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publié par Nausica Zaballos le 10/07/09
Sherrybaby - Laurie Collyer
Laurie Collyer

Maggie Gyllenhaal ou une trentenaire lolita à bout de souffle

Maggie Gyllenhaal est une actrice physique qui joue librement de sa plastique pour mieux incarner des héroïnes engoncées dans des carcans familiaux, que seul un homme providentiel réussira à briser. Dans La Secrétaire, à tort interprété par beaucoup comme un film arty sur les perversions sadomasochistes, elle réussissait à nous faire croire à la rencontre inespérée entre un patron autoritaire mais débordant de tendresse et une jeune oie blanche qui se libère de ses peurs en se soumettant à ses pulsions premières. Dans Sherrybaby, elle est une ex-junkie sous conditionnelle qui, objet de désir insaisissable, passe d’homme en homme, utilisant son corps pour mieux apprivoiser ses démons intérieurs et exprimer son irrépressible envie de vivre.

L’envie des hommes et la jalousie des femmes

Impudique, elle l’est certainement. Se promenant tout le long du film en débardeur sans soutien-gorge, elle ne peut qu’éveiller l’envie des hommes et la jalousie des femmes. Dès son arrivée dans la maison d’accueil pour ex-détenues, elle éveille la suspicion et la haine de ses colocataires. Harcelée par une hispanique entre deux âges au physique ingrat, elle se réfugie chez son frère et sa belle sœur qui ont pris soin d’élever sa fille Lexy pendant son incarcération. Un jeu pervers de culpabilisation et d’infantilisation se mettra en place pour mieux séparer mère et fille. L’amour fraternel capitulera devant la lâcheté matrimoniale et la jalousie d’une belle-sœur qui évoquera la possibilité de liaisons lesbiennes en prison...Ce que l’entourage familial, le voisinage ou les différents travailleurs sociaux disent de Sherry révèle plus sur leurs intentions et leur fascination révulsée pour sa beauté dramatique que sur la personnalité ou les actions supposées de la jeune femme. Sherry est un objet de désir, pour hommes et femmes, qui s’expose à la vue de tous mais ne cesse de se dérober à leur compréhension, aiguisant ainsi leur désir de la rendre prisonnière d’un corps qui sera méprisé, renié, abusé, maltraité, ignoré selon la forme choisie par les protagonistes pour signifier leur jalousie.

Une liberté qui se heurte au mur des conventions

Ce que l’on reproche à Sherry, c’est avant tout de suivre ses envies. Même si les images peuvent parfois sembler crues, proches d’un certain naturalisme, écrin pour la peinture symbolique du misérabilisme social, chaque plan où apparaît le visage de Maggie Gyllenhaal est illuminé par sa candeur et sa joie de vivre. La plus belle séquence du film est l’extase dans une maison sordide où un vieil homme décharné offre un peu de bonheur au bout d’une seringue. Si l’ivresse a un prix, certains sont prêts à le payer sans état d’âme... Sherry n’éprouve aucun remords ou honte à l’évocation de son passé. Dans la voiture du vieil indien, ex-alcoolique, qui prendra soin d’elle, elle se remémore avec plaisir les nuits à danser nue en compagnie d’autres mineures dans un bar minable fermé depuis. Lors d’une réunion avec les Narcotiques Anonymes, elle n’hésite pas à revendiquer l’héroïne comme l’amour de sa vie. Affirmer devant tous qu’elle replongerait avec plaisir n’est pas l’aveu d’une faiblesse mais l’expression décomplexée d’une envie impérieuse qui n’a pas à être stigmatisée. Si Sherry est clean depuis deux ans, si elle s’est efforcée de décrocher, c’est avant tout pour regagner la garde de sa fille dans un monde où certaines pratiques ne se font pas ou alors en cachette. Pour Sherry, rien ne peut la dissuader de coucher dans la cave du refuge avec l’homme qui prétend devenir son parrain aux Narcotiques Anonymes. Aux interdictions morales et sociales s’oppose une jouissance sans entraves. Alors qu’à bout de souffle, il la prie d’arrêter, elle lui murmure « je pourrais faire cela toute la nuit. » Conformiste, Sherry ne l’est pas mais pragmatique oui. Consciente de n’être considérée que comme une ravissante idiote, elle se servira de son corps pour réaliser ses rêves.

Un étrange objet du désir et un corps polymorphe

Le mérite de la réalisatrice Laurie Collyer est de suggérer les fêlures de ses personnages plus que de les filmer frontalement. Au hasard d’une cérémonie improvisée dans la salle de bain pour une Sherry défoncée, on comprend la nécessité et la douleur de renouer avec ses origines pour le vieil indien dont les enfants résident à plusieurs kilomètres, en Oklahoma chez leur mère. En faisant un gros plan sur les ébats sexuels d’un couple sur petit écran, le spectateur saisit la souffrance d’une belle-sœur qui élève sa nièce comme son unique fille. En ouvrant la porte de l’hôtel crasseux sur l’agent de probation hautain et fier qui tance Sherry de se comporter en adulte, on perçoit la solitude d’un homme irréprochable et distant. Objet de désir, Sherry l’est car elle renvoie à tous ceux dont le regard est happé par son physique, la projection de leurs souhaits les plus chers. En devenant réceptacle à fantasmes, Sherry fait mine de s’oublier soi-même pour user et abuser de son corps polymorphe. Allumeuse pour recruteur libidineux qui ne lui propose qu’un emploi d’hôtesse de bar ou d’ouvrière à l’usine, Sherry laissera de côté ses diplômes d’éducatrice spécialisée pour réaliser la fellation qui lui ouvrira les portes de l’école primaire. Ex-junkie rebelle, elle tiendra tête à son agent de probation qui, sans se l’avouer, rêve de rencontrer plus fort que lui. Petite fille apeurée, elle minaudera auprès de son frère pour obtenir une journée seule à seule avec son enfant. La force et la faiblesse de Sherry est de pouvoir se métamorphoser et d’endosser les personnalités que lui prêtent ses interlocuteurs, puisant ainsi dans chaque personnage de nouvelles ressources personnelles... Sherry est multiple : femme-enfant, adolescente tourmentée, mère-poule, éducatrice empathique et pleine d’imagination, ex-junkie en hauts talons, gracieuse cruche en tailleur rose-bonbon, grande-gueule vulgaire... Mais en quelques instants sera dévoilé le pourquoi de cette course contre elle-même et cette fuite dans la drogue.

Sherrybaby est un beau portrait de femme, de celles qui n’ont pas voire peu d’amies, victimes d’une plastique irréprochable et d’un naturel séducteur...C’est aussi une belle histoire d’amour en demi-teinte entre un homme aux traits usés qui affirme que personne n’appartient jamais à personne et une jeune femme au bord du gouffre mais à la joie de vivre communicative.

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publié par le 10/07/09