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publié par Gillen Azkarra le 17/06/19
Thylacine - "La musique électronique, c'est un média fou qui permet de multiplier les possibilités"

Thylacine, bonjour, merci de nous recevoir entre deux concerts. Peux-tu nous dire ce qui t’as amené à la musique électronique et à ton premier album Transsiberian ?

J’ai commencé la musique assez jeune. J’ai appris le solfège puis je me suis mis au saxophone à 5-6 ans. J’ai participé à des orchestres, j’ai joué au conservatoire et après j’ai intégré des groupes de musique actuelle. Je fais aussi de la basse. Mais j’ai eu une formation que je considère comme classique.

 J’ai découvert la musique électro tardivement. Notamment dans la composition des morceaux. Ce que j’ai trouvé et apprécié dans la musique électronique, c’est s’enfermer plusieurs jours et en sortir avec un morceau, une émotion qui raconte quelque chose. Et sachant que je suis pas chanteur, guitariste ou autre, c’est vraiment intéressant.   C’est un peu la composition qui m’a poussé au voyage. Je me rendais compte, en composition, parfois je bossais une semaine, et rien de très concret en sortait. En voyage, par contre, en une ou deux journées, ça devenait évident, efficace, créatif, surtout après un événement intense. Je me suis rendu compte que pour développer ma créativité, j’avais besoin de bouger, vivre des choses plus fortes pour avoir des choses à raconter dans le morceau. Si je vis rien, j’ai rien à raconter, c’est un peu fade. Enfin, ça, c’est mon fonctionnement.

Du coup, je me suis dit, c’est parti, allons-y, partons en voyage !

Du coup tu t’es dit, je vais aller faire ça dans le Transsibérien ?

A l’époque, je tournais en train entre tous les concerts. C’était l’occasion d’y faire de la musique. A la fois il y a la ville juste à côté avec un paysage qui défile, un rythme sans cesse, qui ne s’arrête pas. Alors je me suis dit : allons nous enfermer dans le train le plus long du monde et voyons voir ce qui s’y passe. Comme une sorte de test. Me mettre dans des conditions et voir ce qui en ressort. Au départ, je ne sais rien, je ne maîtrise absolument pas, il y a de l’excitation. Que vais-je ramener de l’expérience ? Deux morceaux, trois morceaux, un album ? Comment ça va se passer au niveau des rencontres ?

Et bien finalement beaucoup de rencontres ! Et beaucoup d’arrêts impromptus dans le parcours qui ont rythmé les chansons par la suite. Par exemple, j’ai rencontré un chaman, on a passé deux jours ensemble. Au bord du lac Baïkal, il a chanté, sa voix racontait une histoire. On y a aussi mangé du bouc, mais c’était pas très bon (rires). J’ai pu enregistré pas mal de voix. Et je me suis dit qu’il y avait beaucoup de choses à faire en composant de cette manière-là.

Une expérience réussie donc, en prélude à Roads, vol.1 ?

C’était le premier essai. Sur le papier, ça cochait toutes les cases puisque je suis revenu avec Transsiberian. Essai validé ! J’avais trouvé les éléments pour être créatif. Et le but c’était de pouvoir continuer comme ça. Là pour Roads, j’avais un vrai studio, je n’avais plus la contrainte de ne travailler qu’au casque et j’avais la possibilité de pouvoir enregistrer des instruments, de la guitare, mon saxo par exemple, du son, du chant. Elle était là, la limite de Transsiberian

Avant de nous parler de Roads, peux-tu nous parler du projet War Dance et de son clip, qui est sorti juste avant ton dernier album ?

Un ami réalisateur, Cyprien Clément - Delmas, revenait d’Ukraine et il a vu qu’il y avait des militaires dans le Donbass, combattant la Russie. Et quand ils s’emmerdent, ils font des chorégraphies de chars. Du coup, je lui ai pondu un chanson en mois pour le clip. Et on a décidé de s’y lancer dans une optique d’esthétisation de la guerre et son parallèle plus plus violent. D’y poser un réel plus dur finalement.

“War Dance”, c’est un mix, à la fois documentaire et aussi avec le côté « clipesque ». On a mis du temps à trouver le financement. On a subi un refus du tournage une fois, mais on n’a pas lâché l’affaire. Le résultat est un clip à la fois réel, esthétisant et parfois dur, notamment les scènes à l’hôpital. J’aime bien ce genre de projets. Ça me fait vibrer, alors avec Cyprien, on s’est démerdé pour le faire et pour le présenter au public. 

Venons-en à Roads, vol. 1. Quelle est son histoire ?

