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publié par benoît le 05/11/08
Vinciane Verguethen - Mettre les gens en valeur, c'est mon moteur principal

Deuxième épisode de notre série d’entretiens avec les photographes de concert. Après Robert Gil, honneur maintenant à notre matelote Vinciane, qui fait partie de l’équipage depuis 2001.

Depuis combien de temps es-tu photographe ?

Je fais des photos de spectacle depuis 2001 ; je travaille essentiellement dans le domaine du rock indé, mais plus généralement spectacles, danse, théâtre etc... J’ai commencé en argentique mais suis passée au numérique très rapidement. Disons que je fais partie de la "génération numérique".

Tu es donc venue à la photo à travers la musique ?

Il y a un lien assez fort entre le rock et la photo. J’ai commencé à m’intéresser au travail de certains photographes, et très rapidement, j’ai récupéré un boîtier et j’ai mis le doigt dans l’engrenage. C’est donc la musique qui m’a amené à la photo, domaine qui ne m’était pas non plus étranger puisque étant petite, j’avais développé des photos avec mon père, et beaucoup de gens étaient intéressés par ça dans ma famille. Mais j’ai réellement commencé mon activité de photographe avec les concerts, vers 2001. J’ai fait de l’argentique pendant environ deux ans, avec notamment un vieux boîtier russe entièrement manuel et des optiques assez mauvaises... Je scannais mes négatifs pour les traiter "numériquement". Ensuite, le passage au tout numérique m’a surtout permis de multiplier les expériences, sans me fixer de limites en termes de quantité. L’argentique coûte cher et je n’avais pas forcément le budget pour faire trois rouleaux à chaque concert ! Donc j’ai commencé à pouvoir travailler plus souvent, à y prendre goût et à m’améliorer. Au début - disons les deux premières années - on avance vite, mais les images restent médiocres au regard de la photo professionnelle. Le goût de faire de bonnes images vient assez rapidement, et l’idée de la professionnalisation à fait son chemin petit à petit.

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Zenzile

Une fois que l’on a trouvé sa voie, son « regard » de photographe, qu’on sait un peu où on va et ce qu’on veut faire, s’équiper en matériel professionnel permet de gagner du temps au moment de la prise vue et au moment du post-traitement, mais ça n’est pas parce qu’on est bien équipé qu’on fait de bonnes photos. En fait, mon matériel a évolué avec moi, il a vraiment accompagné mon développement, mais ce n’est pas lui qui a défini mon regard. Ça me facilite juste la vie au quotidien. Je suis progressivement arrivé à des images bonnes techniquement, tout en veillant à ce qu’elles gardent une charge émotionnelle. Je préfère ça à des images « techniques » mais vides de sens.

Quand considères-tu qu’une photo est « ratée » ?

Une photo ratée est une photo qui ne respecte pas l’artiste. Qui trahit l’ambiance du spectacle, qui galvaude l’atmosphère, les émotions, ou simplement la beauté du moment. Une photo floue n’est pas nécessairement ratée.

Estimes-tu avoir une « approche féminine » des choses ?

Bon déjà, je dis souvent que la photo n’est pas un métier de femme parce que le matériel est tellement lourd qu’on se casse un peu le dos ! Mais je pense effectivement apporter une certaine féminité, et un certain regard, disons plus doux... C’est peut-être un cliché, je ne sais pas... En tout cas je ne cherche pas la même chose que ce que je vois généralement chez mes confrères masculins. Je ne connais pas beaucoup de femmes qui font ça, mais je trouve qu’elles ont une approche un peu différente. Je ne sais pas si je suis objective, et c’est difficile de généraliser. Mais je pense apporter une différence dans ce que je veux exprimer par l’image.

Tu photographies sans doute différemment les femmes ?

