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publié par Renaud de Foville le 05/06/00
tom waits - grand rex, paris - 30/05/2000
grand rex, paris

pluie battante

tom waits est venu. alors, oui, c’est vrai, on pourrait discuter longtemps des prix des places - entre 300 et 500 francs - comme de celles de radiohead dans la même salle - 245 francs - ou sous leur chapiteau en septembre à 275 francs. mais pourquoi se faire du mal. pour 300 francs vous étiez au balcon du haut, si haut que l’on ne pouvait pas reconnaître les visages ! et pas placé non plus. il fallait mieux arriver en avance - sous la pluie battante - et faire la queue pour ce deuxième concert de tom waits à paris - pour une série de trois et un quatrième en pologne et adieu l’europe ! toutes les conditions étaient réunies pour ne pas avoir envie d’aller à un concert... si ce n’était celui de tom waits. que l’on attendait tout simplement depuis plus de 10 ans, et que je ne pensais pas vraiment voir un jour. la première impression fût très étrange, décevante. tout le monde m’avait loué l’acoustique du grand rex comme une des meilleures d’europe... alors quand le groupe est monté, seul, sur scène c’était bien sûr une petite intro sympa, la star se fait attendre un peu. on entend dans le lointain la voix de tom waits, en se disant qu’il s’agit d’une bande et que c’est un effet pour une intro un peu originale. evidemment du balcon du haut on ne voit pas du tout la salle, juste la scène. en fait tom waits était dans la salle en bas - ils avaient payé 500 balles, c’est un cadeau en plus ! - chantant dans un porte-voix. il monte sur scène et continue à chanter devant son micro avec son appareil fétiche. et là, horreur. le son est immonde. on entend toujours pas sa voix et à peine mieux les musiciens... 300 balles pour voir de loin et surtout ne rien entendre. je vais pas tenir tout le concert comme ça... quelques seconde plus tard, tom waits enchaîne avec un autre morceau sous une pluie de paillettes , poudre magique directement sortie de sa poche, et se met à chanter, sans artifice, sans appareil. juste sa voix qui explose dans les enceintes. stupeur totale. on a vite tous compris. ce soir nous allons assister à quelque chose de grand, de magique, de parfait et surtout, surtout... de totalement unique dans une vie !

magistrale

cela fait déjà quelques jours et on a toujours du mal à en parler, ce qui est sûr c’est que c’est incomparable avec ce que l’on a déjà vu. il y a eu de très bons concerts cette année (beck, cure, calexico ou sonic youth), mais rien à mettre dans la même catégorie, rien de comparable. ce n’est pas le meilleur concert que j’ai jamais vu ou ce genre de choses, c’est une expérience à part. la scène est assez grande mais tous les instruments sont regroupés, dominés par le formidable bordel des percussions. on a l’impression de rentrer dans un vieux grenier, le cœur qui bat la chamade, un peu inquiet et pourtant sûr, au fond de nous même, que nous allons y trouver des trésors. une dizaine d’instruments autour de la batterie pour permettre à l’incroyable batteur de tom waits de créer des sons envoûtants. un jeu de lumière simple et parfait, évidemment entièrement centré sur tom waits, monté sur une petite estrade en bois. comme celle des professeurs au collège. mais l’effet n’est pas tout à fait le même - bien que la leçon de ce 30 mai fût absolument magistrale !

à chaque souffle

l’estrade recouverte de poussière et de terre, tom waits s’en donne à cœur joie pendant les 2h20 de concert pour taper des pieds (on entendait du haut du balcon le claquement des talons sur le sol !), frapper le sol avec son chapeau ou son mouchoir rouge, qui pend à sa poche arrière, et faire s’envoler des nuages de poussière qui recouvrent d’une fine pellicule son costume de clochard céleste, de magicien de la rue. ce n’est plus du concert, c’est un spectacle, c’est de la photo, du théâtre, de la peinture, du cinéma, du roman, de la poésie... on meurt d’envie d’avoir un appareil photo, d’être dans les premiers rangs et d’immortaliser les scènes somptueuses que nous offre ce corps de pantin désarticulé, cassé en deux, prenant des poses incroyables devant nos yeux totalement émerveillés. on a parfois l’impression de voire un cheval, un pur sang ou un pur malt, se cabrer et la seconde suivante c’est une marionnette cassée que l’on admire en retenant notre souffle... la première image, le premier son nous ont mis ko et résument parfaitement les deux heures 20 que nous allons vivre. la tête dans les étoiles - les paillettes, que tom waits lancera sur chacun de ses musiciens quand il nous les présentera, les pieds dans la terre et la voix dans notre cœur. et quelle voix, quelle perfection. d’une richesse hallucinante, on se dit que l’alcool et la cigarette peuvent vraiment faire des miracles et que joe cocker fait bien de continuer à pousser la chansonnette standard fm et de ne pas essayer de jouer dans la cour des grands. personne ne peut rivaliser avec cette voix. c’est tout un monde qui naît et meurt à chaque souffle, c’est évidemment bukowsky, john fante ou william burroughs et plus encore, une histoire, un film, un poême, une sensation, une émotion...

