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publié par Mickaël Adamadorassy, Pilal le 03/09/19
The Cure - Rock en Seine 2019 - 23/08/2019

21h. Sur le domaine de Saint-Cloud, le soleil commence tomber sur une impressionnante foule de T-shirts estampillés The Cure et des lumières blanches scintillent sur la grande scène. Comme une horloge, pile à l’heure, le tintement familier d’un carillon annonce une ouverture assez convenue mais qui fait toujours son effet : "Plainsong", premier titre de l’album Disintegration (1989).

Jason Cooper passe discrètement derrière la ligne des amplis pour s’installer derrière sa batterie, suivi quelques secondes plus tard par le guitariste Reeves Gabrels, le bassiste Simon Gallup et le claviériste Roger O’Donnell. Robert Smith fait une lente entrée sur scène, de sa démarche un peu pataude s’avance à droite de la scène, fait quelques saluts de la tête. Il traverse lentement, jusqu’à l’autre bout, sourit, fait mine d’attraper quelque chose au vol, pendant que résonnent batterie et clavier.

Le chanteur se met en retrait, dans un coin. La star de cette première partie instrumentale de "Plainsong", c’est le bassiste Simon Gallup et son singulier riff de basse.

C’est la première participation du groupe à Rock en Seine, la seule date française de leur tournée estivale et leur premier concert parisien depuis le concert du 15 novembre 2016 à Paris. Et dès "Pictures of You" (Disintegration, 1989), on comprend que la prestation sera d’une autre qualité. Passé par Paris après plusieurs mois de tournée, le groupe avait souhaité offrir un set léger et festif à la capitale, juste deux jours après la triste date anniversaire des attaques du 13 novembre 2015. Mais la voix de Robert Smith, éreintée après plusieurs dizaines de concerts, n’était plus qu’un filet et le concert avait eu du mal à prendre, laissant un bon nombre de fans sur leur faim.

Ce soir c’est différent. La voix de Robert Smith, assurée et solide, est au rendez-vous, claire comme elle ne l’a pas été depuis longtemps. Si "High" (Wish, 1992) échoue à mettre le petit plus d’énergie qu’on aurait pu souhaiter après une introduction tendance « doom and gloom », comme dit Robert, "A Night Like This" (The Head on the Door, 1985) permet de mettre le concert sur les rails. Dès lors, le groupe déroule un set efficace, emportant les fans sans perdre pour autant des auditeurs plus occasionnels. Pas beaucoup de raretés, si ce n’est les excellents "Just One Kiss" (1982) et "Burn" (B.O. de The Crow, 1993), deux titres marqués par des parties de batteries soutenues, qui seront l’occasion pour Cooper de briller, comme sur "Shake Dog Shake" (The Top, 1984) et sur "Push" (THOTD, 1985), sur laquelle un petit lâcher de baguette malheureux aurait pu tourner plus mal.

C’est aussi une des choses qui caractérisent ce concert, et plus généralement les concerts de cette tournée : Smith ménage un espace à chacun des membres. Souvent considéré à tort comme le groupe d’un seul homme, The Cure a évolué en fonction de son personnel et Smith s’adapte à ces changements. Toujours joué par le chanteur depuis sa création en 1985, c’est désormais au guitariste Reeves Gabrels, présent dans le groupe depuis 2012, qu’il revient d’improviser le solo de "A Night Like This".

Bien qu’on sente qu’il adapte son style à la musique de The Cure, l’ex guitariste de Bowie, dont le jeu lorgne plus vers le metal en collants des années 80 que vers le post punk du Londres gris de Thatcher, trouve la liberté de s’exprimer sur des titres tels que "From the Edge of the Deep Green Sea" (Wish, 1992), ou "Never Enough" (1990), véritable cour de récréation pour guitariste, déjà à l’époque de Porl Thompson (qui a quitté le groupe en 2009).

Au clavier, Roger O’Donnell n’a pas à chercher son moment. Il est sur tous les fronts, notamment sur les titres de Disintegration, qui s’octroient une place de choix, comme "Last Dance", sur laquelle Robert Smith entame une danse maladroite avec lui-même (mais on apprécie l’effort).

Une fois encore, il s’efface pour mettre à l’honneur Gallup sur le dernier couplet de la chanson. L’occasion de constater que, si on savait que le bassiste avait trouvé le 11 sur le gain de son Ampeg SVT il y a longtemps, il a depuis trouvé le 12. Sur le final de A Forest (Seventeen Seconds, 1980), il pousse même jusqu’à 13 et s’impose clairement à ceux qui l’ignoreraient comme l’autre figure charismatique du groupe.

Au fil d’un set qui se clôturera avec une intense "Disintegration", les sourires et les petits gestes de connivence se répètent entre les membres d’un groupe qui, après tant d’années, semble aborder la scène avec un plaisir intact.

Une très courte pause annonce le rappel. Avec The Cure il est inutile de s’attendre à des surprises façon showbiz. Pas de reprise, pas d’invité, pas de duo. The Cure s’en tient à un concept simple : un groupe de rock, cinq types sur une scène qui jouent leur musique, simplement et sincèrement. Humblement, même, peut être.

Au fil des sept titres qui concluront le concert, tous marqués du sceau flashy de la pop, Robert Smith fait quelques pas de danse maladroits plutôt que d’inviter le public à taper dans ses mains, s’avance mal assuré à l’avant de la scène sans sa guitare, et ironise sur sa situation (« this is a complete nightmare for me ») plutôt que de prendre une pose de héros mégalomane puis ironise sur son incapacité à s’exprimer dans la langue des pays ou le groupe se produit (notamment le français) plutôt que de haranguer la foule à coup de « Paris are you still there ??? » ou de « heyyyy oooh ».

Le concert se clôturera comme toutes les dates de cette tournée par "Boys Don’t Cry" (1979). « This is for Ricky », annonce Smith. Hommage discret à Paul “Ricky“ Welton, drum tech de longue date de Jason Cooper et ayant travaillé avec de nombreux groupes, dont le décès a été annoncé le jour même.

41 ans après leurs première apparition sous le noms de The Cure, le groupe livre une prestation étonnamment fraîche. Loin des clichés du groupe dinosaure, The Cure et Robert Smith en particulier semblent heureux de revisiter un large éventail de leur discographie. Comme s’il avait réalisé soudainement la valeur de son œuvre, l’interprétation de Smith se fait depuis quelques années de plus en plus intense et émouvante. Absorbé et emporté par ses textes, bouleversé même, Robert Smith paraît parfois devoir s’extirper de certaines chansons, comme ce soir à la fin de "Disintegration" où le chanteur, comme arraché à un rêve, peine à relever les yeux vers le public. Le public, lui, ne lui en tient pas rigueur. De part et d’autre de la scène, on n’a plus la flemme adolescente, mais on se connaît par cœur et on s’aime de l’amour profond du (très) vieux couple. Robert Smith joue ses chansons depuis toujours, et son public l’a écouté toute sa vie. On s’est adoré, parfois on s’est disputé, le lien s’est distendu, mais aujourd’hui, après un concert comme ça, on se dit que ça devrait durer toujours.

Texte de Pilal et photos de Mickaël

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