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publié par tairanteuh le 01/05/00
Smog - Interview avec bill callahan

les interviews avec bill callahan, l’homme rétif de smog, ont pour habitude de virer rapidement en de véritables labeurs, tant pour lui que pour le journaliste plein de bonne volonté. l’homme n’est pas affable, il marmonne, s’interrompt dans de longs silences pesants pour chercher consciencieusement ses mots. pendant tout l’entretien, il fixe ses baskets, rallume mécaniquement la même roulée suspendue aux lèvres, et fini par vider sa boîte d’allumettes. un sourire amer, un petit rictus d’autodérision lorsqu’il emploie un mot qui lui semble trop abstrait, éclaire de temps en temps un visage éteint et bizarrement vieilli. cherchant à esquiver les clichés qui lui collent à la peau, il parvient surtout à laisser posée une énigme : comment un homme si ordinaire et avare de ses émotions parvient-il à exprimer tant de choses au travers sa musique ?

l’album knock, knock est sorti il y a à peine un an : est-ce qu’on retrouve des morceaux sur le nouvel album écrits à la même époque ?

il n’y a rien de spécial que j’ai écrit avant. a part "nineteen" qui est assez vieux : je l’ai écrit il y a environ quatre ans. le reste a bien été écrit après knock, knock.

ce qui me fait dire ça, c’est que le son des deux albums est assez proche. tu as beaucoup travaillé dessus ?

il y a bien des similitudes, des façons de travailler que j’ai utilisées sur l’album précédent et qu’on retrouve ici. c’est tout.

lorsque tu rentres en studio, tu as déjà tous les morceaux en tête ?

oui, à 90%. la plupart du temps, je suis à peu près sûr de ce à quoi doit ressembler le son. il y a toujours quelques morceaux, comme sur knock, knock, "i could drive forever", pour lesquels je savais ce que je voulais mais je ne savais pas le décrire. ca été la même chose avec le dernier morceau de songs of sevotion, "permanent smile". pour arriver au résultat que j’avais en tête, je ne savais pas quelles notes jouer, quels instruments choisir. mais de manière générale, je sais très bien ce qu’il en sera avant d’entrer en studio.

au moment où tu composes les morceaux, tu penses déjà aux gens avec qui tu vas jouer ?

non, je compose dans un premier temps. ensuite, je décide qui va jouer quoi.

donc les musiciens qui t’accompagnent n’influencent pas par leur style la manière dont tu entends que les morceaux soient joués ?

non, je connais le genre des gens avec qui je vais jouer.

comment tu as choisi de jouer avec des membres de tortoise ? tu les connaissais ?

non, je ne les connaissais pas et je ne connaissais même pas vraiment leur musique. je les ai vu épauler en concert tom zé : j’ai beaucoup aimé. j’ai alors pensé que john [mcentire] et jeff [parker] conviendraient pour l’album, qu’ils seraient les gens qu’il me fallait pour que les morceaux ressemblent à ce que j’avais décidé.

il y a un grand absent sur cet album : jim o’rourke. pourquoi ?

pourquoi ?! j’ai fait deux albums avec jim. j’en ai fait pas mal sans lui avant. et c’est juste que j’aime changer de personnes avec qui je travaille, même si j’aime les disques que j’ai faits avec jim. mais j’aime bien l’idée de garder des aspects vierges, inconnus dans ma musique, ça me permet de mettre plus en question ma musique. knock, knock et red apple falls, les deux disques que jim a produits, c’est pas qu’ils sonnent de la même façon, mais c’est pas exactement ce que j’attendais. alors j’ai voulu changer, avoir quelque chose de nouveau.

alors tu as produit toi-même dongs of sevotion. tu n’en étais pas à ton coup d’essai ?

non. j’ai toujours aimé contrôler ce que je fais. jim offre pas mal de solutions, il contre-balançe par ses idées tes doutes, mais tu finis par perdre le contrôle de ce que tu fais.

pour peu que l’on connaisse ce que tu as fait avant, la première écoute de dongs of sevotion donne cette impression d’être totalement imprévisible. l’album était censé exprimer l’hétérogénéité ?

j’avais plein d’idées différentes. quand je fais un disque, j’essaie de faire quelque chose que j’aurais voulu entendre ailleurs, quelque chose qui n’a pas encore été fait. j’essaie d’imaginer quelque chose de neuf.

aucune influence musicale ?

l’essence des morceaux vient de moi, mais je peux très bien me faire influencer par des musiques que j’écoute. dans ce cas, ça n’est jamais de l’imitation. s’il y a du led zeppelin dans mes morceaux, ça reste du smog, mais je me serai servi ailleurs.

le fait que tu fasses imprimer les paroles de tes chansons sur les livrets, et donc le fait de savoir que des gens vont les lire, peut-être même les analyser, ne te pose pas de problème ?