polar

vous êtes plongé au beau milieu d’un polar américain des années 50, au sein d’une comédie musicale, ou tapi dans l’ombre d’un cabaret miteux ou un crooner magicien vous offre quelques ballades poignantes. c’est somptueux, magique, désespérément beau, incroyablement fort. tous les sentiments vous passent par la tête. tom waits vous fait vivre, pleurer, rire et chanter à tue tête. car il y a aussi du cabotin en lui, il aime être soutenu par la foule, nous faire chanter, taper dans les mains... « vous êtes un bien meilleur public qu’hier soir », véritable compliment ou simple truc particulièrement efficace ? pas grave... plus rien n’est important ! il reviendra 4 fois, 4 rappels après un concert qui nous paraissait déjà parfait, alternant les morceaux les plus mélodieux avec ceux les plus dingues de son répertoire, les hits avec les morceaux moins célèbres. « je vous connais vous, vous êtes venus pour les hits » lancera-t-il au public, entre autre au milieu de ces petites histoires, qu’il nous offre, seul devant son piano, ses mains se baladant sur le clavier...

blues blanc

après nous avoir quand même demandé pourquoi nous n’avions pas donné de nouvelles depuis plus de 10 ans. pas une lettre, pas un coup de fil. et pourtant il était là, lui, il nous attendait ! seul maître d’un blues blanc qu’il a repris, remodeler à son image, à son génie et à sa voix, personne d’autre n’existe ce soir et pour bien longtemps. l’amérique nous offre de temps en temps des génies, tom waits est sûrement l’un des plus beaux cadeaux de la musique américaine. la scène transfigure sa musique, sa voix - on ne s’en remettra pas de si tôt - est tout simplement bouleversante, unique. une bonne partie de son répertoire y est passé : "the heart of saturday night" et "nighthawks at the diner" au piano, accompagné de son bassiste. le dernier album mule variations comme ses classiques : "chocolate", "innocent when you dream" (repris inlassablement par le public pour un moment où l’émotion était physiquement palpable dans le grand rex) et encore "jesus", "get behind the mule", "going out west", "jesus gonna be here" ou "chocolate jesus" en pur gospel waitsien (toute la musique américaine sera visité ce soir du blues au gospel, du folk rock au funk, mais toujours à la sauce tom waits. souvent avec humour, tom waits se moquant gentiment des bluesmen des années 40 et de leur ouahhh patita bouboulou bidou... à la sydney bechet ou jouant avec sa voix pour nous sortir des sons toujours plus étranges, toujours plus fous !) "in the coliseum" et "gun street girl" et encore "tango ’till they’re sore", le magique "rain dogs, eyed ball kid" (où tom waits troquera son chapeau fatigué contre un mirror ball hat, puis montera sur son estrade pour se transformer en pantin de boite à musique éclairant de mille feux la salle du grand rex devant un public totalement conquis, séduit et ébahit !). pour ceux que cela intéresse encore quelques titres dans le désordre : "jockey full of bourbon", "invitation to the blues", "big in japan", "yesterday is here", "i’ll shoot the moon" (magique et émouvant), "black rider" qu’il avait composé pour bob wilson ou le très beau "hold on", tiré de son dernier album. il partira 4 fois, simplement, remerciant souvent le public, avec qui il aime bien parler, blaguer. reviendra 4 fois, heureux et généreux. et surtout toujours avec simplicité. puis pour finir, pour nous achever, pour me donner le coup de grâce. la chanson que j’attendais, n’espérant plus à la fin de ses 2h20 de concert. il reviendra au piano pour nous offrir sa plus belle chanson, une des plus belles jamais écrites : "time". comme quelqu’un l’a crié pendant le concert il ne reste qu’à dire : merci monsieur tom waits.

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publié par le 05/06/00
Derniers commentaires
don julio - le 02/10/07 à 12:34
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Ben mon salaud ! Y’en a qui ont de la chance, à lire ce ptit résumé (bien écrit d’ailleurs) on en a des frissons. Je suis un grand fan de M. Waits depuis quelques années, tant au niveau musical que cinématographique (principalement avec Jarmusch). Pour mon grand malheur je ne l’ai toujours pas vu sur scène. je suis moi même musicien et naturelement influencé par le clochard celeste (entre autre). Si tu es interessé, va donc jeter un coup d’oreille sur unsigned.com/donjulio, j’aimerai bien avoir ton avis sur la chose. Merci pour ce petit voyage musicalo-litteraire et à bientôt !

Simon - le 21/02/11 à 17:23
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Je suis passé par hasard sur cette page...et j’ai lu ce compte rendu histoire de me remémorer cette soirée... Il y a déjà 10 ans. A l’époque, j’avais entendu à la radio qu’il jouerai en France. Je suis passé à tout hasard me renseigner sur le places... on m’a répondu "Il en reste trois au par-terre et un peu plus au balcon" Je me suis dit allez banco ! Et au 8ème rang, j’ai vraiment pas regretté. Quelle claque !!!
Mon seul regret était de ne pas être bilingue et de ne pas comprendre toutes les subtilités de son accent. Depuis, il est repassé au même endroit en 2008. Je n’y étais pas, mais on peut espérer avant 2018...

Mumu - le 21/01/12 à 23:57
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Gros souvenir de ce concert car je peux le dire "j’y étais" ! Voir un concert de Tom Waits et mourir !
Malgré le prix de la place (à l’époque j’étais étudiante), je ne l’aurai loupé pour rien au monde, il se fait si rare en Europe.
Merci d’avoir laissé une trace écrite qui nous permet de nous remémorer ce moment.