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publié par Mélanie Fazi le 21/09/17
Valparaiso
- Broken Homeland
Broken Homeland

On sait d’expérience à quel point aligner les noms prestigieux ne suffit pas pour assurer la qualité d’un projet, qu’il soit musical, cinématographique ou autre. Souvent, les rencontres alléchantes sur le papier ne débouchent pas sur grand-chose : l’osmose ne se produit pas, l’étincelle ne prend pas, on découvre au final un projet appliqué comme peut l’être une copie de bon élève, sans grâce particulière. Mais parfois sort un album qui parvient à être plus grand que la somme de ses parties, un miracle de création collective où brûle une flamme vive et belle, où naît quelque chose de nouveau, d’inattendu, de profondément vivant. Un album où les énergies se trouvent, où les voix entrent en résonance et où chacune porte les autres plus loin qu’elles ne seraient allées seules. Broken Homeland est de ceux-là.

Magie des rencontres

À l’origine du collectif Valparaiso, trois anciens membres de Jack the Ripper (Hervé Mazurel, Thierry Mazurel, Adrien Rodrigue), dont les albums habités et les concerts de feu nous laissent des souvenirs très forts des années après, et qui s’associent aujourd’hui au guitariste Matthieu Texier et au batteur Thomas Belhom pour inviter une flopée d’invités prestigieux, sous la houlette du producteur John Parish dont on reconnaît ici le soin apporté à la cohérence sonore de l’ensemble. Une première expérience avait été tentée après la fin de Jack The Ripper sous le nom de The Fitzcarraldo Sessions, sur un principe similaire consistant à convier divers invités à prêter leur voix aux chansons. Un projet intéressant qui posait les bases de celui-ci, mais qui n’atteignait pas tout à fait l’intensité de ce que l’on découvre sur Broken Homeland.

Il ne s’agit pas seulement ici de préparer les chansons dans leurs moindres détails puis d’inviter d’autres artistes à les interpréter ; on ne parle pas de simples participations mais de véritables rencontres. Une sorte de petit laboratoire où l’on tente des choses, où l’on lance des pistes, croise des possibilités pour voir ce qu’il en naît. Ainsi l’album a-t-il été enregistré à cheval sur plusieurs studios (à Bristol principalement, mais aussi à Bruxelles et à Versailles) ; certaines rencontres se sont faites en chair et en os, d’autres uniquement à distance. Certains artistes prêtent leur voix (Dominique A, Rosemary Standley, Howe Gelb), d’autres leurs instruments (Frédéric D. Oberland, Christine Ott) ou les deux à la fois (John Parish). Chacun a été, en tout cas, appelé à réinventer le morceau qu’on lui proposait, à se le réapproprier, avec une part d’improvisation plus ou moins grande selon les sensibilités. Certaines bases mélodiques connaissent même plusieurs versions : ainsi le même thème donne-t-il des résultats radicalement différents selon qu’il est incarné par Dominique A (« Marées hautes ») ou Phoebe Killdeer et Howe Gelb (« Rising Tides »).

Magnifier les nuances

On entend donc ici se produire de splendides accidents au milieu de moments plus réfléchis et travaillés ; mais la beauté de la chose, c’est qu’on ne sait jamais où se situe la limite. Le plus sidérant sur cet album, au-delà de sa splendeur immédiate, c’est qu’il parvienne à imposer une personnalité propre, indéniable et cohérente tout en préservant l’individualité de chaque interprète. Ces voix qui nous sont familières sont ici magnifiées dans leurs moindres nuances ; le collectif a su tirer le meilleur de chacune et, à leur tour, elles apportent des nuances distinctes à la palette d’ensemble. Shannon Wright amène une forme d’âpreté, Josh Haden (Spain) une langueur, Rosemary Standley (Moriarty) une étrangeté diffuse, Marc Huyghens (Venus, Joy) une intensité habitée, Phoebe Killdeer une mélancolie chargée comme un ciel d’orage. On les retrouve ici tels qu’on les connaît ailleurs, mais l’identité propre de l’album, au lieu de se voir perturbée par la multiplicité des voix, s’en trouve réellement enrichie. C’est là le plus vertigineux dans ce projet – un miracle d’équilibre. Jamais on n’aurait osé rêver que la rencontre entre Shannon Wright et John Parish soit aussi magique que sur « The River », l’un des sommets de l’album, traversé par un souffle et une émotion sublimes. Et rarement a-t-on entendu Phoebe Killdeer aussi poignante avec si peu d’effets que sur « Wild Birds » – voix caressante, guitares lancinantes, batterie tout en frôlements, un instant de perfection.

Si certaines chansons s’enchaînent comme les pages d’un même livre ou les séquences d’un même rêve, unies par une mélancolie diffuse et grisante, d’autres en prennent le contre-pied et surprennent aux premières écoutes. Dominique A ancre « Marées hautes » dans la terre avec une solidité qui n’appartient qu’à lui ; Julia Lanoë (Mansfield TYA) offre sur « Le septième jour » une parenthèse d’étrangeté aux accents apocalyptiques, qui tranche au premier abord mais finit par fasciner franchement ; Howe Gelb (Giant Sand), égal à lui-même, c’est-à-dire imprévisible, tire « The Allure of Della Rae » vers une country râpeuse et enlevée à la fois.

Au-delà des promesses

Chacun apporte non seulement sa voix, mais aussi un pan de son univers. L’impression dominante est celle d’une véritable œuvre collective où chacun ajoute une couleur qui lui est propre jusqu’à ce que tout finisse par s’entremêler et s’influencer. Mais au-delà du saisissement que provoque à chaque écoute la cohérence de l’ensemble, chaque chanson, prise individuellement, est magnifique. C’est en tout cas, sans doute possible, l’un des albums marquants de cette année. Un projet qui ne se contente pas de tenir ses promesses mais nous offre bien plus que nous n’aurions osé l’espérer. Et qui, ce faisant, force le respect.

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publié par le 21/09/17
Informations

Sortie : 2017
Label : Zamora Label