absurdité de la situation et prise de pitié, elle préfère laisser sa récolte au sans-abri rencontré. Lorsque son chien est emmené à la fourrière alors qu’elle a passé l’après-midi au commissariat, on lui rétorque qu’une femme qui n’a pas les moyens de nourrir un chien ne doit pas en avoir un. Malgré ces rebuffades, Wendy va tenir bon pendant les ¾ du film. Se liant d’amitié avec le vieux gardien du parking, elle réussira à retrouver sa chère Lucy pour mieux réaliser que son chien, lui préférant le ragoût et le jardin de sa nouvelle famille d’accueil, obéit lui aussi à l’implacable logique économique.

Quitter cette maudite petite ville...

Wendy réussira-t-elle à quitter cette maudite petite ville où l’ennui le dispute à la mesquinerie...et dans quelles conditions ? Aller voir ce film pour le découvrir. D’une histoire entre un chien et une jeune femme qui perd tout son argent à cause d’une panne de voiture, la réalisatrice Kelly Reichardt a su tirer un beau film sur la déconfiture du rêve américain. Prendre la route comme ses illustres aînés, oui, mais vers quoi ? Et comment atteindre le but fixé sans solidarité, sans garantie que le rêve en vaille la peine ?

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publié par le 22/04/09