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publié par arnaud le 18/09/05
Sigur Rós
- Takk...
Takk...

Impatience

L’attente aura été longue. Après un disque aussi particulier que ( ) paru il y a trois ans, nous ne savions pas trop de quel côté attendre Sigur Rós, un peu désorientés par le Baba tiki dido EP, seul témoignage discographique du groupe depuis 2002, et guère rassurés par sa signature chez EMI. Les doutes avaient été renforcés cet été, suite à leur prestation mi-figue mi-raisin à l’Olympia. A la veille de repartir sur les routes, les Islandais livrent enfin l’objet de toutes les convoitises, qu’on ose à peine écouter de peur d’être déçu ou bien submergé par le vague à l’âme contagieux qui parcourait leur précédent album.

Post tenebras lux

L’introduction éponyme de ce quatrième disque reprend les jeux de lumières qui baignaient en 2002 des titres comme Fyrsta (untitled 2) ou Njosnávelin (untitled 4), plutôt que de rester sur la seconde partie de l’album précédent, dont l’opacité et le désespoir étaient des plus frappants. Glósóli, premier morceau chanté, est une chape de glace, un igloo au cœur bouillonnant, dont les rayons de chaleur viendraient transpercer la calotte. Premier constat, Jónsi est retourné vers sa langue maternelle plutôt que d’utiliser le hopelandic, langage imaginaire qui habillait toutes les compositions du groupe depuis cinq ans. Du coup les syllabes frappent plus à l’oreille, les sonorités sont moins liquides et se marient bien avec la quasi marche militaire qu’évoque parfois la rythmique du morceau. Le sens est aussi de retour, et le chanteur nous conte ici l’histoire d’un enfant qui au réveil s’aperçoit que le soleil a disparu et se met en quête de le retrouver. Jolie métaphore finalement quand on sort des ténèbres de Dauðalagið (untitled 7) (La chanson des morts) et de la noirceur paradoxale du mystérieux album blanc. Construit sur une suite de quatre accords, Glósóli joue sur la répétition à outrance, de par sa basse hypnotique, pour se lancer dans une efficace montée en puissance qui aboutit sur un déchaînement de décibels. Grande entrée en matière.

Boursouflé

Malheureusement la joie n’est que de courte durée, car à la sortie de l’intro suivante, on comprend que Sigur Rós est retombé dans les arrangements patauds qui, il y a cinq ans déjà, menaçaient parfois leur Ágætis byrjun (cf. le final maladroit de Viðrar vel til loftárása ou les chœurs sucrés de Starálfur). Les cordes et le piano alourdissent la chanson, déjà lestée par les voix dédoublées, transformant Hoppípolla en machine boursouflée, dont la coque d’effets sonne un peu creuse. D’une manière générale, Takk... est un retour à un son plus pop-rock, sans les envolées épiques et inquiétantes à la Popplagið (untitled 8) qui devaient plus à Godspeed You ! Black Emperor qu’à Radiohead (deux formations qui ont partagé la scène avec le groupe à l’époque de leurs débuts internationaux). Au contraire de ( ) où tout n’était que brumes, ici on nage dans le soleil et les ambiances se font légères et gaies. Une direction revendiquée par le groupe qui en aurait eu assez des titres à rallonge aux climats suicidaires.

Légèreté

Cette légèreté est parfois poussée à l’extrême. Sur Sé lest par exemple, mauvais souvenir du live de cet été, le groupe est en roue libre, se vautrant dans une valse dégoulinante de bons sentiments. Même les cordes d’Amina n’y feront rien, la chanson passe sans jamais provoquer le frisson. Et c’est bien là tout le problème de cet album : une maîtrise parfaite, des atmosphères agréables et particulières mais aucune lame de fond qui ne vienne nous faire chavirer, pas de Ný batterí détonnant ou de paysage apaisant à la Vaka (untitled 1). En dépit de sa durée (plus d’une heure) Takk... file à toute vitesse sans parvenir à marquer les esprits. Impression renforcée par la présence de pistes qui jouent un peu le rôle de bouche-trous : Með blóðnasir n’est ni plus ni moins que la conclusion de Hoppípolla, morceau qui le précède. De même Andvari n’est qu’une extension de Gong sur laquelle Jónsi semble ni vouloir insuffler de dynamique, ni façonner de relief, et même si le résultat est agréable à écouter, encore une fois c’est un sentiment de vacuité qui domine.

Maturité

Bien sûr quelques pièces tirent leur épingle du jeu, Sæglópur ou Gong (déjà entendue sur la précédente tournée), quand le groupe réussit à recréer de belles envolées dans la nuance, sans tomber dans la surcharge sonore ; ou encore le clair-obscur de Svo hljótt, quand dépouillement ne rime pas avec vide sidéral (au contraire de la conclusion Heysátan). Mais au final Takk... reste trop en surface, trop propre sur lui pour susciter autant de passions et d’engouement que les précédentes productions des Islandais. Bien sûr c’est un disque de grande qualité, mais on sent le groupe mûrir et partir vers de nouveaux horizons qui risquent peut-être de le couper de la frange la moins pop de son public. Dommage. Et même si l’impatience et l’intérêt priment quant à la suite de leurs aventures, c’est avec un peu d’amertume qu’on savoure cette cuvée. Merci qui ?

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publié par le 18/09/05