On espère que Calexico n’en prend pas
ombrage, mais, sur scène ou sur disque, ça fait maintenant
quelques
années que Thomas Belhom et les Tindersticks se fréquentent
assidûment. Et c’est bien naturellement que l’association est
reconduite pour cette tournée 2012. Ce soir : escale
rochelaise, dans les entrailles portuaires et chaleureuses de La
Sirène.
Thomas Belhom solo assure la levée de
rideau, installé au cœur de son attirail percussif (cymbales,
cloches, gongs...) qu’il sollicite sans relâche et maltraite
méticuleusement pour installer les micro-climats de son dernier
album en date Rocéphine. Si la tendance est plus introspective que
jadis, quasi insulaire, Belhom se sent toujours positivement
apatride : la variété des sons convoqués fait encore voyager
vers des coins reculés du globe et la petite histoire, pas drôle,
intime devient universelle. "L’avancée en Moi", "Local
Loco", "Temps Allongé"... les fondations de chaque
titre sont coulées par des guitares bouclées live ou des notes de
clavier, mais là où d’autres commenceraient à monter, pierre par
pierre, un édifice proportionné, Belhom prend bien soin de
conserver le tout en équilibre instable. La poésie de
l’approximation calculée. Le format chanson s’étire et se disloque
sous les effets d’un sample anachronique, d’une saillie jazz ou
d’une
parenthèse concrète.
Par contre, chez les Tindersticks, il
n’y a pas vraiment de place pour la déraison, l’embardée ou
l’emballement. Et c’est bien la seule petite chose qu’on pourra
leur
reprocher. La formation de Nottingham gagne rarement ses matches
par
KO mais se voit assurée de les remporter aux points. Et dans le
rôle
du boxeur magnifique, il y a Stuart Staples, dont la carrure
imposante contraste toujours autant avec la délicatesse de sa voix
chevrotante. Ce soir, cette dernière est majoritairement mise au
service du dernier album "The Something Rain", joué
quasiment en intégralité (mis à part ses deux extrémités). Et si
on n’oublie pas quelques valeurs sûres d’antan ("If You’re
Looking For a Way Out", "If She’s Torn"...), on est
content de voir que cette formation miraculée ne se contente pas
de
gérer les stocks, elle est encore en mouvement, et les
nouvelles choses tentées sur disque passent très bien l’épreuve de
la scène : particulièrement "Show Me Everything",
dont l’implacable montée fait frissonner, ou le rapide "Frozen"
dont les guitares mettent des petits coups de cutter dans
l’espace.
Et dans un registre plus apaisé, du moins musicalement, les
nouveaux
titres, "Medicine" en tête, injectent aussi leur délicieux venin.
Lentement mais sûrement (ça devrait être la devise du groupe...),
on ne peut que succomber : les Tindersticks demeurent bel et
bien, avec Lambchop et un choix d’options différent, les meilleurs
pourvoyeurs d’une soul blanche à l’élégance alanguie et infinie.