A la faveur d’un passage irrémédiable (inespéré diront certains) au XXIe siècle par le truchement d’un abonnement à une plateforme de musique en ligne, on mesure désormais mieux le décalage musical qui s’est abattu sur nous ces dernières années tandis qu’on passait incognito le cap de la quarantaine. Et je ne parle même pas de ces musiques ne nécessitant plus de présence humaine écoutées par notre progéniture (la cyber-chanteuse Hatsune Miku). Oui, le pire dans cette histoire est que même nos groupes fétiches ne nous ont pas attendus dans leur hyperactivité (Sun Kil Moon, 7 albums de retard !) et leur éloignement (Kristin Hersh vue pour la dernière fois en 2007, 3 albums de retard). On ne vous cache pas qu’outre le plaisir de découvrir ce qu’on a manqué depuis 10 ans qu’on dort clandestinement dans les cales du cargo, on a bien entendu aussi eu notre bienheureuse phase régression-adolescente à réécouter les improbables groupes de notre jeunesse (aaaah, les Ned’s Atomic Dustbin …). Bref, pendant quelques semaines on ne savait clairement plus où donner de l’oreille. Et puis c’est comme tout, ça se tasse et on reprend nos bonnes habitudes de cargoton en se demandant ce qu’il peut bien y avoir d’intéressant en ce moment. Ça nous pendait donc au nez, un nom de groupe original qui nous saute aux yeux, un single accrocheur qui retient nos oreilles et on se retrouve à tourner en boucle sur notre artiste du moment : Soccer Mommy.
clin
Avouez que l’américaine Sophia Regina Allison a sacrément bien choisi son nom de scène, en clin d’œil évident à "Ma petite footballeuse de Sherbrooke" de notre Mickey 3D national, pas moins. Soccer Mommy, ça claque, indie et girly à la fois (à l’image du clip du morceau "Cool"), innocence et second degré, impeccable. Côté son, les références sont là aussi sans failles : fille musicale de Liz Phair et p’tite sœur de Courtney Barnett, on ne pouvait que se retrouver dans ses chansons un peu rêches d’adolescente américaine. Et parlant d’hyper activité, à seulement 23 ans Sophia en est déjà à son 4ème album en 5 ans. Si tous valent le détour, côté références justement notre préférence va vers son 3ème album, Clean, sorti en 2018 et qui contient, entre autres, le tube en puissance "Your dog".
“Your dog” c’est un peu Sleater-Kinney rencontre nonchalamment Liz Phair dans un hamac en pleine torpeur estivale. Ça fait beaucoup de bien par où ça passe. Plus largement, sur l’album Clean Sophia quitte le fait-maison (ainsi que ce petit synthé légèrement irritant) et, chose extrêmement surprenante, parvient à conserver une ferveur adolescente et une fraicheur musicale sans failles. Que ce soit dans les morceaux calmes (le délicieux "Flaw") ou les morceaux enlevés (le dépopant "Last Girl"), Soccer Mommy est là et bien là, elle nous tient du début à la fin pour notre plus grand plaisir.
couleur
On ne peut bien sur évoquer Soccer Mommy sans se pencher sur son actualité du moment, l’album Color theory sorti cette année. Un disque plus long en bouche que son prédécesseur, globalement moins évident mais comme souvent dans ces cas-là, la persévérance n’en est que meilleure. Color theory s’autorise cette fois pleinement la mélancolie qu’on sentait poindre de-ci de-là auparavant, à l’image des deux singles "Circle the drain" et "Yellow is the color of her eyes". Et ça lui va comme un gant.
Une mélancolie qui imprègne fortement l’album entier et nous touche plus particulièrement sur les morceaux aux orchestrations minimalistes ("Royal screw up", "Stain"). Et puis il y a ce morceau qu’on ne s’explique pas, qui nous tombe dessus à l’improviste et nous boulerverse. "Up the walls", le mariage d’une guitare lumineuse et d’un chant éthéré-triste, le meilleur de deux mondes, magnifique tout simplement.
Soccer Mommy, indie(mélan)colie.