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Fredrika Stahl

Non, je pense que si une fille est sensuelle, je vais vraiment saisir sa sensualité en dépit du fait d’être une femme. Mais étant quelqu’un d’assez prude, je ne vais pas aller dans la vulgarité. Je ne vais pas chercher à mettre en valeur une fille qui joue avec ses avantages. Mais si j’ai envie de montrer qu’elle est sensuelle, je vais le faire. Je pense avoir le même regard envers les femmes qu’envers les hommes. Je n’avais jamais réfléchi à la question, en fait !

Est-ce que tu trouves certaines personnes plus « photogéniques » ?

C’est évident que la photogénie est propre à une personne. Il y a des gens très beaux difficiles à photographier, et d’autres qui, inversement, se révèlent complètement par l’image. C’est quelque chose que l’on sent intuitivement. J’ai quelques souvenirs de concerts où on a l’impression qu’il se passe moins de choses dans l’image qu’en vrai, et ça c’est terrible... Je me souviens d’avoir dit ça de Joey Burns de Calexico. J’aime tellement leur musique, tellement ce qui se passe sur scène, leur générosité, que j’étais vraiment traumatisée par le fait d’obtenir des images très plates. Je n’arrivais pas à comprendre si ça venait de moi où si c’était une histoire de photogénie. D’ordinaire je suis satisfaite de l’adéquation entre ce que j’observe pendant le concert et ce que je retrouve dans mes images, mais avec Joey Burns, impossible de rendre quelque chose de convenable...

Comment choisis-tu tes sujets ?

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Oxbow

Je travaille très peu dans de grandes salles ; j’essaye d’éviter les jauges de plus de 1000 places. La débauche de lumière et les scénographies trop programmées m’intéressent peu. Quand "l’image" du spectacle est déjà faite, ça devient un peu trop mécanique. Dans ces cas-là, tous les photographes présents rapportent à peu près les mêmes images. Le plaisir de la création est quelque chose qui m’importe.

D’une manière générale, je n’ai pas trop envie d’avoir un cadre trop imposé ; j’aime bien travailler avec les festivals qui me donnent carte blanche sur la manière de rendre compte des spectacles. L’idée est d’avoir un regard continu sur un ensemble d’événements, dans un cadre unique. Par exemple, j’ai travaillé pour le festival Jazzycolors qui se déroule dans plusieurs centres culturels, donc des lieux peu adaptés aux concerts, sans mise en scène, sans éclairage, où je pouvais apporter une sensibilité reportée d’un concert sur l’autre pour créer une image générale. C’est différent de ce que je peux faire quand j’ai le « champ libre », où là je travaille juste pour le plaisir, ou dans l’espoir de vendre quelque chose ensuite. Et quand je couvre un concert susceptible d’intéresser la presse, je fais toujours quelques photos « standard » du chanteur devant le micro, des photos un tout petit peu lisses, qu’en général je ne montre même pas, que je garde au cas où on me les demande. Encore une fois, je suis vraiment dans la création et pas dans le stéréotype de la photo de concert comme on peut la voir en magazine.

Tu fonctionnes de la même manière pour les portraits ?

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Shara Worden (My brightest diamond)

Quand je fais des portraits, je ne m’impose pas forcément une grande mise en scène. J’essaye d’avoir un fil conducteur entre toutes les images des artistes qui se produisent dans le cadre d’un même événement, pour en tirer un travail qui puisse servir en communication. Ça peut être soit pour l’image d’un client - un festival par exemple - mais c’est ce qui se passe aussi pour le Cargo, où je travaille en accompagnement des sessions acoustiques, d’une manière complémentaire par rapport à la vidéo, pour ensuite proposer à l’artiste quelque chose de cohérent. Mais si l’artiste lui-même a envie d’une petite mise en scène, on peut tout à fait aller dans son sens, on n’est pas du tout dans le journalisme, pas vraiment dans la communication non plus, plutôt dans l’accompagnement. Ensuite, les photos promo pour lesquelles certains artistes peuvent faire appel à moi, font bien sûr l’objet d’une concertation, éventuellement avec la maison de disque. Mais c’est finalement quelque chose que je fais assez peu, ce n’est pas ce que je recherche le plus ni ce à quoi je suis la meilleure. Je préfère essayer de créer quelque chose avec ce qui m’est donné, capter et rendre au mieux ce à quoi j’assiste. J’ai beaucoup plus de mal à mettre moi-même les choses en scène. Je crois que ma créativité naît de la spontanéité d’un moment.

