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publié par maxime le 29/07/00
smog
- dongs of sevotion
dongs of sevotion

permanent smile

"oh god[...]
tell me it’s my time to go [...]
and the flesh rotted off my skull
and then i will have earned my permanent smile"

bill callahan, “permanent smile”

lubricité allusive

c’est en ces termes que, le plus sérieusement du monde, bill callahan, le copain de jeux de will oldham et de plush, clôt dongs of sevotion, album pour le moins truffé d’humour macabre et de lubricité allusive (à l’exception criante du titre de l’album explicitement cru). un album qu’il faut, sans hésitation aucune, partager, faire écouter et se repasser sans arrêt. car bill callahan y donne enfin la preuve éclatante de ce que ses fuligineuses ébauches lo-fi, sa constance barbare à saccager méticuleusement son travail, n’ont pu indéfiniment cacher : un inestimable talent de songwriter. car il ne s’agit pas seulement de défendre dongs of sevotion mais bien de réécouter dix années de compositions échevelées à l’aune de ces derniers morceaux. combien de fois n’a-t-on pas qualifier cette musique de lacrimale, une musique faite par un éternel adolescent (aux traits aujourd’hui prématurément vieillis), une musique prétendument engluée dans des histoires déprimantes de ruptures, une musique étriquée et un tantinet ennuyeuse ? et quoi, celle-là même se serait enrichie d’une palette sonore bien plus large (en faisant quelques incursions dans des sons électroniques par exemple), serait subitement devenue avide de grands espaces et pour ainsi dire digne d’intérêt ?

état des lieux

voilà qui devrait faire se raviser ceux qui avaient perdu patience devant le spectacle d’un échec invariablement mis en scène, ceux qui avaient fini par claquer la porte du cagibi où se terrait le paria. parce l’on ne pense pas que cette mue, cette profondeur nouvelle du son et de l’écriture se mesure uniquement en mètres cube gagnés sur le néant : si le placard s’est transformé en loft, c’est bien que le clapier possédait déjà dans un petit coin les outils et les ressources pour s’agrandir (on l’avait remarqué sur knock knock). autrement dit, il n’y a sans doute là guère de miracles : dongs of sevotion est plus vraisemblablement l’aboutissement d’une dizaine d’années de compositions parfois nées au forceps, de maturation, de rumination, d’erreurs et d’errance. a ce titre, sa discographie constitue une passionnante biographie musicale, chaque album, chaque single étant une radiographie, un état des lieux dressé sans complaisance par le propriétaire. une biographie qu’il serait vain de vouloir décrypter au travers des textes, tant les métaphores ("jaws like vices and eyes like drains" !!), les ellipses, les détours sont légion : un puits sans fond, qui plus est ne nous regarde pas. si les textes mettent en scène la première personne du singulier, le "je" de la narration n’est qu’un leurre, puisqu’il n’est qu’un "il" derrière lequel callahan feint de se retrancher pour mieux balancer ses idées les plus tordantes et les plus sinistres (on retrouve ici pêle-mêle : la schizophrénie, l’enterrement, la mort, l’obscénité des ragots, mais aussi l’équité avec "justice aversion").

spoonerism

et puis, "un album ne se lit pas mais se ressent" (dixit bill callahan). pour autant, il faut bien comprendre que sa musique ne s’écoute pas uniquement. dongs of sevotion en est le plus bel exemple : ne prêter attention qu’aux mots couchés sur le livret serait une méprise, tout autant que de ne prêter qu’une oreille exclusive à la musique : si “bloodflow” est plutôt léger (avec son chœur de voix féminines, ses guitares sautillantes), le titre du morceau devrait déjà mettre la puce à l’oreille. un univers où la musique étonnement épurée et affirmée vient au secours d’un langage en faillite, à l’image de cette contrepèterie manquée et inachevée : si l’on comprend la signification salace de "dongs", "sevotion" n’en a aucune. dans cette optique, “distance” est l’un des morceaux les plus bouleversants de smog. un morceau où la musique vient sans doute illustrer une émotion libératrice jusqu’alors inconnue chez callahan : la conviction, l’assurance, la hargne même, par un mouvement d’extraversion. callahan a déjà écrit des morceaux violents, au besoin en recourant aux guitares saturées, au gros son (comme le superbe “my shell (electric version)” sur burning kingdom), mais l’émotion, plutôt que d’exploser, implosait (d’où peut-être ce recours à l’artifice de la distortion pour imprimer l’effet cherché). ici, que nenni : tout en son clair ou légèrement saturé, on est tout simplement bluffé par l’effet d’entraînement. la batterie de john mcentire, les guitares de callahan et de jeff parker enfilent ainsi les mesures d’un pas décidé. et si la voix demeure presque imperturbable, on sent le souffle nouveau des instruments qui se propage aux mots, leur communiquant une force inédite. on partage alors les yeux fermés ces rares instants de joie, où l’on veut y croire et où l’on finit par y croire. “cold discovery” participe aussi de cet effet d’entraînement, en jouant sur la superposition de pistes d’instruments : les guitares s’empilent, le piano égrène quelques notes aiguës dansantes, et le tout monte progressivement (jamais très haut, certes, il ne faut quand même pas s’attendre à une explosion pyrotechnique !).

reverb de cathédrale

“permanent smile” semble, quant à elle, toute entière construite autour d’instruments métaphoriques : tandis que des notes de piano erratiques et aériennes, perchées dans les aigus semblent apprécier la chaleur des rayons d’un soleil proche, la guitare répète, imperturbable, quelque part entre ciel et terre, les deux mêmes notes, pendant que les toms de la batterie de john mcentire, branchée sur une reverb digne d’une cathédrale, cadencent hiératiquement, accompagnées de la basse de matt lux, une véritable marche funèbre elle, bien terrestre. et au sein de ces couches d’instruments émerge une voix ténébreuse qui dit attendre le jour de sa mort... bien sûr, les amoureux transis de kicking a couple around, the doctor came at dawn ou red apple falls feront un rêve éveillé sur trois ballades noires jouées en solo : “easily led” (avec ce décrochement terrible de la voix couvrant un piano flottant), “nineteen” (écrite en 1996, et qui rouvre certaines plaies de jeunesse) et “devotion” (qui explore le thème d’une amitié nouée autour du secret). et quiconque n’est pas pris, ne serait-ce qu’une fois, de frissons à l’écoute de ces morceaux empoisonnés, doit d’urgence se faire greffer un cœur à la place d’une pierre. mais ceux qui ne se seront jamais remis de julius caesar et de la cruauté du sublissime “your wedding” (modèle de rage implosive et désespérée où callahan résume en une phrase répétée à satiété comment il foutra en l’air le mariage d’une ex-compagne : "i’m gonna be drunk, so drunk at your wedding"), ceux-là pourront alors comprendre toute l’ironie de “dress sexy at my funeral”, où callahan demande à sa femme de mettre encore un peu d’ambiance à son propre enterrement :

where my body now rests

"and when it comes your turn to speak
before the crowd
tell them about the time we did it
on the beach with fireworks above us[...]
and in the very grave yard
where my body now rests"

respect.

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publié par le 29/07/00