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il y a quelque chose qui me dérange dans l’idée de mettre les paroles sur un disque. moi-même je tombe dans le piège : j’achète un disque et la première chose que je fais avant même d’écouter la musique, c’est lire les paroles. mais je ne pense que ça soit une très bonne habitude : il faut laisser la musique te nourrir d’une manière abstraite, c’est pas une question de textes. on ne lit pas un disque, on l’écoute. j’ai commencé à faire figurer mes paroles en grande partie quand j’ai commencé à être écouté en europe, à cause de la barrière linguistique.

tu as envie qu’on comprenne ce que tu as à dire ?

oui.

tes paroles sont liées à ta vie privée ou tu recours facilement à la fiction ?

je ne raconte pas du tout ma vie. je pense que je garde ma vie privée, privée. c’est plus de la fiction, pas de l’autobiographie. les chansons sont basées sur des expériences que j’ai vécues. oui alors, dans ce sens, elles sont personnelles.

cette expérience schizo, où ta voix se détache de ton corps, dont tu parles dans "distance", tu l’as vécu ?

oui, pas nécessairement dans la rue comme dans le morceau. c’est juste cette impression d’avoir une voix intérieure, comme si tu pouvais faire un pas en arrière et l’écouter de l’extérieur. mais je pense que ça peut arriver à n’importe qui.

tes morceaux sont souvent urbains ; tu parles souvent de rues. c’est un cadre dans lequel tu te sens plus à l’aise ?

c’est là que les choses arrivent : t’es dans ton appartement, rien ne se passe, tu sors dans la rue, et il se passe toujours quelque chose…

des mots reviennent souvent : ici, c’est le mot "teeth". c’est lié à la manière dont tu écris ?

il y a des mots et des images que j’aime à certaines périodes de ma vie. ils me fournissent du matériau pour écrire, des mots qui n’ont aucun rapport entre eux mais parfois, l’image que leur association provoque correspond à ce que je voulais. j’aime le son et l’effet que certains mots produisent : ce sont des instruments.

tu racontes des choses terribles, parfois explicites, cruelles, et souvent belles. mais à ce que je peux comprendre de ce que tu dis, les obsessions semblent rester à l’identique depuis le début. tu crois que ce que tu veux dire depuis tes premières cassettes n’a pas changé ?

je crois que ça a changé. j’essaie juste de capturer des périodes extrêmes de mon existence, des sensations extrêmes que je ne connais plus aujourd’hui. et ça ne m’intéresse plus trop maintenant : je cherche aujourd’hui à être …[silence] objectivement tendre.

au fil des albums, tu es parvenu à exprimer certaines émotions en choisissant différents modes musicaux : au début, c’était très brouillon, incertain, ensuite avec kicking a couple around, on a eu quelques albums d’une beauté dépouillée, avant le tournant déjà présent dans red apple falls où la musique se fait plus légère. rétrospectivement, est-ce que tu as l’impression d’avoir trouvé le mode musical le plus adapté, du moins le plus satisfaisant pour illustrer tes paroles ?

je pense que ma musique devient de plus en plus claire parce que mon esprit le devient aussi. quand j’étais jeune, j’étais un peu désorienté comme beaucoup. maintenant, je deviens plus sage avec l’âge. comme les choses que j’écris se basent sur mes expériences, la musique elle-même se fait plus limpide.

il y a sans doute aussi le fait que ta technique s’améliore, non ?

c’est la même chose en fait : c’est toujours une accumulation de savoir, un processus qui se construit sur le passé. les premières cassettes que j’ai faites étaient vraiment âpres et informes. mais c’était pas plus compliqué pour moi d’écrire cela que d’écrire dongs of sevotion : mes débuts étaient juste un peu plus innocents.

il y a un album dont tu es le plus satisfait ?

je crois que kicking a couple around a été une grande rupture pour moi. c’était un album franc, direct et simple : rien d’autre qu’une guitare et ma voix. ca m’a permis de me recentrer sur mes racines profondes. je crois que c’est venu en réaction aux tournées que j’avais faites avant : je tournais beaucoup avec mon groupe. j’ai voulu être seul. alors j’ai tourné seul en europe pendant des mois.

tu referais ce genre de choses, seul avec ta guitare ?

oui, c’est de toute manière la façon dont je commence à composer tous mes disques.

tu a déjà des idées pour l’avenir ?

je suis en train de réunir mes idées pour un prochain album. ca sera très différent. pour l’instant, ça n’a pas beaucoup de forme, mais je cherche à développer mon concept.

tu démarres par un concept ?

oui, c’est ce à quoi doit ressembler en fin de compte l’album.

et tu as toujours su transcrire musicalement l’idée de départ ?

oui, mais j’ai rien à prouver à personne : tout est dans ma tête !

pourquoi cette couverture où on te voit assis dans une église ?

déjà, la pochette de burning kingdom évoquait cette ambiance [il s’agissait d’un château allemand]. j’ai toujours pensé qu’il y avait un lien entre ces deux questions : pourquoi les hommes construisent des églises ? et pourquoi les hommes font de la musique ? moi, j’essaie de répliquer cette majesté dans ma musique.

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publié par le 01/05/00