C’est déjà, pour commencer, une excellente nouvelle : le 14 octobre sortira le nouvel album de Maud Lübeck, successeur de La Fabrique dont nous vous avions dit beaucoup de bien en ces pages. Quelques indices avaient été semés ici ou là, notamment l’annonce d’un premier single assorti d’un clip réalisé par Robi. On guettait le résultat avec une certaine curiosité ; au-delà du plaisir de voir deux artistes qu’on apprécie travailler ensemble, restait à découvrir si la rencontre produisait une étincelle. Surtout dans la mesure où le point d’accroche entre leurs univers respectifs ne paraissait pas évident au premier abord.
Litanie mécanique
La chanson elle-même – « Toi non plus », qui donnera son titre à l’album – commence par surprendre. Cette tonalité plus dure, plus électronique, on ne s’y attendait pas. Puis l’on se rappelle que Lobotom, album bonus surréaliste paru en édition très limitée, dévoilait une palette beaucoup plus large que La Fabrique ne le laissait entrevoir. « Toi non plus » est, en tout cas, certainement l’une des chansons les plus fortes de Maud Lübeck à ce jour, et l’une des plus immédiates. Elle est entêtante dans ses boucles hypnotiques comme dans sa façon de dire les choses sans les nommer ouvertement. Deux corps s’entremêlent dans une litanie organique, pourtant déclamée d’une voix mécanique : « Mon corps dans tes yeux dans mes larmes/Ma bouche dans ta chair dans mes bras ». Puis la sentence tombe comme un couperet : « Je n’y suis plus/Toi non plus ». On ne sait pas précisément ce qui se joue là mais le désarroi, l’absence de l’autre ou l’absence à soi, sont palpables entre les mots ; la frontière entre l’autre et soi semble elle-même à moitié oubliée. Et pourtant, ce qui pourrait être oppressant n’est que grisant. On y retourne. En boucle obsessionnelle.
Cette incertitude-là, les images aussi nous la donnent à voir. Ce n’est pas sa voix mais son regard que Robi prête ici, comme elle le fait de plus en plus souvent pour d’autres artistes après avoir réalisé ses propres clips (on se rappellera longtemps l’émotion ressentie en découvrant celui qui illustre « Cyclones » de Katel). Une griffe émerge au fil des tentatives et des expériences, faite d’un jeu sur la répétition, sur l’assemblage de fragments capturés, plutôt que sur la mise en scène illustrative. Une tentative de saisir des mouvements, des émotions, et de les travailler comme une matière.
Matière vivante
Dès l’ouverture de « Toi non plus », les lumières mouvantes épousent la rythmique, et la jonction entre les deux univers se fait soudain, tout en douceur. Quelque chose d’hypnotique naît dans la chanson qui contamine l’image, à moins que ce ne soit l’inverse ; tout se parle et se répond. Un collage de gestes et de moments qui ne produisent jamais de l’abstrait mais une matière vivante qui préfère le flou et le tremblé à la perfection stérile. Les images, à leur tour, disent l’absence, la quête, l’hésitation : une ombre dont on ne sait plus si elle est un souvenir ou une personne de chair et d’os ; une étreinte qui est peut-être un corps-à-corps. On reste tout du long dans l’entre-deux – et cette ambiguïté, cette détresse de ce qui n’est plus mais continue à hanter, semblent former la matière même de la chanson.
Le résultat dégage quelque chose d’organique et de décharné à la fois ; répétitif et stylisé, mais toujours charnel et vivant. Au-delà de l’identité forte de la chanson comme de celles des images, le résultat fascine en ce qu’il donne à voir deux univers familiers qui se rejoignent là où on l’attendait le moins, et qui s’y trouvent et s’y complètent. Ces images-là aussi, on y revient. En boucle tout aussi obsessionnelle. Avec un plaisir d’autant plus grand que la voix de Maud Lübeck nous avait manqué depuis La Fabrique. Toi non plus, annoncé comme les « chroniques d’une séparation » qu’on devine ici à demi-mots, nous sera dévoilé dans trois mois. La mise en bouche est sacrément prometteuse.