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publié par Mélanie Fazi le 01/02/16
Stranded Horse
- Luxe
Luxe

En musique comme ailleurs, le hasard des chemins fait parfois qu’une rencontre se produise tardivement, au milieu d’un parcours plutôt qu’à ses débuts. Parce qu’un album arrive soudain sur votre route au moment idéal, celui où vous êtes prêt à le recevoir, celui-là plutôt que les autres. On prendra même, pour peu qu’on se l’accorde, un plaisir singulier à le goûter hors de tout contexte, sans point de comparaison avec ce qui a précédé, sinon le souvenir lointain d’un concert solo à l’époque où Stranded Horse n’avait pas encore abandonné le « Thee » initial de son nom. On se rappelait la silhouette de Yann Tambour seul avec sa kora, une musique fragile et délicate. Mais de ses albums, nous ne savions encore rien jusqu’à ce Luxe. L’émerveillement est d’autant plus grand.

L’âme du voyage

Ce qu’on découvre ici, c’est l’âme d’un voyageur véritable, celui qui sait s’ouvrir au monde et aux gens, qui n’est pas en quête d’exotisme frelaté mais de la vérité d’une culture et d’une musique. Cet album est né un peu d’ici, beaucoup d’ailleurs, quelque part entre Dakar, où eurent lieu les premières sessions, et puis Nantes et Paris. Comme un pont de corde tendu entre les langues, les pays et les instruments, et où les plus belles rencontres se nouent quelque part à mi-chemin. Les invités sont nombreux sur cet album. Ici, le joueur de kora sénégalais Boubacar Cissokho ; là, les cordes du trio Vacarme (Carla Pallone, Christelle Lassort et Gaspar Claus), ou le balafon de Bakoutoubo Dambakhate. Plus loin, Sarah Murcia ou Amaury Ranger (François and the Atlas Mountain). Et sur deux duos qui ont l’évidence de la folk la plus gracieuse, la voix inimitable d’Eloïse Decazes, présente ici dans son versant le plus lumineux plutôt que dans l’étrangeté qu’on lui connaît parfois chez Arlt.

Ici, chaque morceau est un enchantement différent, une fenêtre ouverte sur un paysage nouveau. Une partie de la magie qui opère sur Luxe tient à la cohérence avec laquelle se brassent les influences et les voix. Les instruments deviennent des langues et les langues des instruments : on parle la guitare et la kora, on joue de l’anglais ou du français ; la voix se fait plus gutturale pour le premier, plus blanche pour le second (une étrangeté en soi car, chez d’autres artistes, c’est souvent l’inverse). Les combinaisons sont chaque fois renouvelées : une langue, un cadre, un instrument et une tonalité. L’alternance constante entre les styles crée un dynamisme, un mouvement, qui maintiennent l’auditeur captif tout du long : on reste suspendu à ce qui se produit, à ce qui s’apprête à suivre.

Fugues et odes

« Monde » et « Refondre les hémisphères » épousent un format folk plus classique à nos oreilles, comme une douce escale avant de repartir ailleurs ; « A Faint Light » est une fugue insaisissable qui invite à la rêverie et paraît puiser dans quelque chose d’ancien. « Odes to Scabies » confronte l’immédiateté d’un refrain accrocheur à l’étrangeté d’un texte qui se présente, comme l’indique très littéralement son titre, comme une « ode à la gale ». Et lorsqu’on puise dans le répertoire de l’Américain Jackson C. Frank pour reprendre « My Name is Carnival » (chanson qui a beaucoup voyagé, puisqu’on la croisait aussi chez la Coréenne Youn Sun Nah), c’est pour l’habiller de notes de balafon, sur une cadence enjouée qui nous parle de fêtes lointaines.

Les textes eux-mêmes sèment en nous des images, des échos superbes qui continuent à résonner : « L’amour ne détient pas le sel qui coule en moi » (« Dakar ») ; « Mais moi, je m’ouvre au monde, c’est lui qui se referme » (« Monde », en ouverture). De tous ces métissages et ces rencontres naissent des chansons qui ont la grâce épurée des instants parfaits. Et un album d’une grande douceur pour attendre que s’efface la grisaille de janvier.

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publié par le 01/02/16