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publié par Mélanie Fazi le 06/04/21
Viv Albertine - De fringues, de musique et de mecs
De fringues, de musique et de mecs

En matière de mémoires d’artistes, les ouvrages les plus passionnants sont souvent ceux qui peuvent se lire sans connaissances particulières du parcours musical de l’auteur ou autrice. Ainsi, on peut aborder le sublime Just Kids de Patti Smith, Mémoires, rêves et réflexions de Marianne Faithfull ou encore La nuit ne dure pas de Dani, pour ne citer que trois ouvrages ayant marqué votre matelote, comme des portes d’entrée vers un parcours qui ne nous est pas nécessairement familier, parce qu’il y a une voix qui vous happe, une personnalité qui se dégage, un témoignage sur une époque et un contexte donnés. On ne les dévore pas simplement pour assouvir notre curiosité quant à l’envers d’un certain décor, mais parce que le livre lui-même est impossible à lâcher. Refermant à regret De fringues, de musique et de mecs de Viv Albertine, on s’empresse de le ranger dans la même catégorie. Si je ne connaissais des Slits que diverses mentions lues dans des articles sur l’histoire du rock au féminin, peut-être un ou deux morceaux entendus ici et là, le livre m’a captivée dès les premières pages.

Le punk et l’après

Cet aspect de témoignage d’une époque révolue est évidemment passionnant, ne serait-ce que par le statut particulier des Slits, l’un des tout premiers groupes de punk féminins dans l’Angleterre de la fin des années 70, où elles se heurtèrent forcément au sexisme et à l’hostilité masculine – l’ouvrage raconte notamment avec quelle pugnacité elles durent batailler pour imposer leurs choix lors de l’enregistrement de leur premier album Cut sorti en 1979. Comme toujours dans ce genre d’ouvrage, on croise beaucoup de figures connues : les Clash, les Sex Pistols (l’autrice y brosse le portrait d’un Sid Vicious étonnamment attachant et moins chaotique qu’on ne s’y attendrait), Malcolm McLaren et Vivienne Westwood, Chrissie Hynde ou encore une toute jeune Neneh Cherry. Viv Albertine retrace aussi sa rencontre capitale avec Ari Up, jeune Allemande impulsive, incontrôlable mais terriblement inspirante avec qui elle aura, du vivant des Slits et au-delà, une relation en dents de scie mais réellement marquante, teintée d’un grand respect et d’un très fort sentiment d’émulation.

La partie consacrée à l’histoire du groupe ne constitue en réalité qu’une petite portion du livre, qui retrace avant tout le parcours de vie de l’autrice, de l’enfance à l’époque actuelle. Sa découverte de la scène punk et le rôle qu’elle y jouera, mais aussi sa vie au-delà de cet épisode musical qui a fait sa renommée. De fringues, de musique et de mecs est tout aussi passionnant lorsqu’elle retrace longuement l’après-Slits : un mariage qui la verra glisser dans une petite vie rangée qui ne la satisfera pas vraiment, un enfer médical traversé lors de tentatives infructueuses pour avoir un enfant, puis une lutte contre un cancer racontée, comme tout le reste, avec une franchise et une recherche de justesse qui en rendent la lecture parfois éprouvante. Puis la prise de conscience d’un enfermement dans une vie sans étincelles malgré l’amour profond qu’elle porte à sa fille, notamment lors d’une rencontre avec Vincent Gallo qui jouera le rôle d’une muse improbable lui rappelant à quel point la musique et la création lui manquent. Et enfin, après l’échec de son mariage, un retour à la scène et l’enregistrement de l’album solo The Vermillion Border en 2012.

L’envers et le chemin

Il y a quelque chose d’émouvant à aborder ce livre en n’ayant qu’une vague idée de ce qu’on y trouvera, et à découvrir les albums des Slits puis ces chansons solo en même temps qu’on lit à leur sujet ; on noue avec eux un lien de familiarité différent, parce qu’on les reçoit en même temps que leur histoire. On est réellement touché de voir Viv Albertine, dans la dernière partie du récit, émerger du cocon étouffant où l’a enfermée son mariage pour revenir à une forme de créativité différente : non pas un retour à l’écriture punk de sa jeunesse qui ne pourrait que sonner faux, mais une musique qui contient tout ce qu’elle a vécu dans l’intervalle et qui y puise sa force, l’envers pas toujours raconté au grand jour de la vie ordinaire d’une mère au foyer. La justesse et la grande franchise du récit nous frappent tout du long : Viv Albertine n’a pas simplement traversé une époque intéressante à relater, mais possède un vrai talent pour raconter ce qu’elle a vécu et nous faire emprunter ce chemin avec elle. De fringues, de musique et de mecs est un témoignage passionnant pour qui s’intéresse à l’histoire du rock féminin, mais c’est avant tout un livre prenant, poignant parfois, porté par une voix authentique, une lecture qu’on se rappellera certainement très longtemps.

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publié par le 06/04/21
Informations

Sortie : 2017
Label : 10/18