A quoi bon

Ou la question existentielle concernant l’intérêt et le rôle de la chronique de disque... A quoi bon parler en 2008 d’un album sorti en 2005, dont seule une obscure réédition datant de fin 2007 est peut-être encore disponible sur le label nippon Nature Bliss ? A quoi bon parler d’un disque ne constituant plus l’actualité immédiate d’un artiste qui vient tout juste de sortir un album de musiques de films Nuage il y a quelques jours... A quoi bon évoquer une œuvre que certains ont déjà et que les autres ne pourront pas se procurer si ce n’est par des moyens détournés...

Sans doute la simple envie de faire partager des moments forts même si ils sont lointains et même si finalement ils n’ont pas d’autres intérêts que de dire du bien d’un artiste et d’une de ses œuvres, comme ça , sans en attendre rien de particulier...

D’abord la rencontre

Comme cela arrive parfois, c’est d’abord sur scène que j’ai découvert les morceaux de Down To The Bone. C’était un jour du printemps 2006, une période riche en émotions qui allait être bercée par les doux morceaux que Sylvain Chauveau proposait, accompagné d’un groupe de musique de chambre : l’Ensemble Nocturne. La particularité de cet album réside dans le fait qu’il s’agit d’un album tribute à Depeche Mode donc un hommage à l’un des groupes les plus emblématiques de la new wave electro-pop des années 80 et 90. Et cela ne peut que surprendre, déjà par la démarche, quand on connaît un peu l’œuvre minimaliste et très expérimentale de Chauveau en solo ou au sein de Arca. Ensuite il semble difficile de s’imaginer les chansons de ce groupe vu de nombreuses fois dans des concerts plutôt "grand spectacle" reprises sur disque et sur scène dans le cadre intimiste d’un orchestre de chambre (violon alto, violoncelle, clarinette, contrebasse et Sylvain Chauveau au piano). On peut s’attendre au pire ou plus objectivement à quelque chose d’assez irréel et de peut-être peu accessible pour celui qui aime les morceaux originaux du groupe britannique.

He knows where he’s taking me

Le résultat est plus que surprenant, surtout quand on le découvre en live. Mais l’effet de surprise et d’envoûtement marche tout autant à la simple écoute de cet Acoustic tribute to Depeche Mode. Sylvain Chauveau propose là des versions totalement épurées des morceaux de Depeche Mode parmi les plus connus pour certains comme “Policy Of Truth”, “Never Let Me Down Again”, “Enjoy The Silence” ... et pour d’autres beaucoup plus confidentiels comme “Stripped” ou “In Your Room”. Les mélodies sont très joliment interprétées et l’on prend conscience par le travail rigoureux que Chauveau a apporté à l’ensemble, que Martin Gore est (a été ?) bel et bien un compositeur vraiment talentueux. L’approche de ces morceaux, qu’on a connus peut être un peu trop surchargés, est ici facilitée et même magnifiée par des réorchestrations d’une justesse et d’un goût délicat. C’est un peu comme si Chauveau avait, tel une archéologue de la musique, tentait de reconstituer l’âme première des morceaux de Depeche Mode en ne conservant que les pièces essentielles et en y ajoutant ça et là juste un zeste de musique plus classique ou de nappes électro tellement discrètes que c’est suite à des écoutes multiples qu’on y prête attention. L’autre grande et belle surprise est de découvrir que Sylvain Chauveau est aussi un chanteur ! Cela n’était guère une évidence sur les précédentes réalisations de ce musicien. Il interprète admirablement les morceaux de Depeche Mode et n’a rien à envier à un Dave gahan. L’album s’achève avec une version poignante de “Enjoy The Silence”, sans hésitation le plus beau morceau de Depeche Mode. Son interprétation si douce avec ces quelques pauses silencieuses qui s’intercalent, cette intensité fébrile qui croit au fil de l’écoute, cette ambiance bouleversante constitue un merveilleux hommage pour ce groupe que beaucoup ont aimé, que certains découvrent par ce biais et qui a magnifiquement inspiré Sylvain Chauveau pour un album qu’il faudrait avoir tous pu un jour écouter.