Et après la prise de vues ?

Mon traitement de l’image est minime : je fais des corrections de couleurs, parfois de légères corrections de cadrage, et c’est tout. Il m’est arrivé de retoucher pour enlever un petit détail disgracieux, mais c’est très occasionnel. L’image doit être presque prête à la sortie de l’appareil. Mais il ne faut pas pour autant négliger le traitement final qui la met en valeur.

Une expérience, bonne ou mauvaise, qui aurait changé ta façon de travailler ?

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Scandinavian hip hop invasion

J’ai photographié récemment une soirée hip hop, ce qui est très différent du milieu rock auquel je suis habituée et où l’on tombe souvent sur des gens peu expressifs, qui regardent un peu leurs chaussures. Dans le hip hop au contraire, il y a une gestuelle, une rythmique qui font que le mouvement est très différent. Du coup, la photo est très différente. Ça représentait vraiment un challenge pour moi de m’adapter à ces nouveaux codes, où j’avais du mal à appliquer ma façon de faire habituelle. Finalement, je me suis beaucoup amusée à essayer de rester fidèle à mes habitudes, et il se trouve que les organisateurs de la soirée m’ont proposé de travailler avec eux parce qu’ils trouvaient mes images singulières par rapport à l’iconographie générale du milieu hip hop. Ça me conforte dans mon travail, de me dire que j’ai quand même un regard qui est personnel, et qui peut plaire malgré la différence de « milieu ».

Mais même quand on est content de son travail, il faut garder à l’esprit que le sujet de la photo, dans le cas présent l’artiste, a lui aussi un amour-propre qu’il est très important de respecter pour ne pas lui présenter d’images désobligeantes. Il faut avoir la certitude que la personne ne sera pas blessée par l’image. Il faut qu’elle se sente mise en valeur. C’est mon moteur principal.

Comment la photo numérique a-t-elle fait évoluer les choses, selon toi ?

La rapidité de traitement des images numériques crée une attente ; je le vois par exemple quand je photographie un concert pour le Cargo : le lendemain matin, les statistiques internes du site montrent que les internautes viennent déjà y chercher les photos. C’est vrai que si on les présente trois mois après, ça n’a plus aucun sens, mais il faut aussi qu’on dorme de temps en temps ! Il m’est arrivé de mettre en ligne le jour même - c’est-à-dire avant minuit - des images d’un concert. C’est une satisfaction personnelle, mais en même temps un peu vaine... Après quoi on court, finalement ? Il faut prendre le temps de faire une sélection, de proposer un regard exigeant et pertinent sur les événements.

Le numérique facilite peut-être l’accès à la professionnalisation ?

Je ne suis pas sûr qu’on puisse devenir réellement « professionnel » en photo de concert. C’est un peu illusoire de penser en vivre. La presse ne peut pas nourrir tout le monde, et les artistes n’ont pas non plus besoin de beaucoup de photos, puisque les webzines se multiplient et font le relais. Ceci dit, il est normal que les bonnes images se monnayent, mais le système ne peut pas faire vivre une infinité de photographes. La multiplication des webzines est plutôt positive, si chacun livre sa propre vision des choses. Il y a toujours de la place pour les gens qui font ça bien, le tout est de rester dans le respect de l’artiste, qu’il ne sente pas spolié, « pressé jusqu’à la moëlle ». Ça doit rester la priorité absolue.

- propos recueillis par Benoît Derrier le 17 avril 2008 -

> La galerie de Vinciane sur w-fenec.org

> à lire aussi : les interviews de Robert Gil et Sigrun Sauerzapfe

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publié par le 05/11/08