accueil > articles > albums > SuperBravo

publié par Mélanie Fazi le 03/02/20
SuperBravo
- Sentinelle
Sentinelle

Si nous avions beaucoup aimé L’Angle vivant, le premier album du supertrio formé par Armelle Pioline (Holden), Michel Peteau (Cheval Fou) et Julie Gasnier (LalaFactory), c’est sur scène que nous avions réellement découvert le groupe et la richesse de sa musique. On y revenait chaque fois pour s’imprégner de la joie, de l’énergie contagieuse qu’ils dégageaient tous les trois avec leurs tenues aux motifs géométriques, leurs chorégraphies, leur pop entraînante et mélodieuse aux couleurs acidulées. Une fois rentré chez soi, on réécoutait L’Angle vivant en s’étonnant de le recevoir différemment. Hors du terrain de jeu de la scène, dépouillées de cette énergie intensément vivante, les chansons s’y dévoilaient sous un jour plus mélancolique. Les deux facettes semblent coexister constamment chez SuperBravo, et c’est parfois le contexte ou l’humeur du jour qui va en extraire plutôt l’une ou l’autre couleur. Ce Sentinelle de toute beauté ne fait que le confirmer.

L’angoisse de nos lendemains

L’Angle vivant évoquait un patchwork musical qui explorait, d’un morceau à l’autre, des voies parfois très différentes. Sentinelle, à l’inverse, se construit autour d’une ligne directrice plus nette, d’une cohérence interne encore plus grande. Le contexte de l’écriture de l’album y a sans doute joué un rôle : il s’est construit en étroite collaboration avec Katel, qui le réalise et qui a découvert et travaillé les morceaux au fur et à mesure de leur écriture, dans un échange constant avec le groupe.

On retrouve sur Sentinelle le même trouble qui nous saisissait parfois à l’écoute de L’Angle vivant, cette impression de ne pas toujours distinguer où commencent la joie et la mélancolie, les deux émotions paraissant souvent coexister au sein même des chansons. Il y a une volonté dans ces morceaux de danser même au bord du gouffre, affirmée dès le choix d’ouvrir sur le single « Il n’y a plus foule » qui donne clairement le ton : il règne une angoisse diffuse dans ce morceau, celle de l’avenir terrifiant qui semble se dessiner, de notre impuissance face au désastre, du rôle que nous y avons tenu, mais il y a une énergie aussi, un refus de céder à la tristesse ou à la peur. Le morceau de clôture, « Rickenbacker », lui répond en écho. Lui aussi puise ses racines dans l’actualité, dans le souvenir encore récent de la morne période de l’après-Bataclan, cette année « abandonnée par la lumière » où l’on se demandait, sonnés, comment continuer à avancer. Et puis, soudain, le temps d’un morceau de musique, la vie revient à notre insu, et la joie avec elle, ici et maintenant.

Caresser les émotions

Danser face à l’effroi pour se sentir exister dans l’instant : voilà qui capture très justement quelque chose de l’air du temps, qui résonnera sans doute chez les auditeurs. Nous écrivons ces lignes à l’heure où les flammes dévorent l’Australie, et « Il n’y a plus foule » résonne particulièrement fort, dans ce qu’il dit de notre peur incrédule. La voix est douce mais les mots sont terribles, et la rythmique hypnotique soutenue de riffs rageurs parle d’une volonté de vie et de mouvement, maintenant plus que jamais. Alors on danse, on s’étourdit sur le concentré d’euphorie véritable qu’est « Nos heures », cette merveille de pop grisante ; on se laisse envahir par le semi-flou de l’ivresse qui baigne « Alcool », instant flottant, trouble et suspendu. On se laisse happer par la perfection mélodique de morceaux comme « Chanteur » ou « Sentinelle » qui vous restent en tête dès la première écoute. On s’étonne de la similitude parfois troublante des timbres d’Armelle Pioline et de Julie Gasnier, qui se partagent l’écriture et le chant, et dont les voix semblent parfois n’en former qu’une, caressant la surface des émotions avec une même douceur plutôt que de les empoigner. Il n’y a aucune violence mais une tension, une énergie jusque dans la tristesse qui n’est jamais plombante, la musique venant parfois désamorcer celle que pourraient transmettre les mots, tel le riff nerveux qui porte « Rickenbacker » jusqu’à son crescendo libérateur.

Joie renouvelée

La pop magnétique et poétique de SuperBravo déploie une palette de couleurs douces et vives à la fois, de l’ambiance rêveuse de « Mon événement » à la tension rentrée, presque rageuse, qui habite « Ici bas », l’un des morceaux les plus forts de l’album. Plus qu’un simple prolongement de L’Angle vivant, Sentinelle est l’affirmation d’une voix commune plus affinée, plus harmonieuse que jamais, qu’il nous tarde de retrouver sur scène pour voir le groupe donner chair à ces nouveaux morceaux et partager ces instants avec lui, dans la joie, une fois encore, la joie sans cesse renouvelée.

Partager :

publié par le 03/02/20