J’ai d’abord acheté une caravane que j’ai faite venir des Etats-Unis. Quatre mois à tout transformer, à refaire de l’intérieur : plomberie, électricité, aménagement d’un lieu de vie. Une sorte de petite maison avec un vrai studio. J’ai travaillé avec un acousticien. On a fait un énorme boulot pour avoir une acoustique parfaite à l’intérieur. J’ai couvert le toit de panneaux solaires avec un pote pour avoir un système électrique autonome qui permet de faire de la musique au milieu de nulle part. Ensuite, et bien, j’ai dû repasser mon code, passer un permis remorque, mettre la caravane dans un cargo jusqu’à Buenos Aires. Et puis voilà, c’était parti, trois mois là-bas, en Amérique du Sud.

Tu avais un programme ?

Ha non, liberté totale de mouvement de temporalité ! Vivre selon l’inspiration, rester dans un endroit en fonction des rencontres, changer d’itinéraire. D’ailleurs, je suis resté plus longtemps que prévu ! C’était le but, se perdre un petit peu, prendre le temps de créer. 

Tu serais une sorte de Jack Kerouac musical, sur la route pour chercher l’inspiration.

(Rires) Alors là ! En tout cas, rien n’est prévu à la base. Je m’étais juste dit, par rapport à l’expérience précédente, que je ne rentrerais pas avant d’avoir matière à sortir un album. Le but c’était la surprise, partir à l’aventure, se mettre dans des conditions particulières. Je suis fasciné par l’impact géographique. Par exemple, si je suis à Tokyo en centre-ville ou sur une île déserte, l’environnement aura un impact différent. Et j’adore ça. Explorer tout ça. L’environnement et les rencontres influencent beaucoup ma musique.

 Comment structures-tu tes morceaux ?

Il y a plein de possibilité. Sur le chaman, par exemple, c’est la voix. Je commence avec l’enregistrement, la voix, puis je construis autour, je développe. Et j’ajoute autour de l’élément primaire. J’essaie de ne pas avoir de code, de préconçus. Par contre, j’ai besoin de travailler, je ne suis pas comme un chanteur qui trouve une mélodie en se baladant dans la rue. J’ai besoin de tester des choses et quand il y a un truc qui se passe, et bien, c’est parti !

Et pour la création d’un live, comment procèdes-tu ?

Justement, je ne joue pas l’album tel qu’il est. Je veux vraiment retravailler la structure, retransformer tous les morceaux pour les faire vraiment vivre et leur donner une deuxième vie très différente en live. Ce n’est pas le même but. Quand je fais de la musique pour un album, c’est pour l’écouter au casque ou chez soi. Sur scène, c’est différent, il faut pouvoir trouver le nouvel angle pour retravailler un morceau et je me laisse beaucoup de marges d’improvisation. En fait, je fais un peu comme un chef d’orchestre. Je lance tous les trucs, je crée toute la structure du morceau moi-même. Le but c’est que ça soit vivant et rempli d’énergie !

Quelle est ta perception de la musique électronique ?

Je la vois comme un média. Avant, j’y connaissais pas grand chose. C’est une façon de faire qui est autonome, qui est mobile. Aujourd’hui, c’est la composition. Avec la musique électronique, on peut pratiquement tout faire, de la musique de film, des trucs plus instrumentaux, utiliser des instruments, comme sur Roads par exemple. Musique électronique ou pas, je m’en fiche un peu des étiquettes, mais tout passe par mon ordinateur car c’est là que j’enregistre tous les sons, c’est là où je construis vraiment un projet. C’est un média fou qui permet de multiplier les possibilités. 

Parles-nous rapidement de tes influences musicales ?

Vaste sujet ! Et bien, un peu de tout ! Des choses qui me sont restées du jazz, plus sur le live, sur la façon de jouer différemment tous les soirs, de jouer quelque chose de vivant, l’improvisation.

Les plus grosses claques, c’était aux beaux-arts : Steve Reich, Philip Glass, qui ont un rapport à la musique électronique par la répétition. La dernière grosse claque, c’est Nils Frahm, des musiciens de ce genre qui mixent entre musique classique et électronique. Des compositions modernes en somme.

Mais je passe bizarrement plus de temps à faire de la musique qu’à en écouter. Par rapport à d’autres musiciens qui sont des puits de science en musique, je reste concentré sur la création.

As-tu des idées pour la suite ? Roads, vol.2 ?

Forcément !! Aller dans un endroit très différent c’est sûr. Mais comme je change d’idées assez souvent, j’attends d’être sûr pour en parler !

Et bien merci Thylacine pour ce bref interstice dans l’espace-temps !

Merci à vous aussi ! (Sourires)

(crédit photo : Fabien Tijou)

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publié par le 17/06/19